Chroniques

Nos chroniqueurs se prononcent sur la déclaration du député de Laurier-Dorion, Gerry Sklavounos, prononcée hier matin. 

Chronique 

Je m’excuse, mais je ne m’excuse pas

Comment ne pas éprouver un grand malaise devant les regrets fabriqués d’un homme qui met sur le compte de son côté sociable des comportements allégués de harcèlement sexuel ? Comment ne pas éprouver un grand malaise en voyant, à ses côtés, sa femme lui servir de paravent dans la mise en scène de cet acte de contrition forcé ?

« À celles et ceux que j’ai pu offenser malgré moi, sachez que ce ne fut jamais mon intention et que je le regrette sincèrement », a dit hier le député Gerry Sklavounos, qui prenait la parole pour la première fois depuis que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a conclu qu’il n’avait commis « aucun acte criminel » à l’endroit d’Alice Paquet.

D’un point de vue légal, Gerry Sklavounos a certes été blanchi. Mais cela n’efface pas d’un coup de baguette magique toutes les allégations troublantes qui le concernent. D’anciennes stagiaires et employées de l’Assemblée nationale ont notamment confié à différents médias que le député leur aurait fait des avances répétées et aurait eu des propos et des comportements déplacés. 

Au bout de son « introspection », le député de Laurier-Dorion ne dit pas qu’il a mal agi, mais qu’il a surtout été mal compris. Je m’excuse si vous n’avez pas compris mes blagues de charmeur extraverti. Je m’excuse d’avoir été trop sympathique. 

Je ne suis qu’un homme respectueux et passionné qui veut socialiser, poursuit-il. Je suis un clown incompris qui veut alléger l’atmosphère. Je suis un homme chaleureux qui fait des compliments polis et honnêtes. C’était parfois maladroit, je l’avoue… Je suis désolé si vous êtes aussi susceptibles. À l’avenir, je serai plus prudent, c’est promis.

Bref, il ne s’excuse véritablement de rien, sinon d’avoir été parfois « maladroit » dans son désir de « socialiser ». Il ne s’excuse de rien, mais en même temps, il a ces paroles alambiquées : « Cependant, si, dans des tentatives de socialiser, de créer des liens d’amitié ou d’alléger l’atmosphère de manière maladroite parfois, j’ai pu offusquer ou rendre inconfortables d’autres personnes, je tiens à souligner que cela m’apparaît maintenant inacceptable et inapproprié. »

Je m’excuse, mais je ne m’excuse pas… Mais s’il faut m’excuser, alors je m’excuse. Vous suivez ?

M. Sklavounos dit que l’égalité hommes-femmes est pour lui une valeur fondamentale et non négociable. Il dit vouloir s’engager à faire du Québec une société plus égalitaire. C’est un noble objectif. Mais pour l’atteindre, il faudra sans doute aller un peu plus loin dans l’introspection et dans l’examen de conscience collectif.

Il faudra commencer par nommer les choses. 

Il existe une expression pour désigner des comportements déplacés que l’on confond avec des blagues ou des compliments : harcèlement sexuel.

On ne parle pas ici de simples maladresses ou de banales « jokes de mononcle », mais de gestes et de paroles qui diminuent ou humilient la personne qui les reçoit. On ne parle pas de flirt qui rehausse l’estime de soi, mais bien d’actes de violence qui rabaissent. Si la victime ne dit rien, ce n’est pas parce qu’il ne s’est rien passé, mais bien souvent parce qu’elle se trouve dans une situation subalterne où il lui est difficile de porter plainte contre celui qui abuse de son pouvoir.

Si c’est vraiment grave, la police s’en chargera et il y aura des accusations criminelles, se dit-on souvent. Cette idée vient d’être sérieusement mise à mal par une enquête pancanadienne du Globe and Mail, qui révèle des failles importantes dans le traitement des plaintes d’agressions sexuelles par la police. L’enquête, fruit de 20 mois de travail, révèle qu’un taux anormalement élevé (19 %) de plaintes d’agressions sexuelles sont jugées « non fondées » par la police. Un taux beaucoup plus élevé que le taux de fausses plaintes d’agressions sexuelles (qui se situe entre 2 et 8 %, selon les études).

Pour une victime, les chances d’être crue par la police ont plus à voir avec son code postal qu’avec le contenu de sa plainte, constate le Globe and Mail. C’est comme une loterie géographique. Alors qu’à Winnipeg, 2 % des plaintes sont jugées non fondées, à Montréal et à Québec, la proportion monte à 18 %. À Ottawa, on parle de 28 %. À Saint John (Nouveau-Brunswick), 51 %… Fait intéressant, quand le taux de femmes policières est plus élevé que la moyenne au sein d’un corps de police, le taux de plaintes jugées non fondées y est plus bas que la moyenne.

Les experts consultés par le Globe and Mail voient dans ces chiffres alarmants et ces variations la preuve d’un système en faillite qui trahit les victimes. Les résultats troublants de l’enquête ont d’ailleurs incité des services de police à réviser des dossiers qui avaient été fermés. À elle seule, la police ontarienne compte réexaminer quelque 4000 dossiers d’agressions sexuelles.

Au-delà de l’affaire Sklavounos, par respect pour les femmes, il faut désormais souhaiter que l’examen de conscience collectif qui s’impose, tant à l’Assemblée nationale qu’au sein des corps policiers, soit plus sérieux et plus profond qu’une simple opération de repentir imposée.

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