CHRONIQUE

La taxe Netflix pour les nuls

Depuis que la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a présenté sa politique culturelle, Netflix est au cœur du débat public, tant fiscal que culturel. L’enthousiasme servile qu’elle a manifesté en annonçant un investissement de 500 millions de la multinationale dans la production télévisuelle canadienne a irrité les artistes et le monde de la télé et du cinéma. Son refus obstiné d’imposer la TPS à Netflix a enragé le monde de la câblodistribution. Le tout dans une confusion nourrie par les propos confus et sibyllins de la ministre.

Cette semaine, pour ajouter une couche de complexité, le gouvernement du Québec a parlé de taxer lui-même Netflix. D’où l’idée de revenir sur tout ça, pour remettre un peu d’ordre et de cohérence factuelle dans ce débat qui a pris des tournures surréalistes.

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La taxe Netflix pour les nuls

Depuis que la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a présenté sa politique culturelle, Netflix est au cœur du débat public, tant fiscal que culturel. L’enthousiasme servile qu’elle a manifesté en annonçant un investissement de 500 millions de la multinationale dans la production télévisuelle canadienne a irrité les artistes et le monde de la télé et du cinéma. Son refus obstiné d’imposer la TPS à Netflix a enragé le monde de la câblodistribution. Le tout dans une confusion nourrie par les propos sibyllins de la ministre.

Cette semaine, pour ajouter une couche de complexité, le gouvernement du Québec a parlé de taxer lui-même Netflix. D’où l’idée de revenir sur tout ça, pour remettre un peu d’ordre et de cohérence factuelle dans ce débat qui a pris des tournures surréalistes.

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Ceci n’est pas une « taxe Netflix »

Pour commencer, il ne faudrait pas parler de taxe Netflix, même si l’expression est largement utilisée ici et ailleurs dans le monde. L’enjeu dépasse Netflix et porte sur l’ensemble des entreprises étrangères qui nous fournissent des produits numériques.

Ce ne sont pas des biens tangibles, ils nous arrivent par l’internet, et ils ne sont pas soumis à nos taxes parce que les entreprises ne sont pas en territoire canadien. Netflix est un très gros acteur, très connu des consommateurs, mais la question se pose pour Spotify en musique, Uber, Airbnb, les livres Kindle d’Amazon ou les billets de StubHub. L’Institut C.D. Howe, dans une étude publiée l’été dernier, estimait que les revenus potentiels en TPS et taxes provinciales seraient de 85,8 à 107,3 millions, dont environ la moitié, 56,2 millions, pour Netflix. Pour être précis, il faudrait parler d’une taxe sur les produits et services numériques provenant de l’étranger.

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Le Québec peut-il taxer Netflix ?

Certainement. Les services numériques sont taxés quand ils sont livrés par une entreprise québécoise. Théoriquement, les consommateurs sont tenus, pour l’achat de tels produits hors frontière, de payer eux-mêmes la TPS-TVQ, au-delà d’un seuil, en remplissant une formule à cet effet. Ce que personne ne fait.

Le seul problème du Québec, s’il veut imposer la TVQ à ces entreprises étrangères, ne tient pas aux règles fiscales, mais à sa capacité de percevoir ces taxes. Selon les normes développées par l’OCDE, l’entreprise étrangère doit percevoir ces taxes en les incluant dans la facture envoyée aux consommateurs. Il faut donc que l’entreprise étrangère collabore, ou que le gouvernement dispose de moyens pour forcer sa collaboration.

En général, pour éviter les tracasseries administratives, on limite cette obligation aux entreprises qui ont un bon volume d’affaires dans le pays. Rappelons que cela n’a rien d’inhabituel. Dans ma chronique de samedi dernier, je montrais que la quasi-totalité des pays industrialisés taxent déjà Netflix et ses semblables.

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Est-ce une hausse de taxe ?

Évidemment pas. C’est la thèse du gouvernement Trudeau, répétée mardi par le premier ministre, pour qui taxer Netflix trahirait sa promesse faite durant les élections de ne pas augmenter les impôts de la classe moyenne.

L’argument ne tient pas la route, parce qu’il ne s’agit pas d’augmenter les taxes, mais d’appliquer les règles fiscales existantes à un nouveau produit, au nom de l’équité, pour que Netflix soit traitée comme on traite les diffuseurs canadiens de contenus numériques. 

L’équité, rappelons-le, est un principe que le même gouvernement défend dans sa réforme fiscale. Mais l’argument le plus assassin pour dégonfler le raisonnement de M. Trudeau est venu de M. Trudeau lui-même. Dans la même conférence de presse où il réitérait son refus de taxer Netflix, il annonçait, sans le moindre embarras, une taxe d’accise de 1 $ le gramme pour le cannabis, quand la vente en sera légale, reconnaissant du coup la légitimité d’appliquer les taxes à un nouveau produit.

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Est-ce qu’Ottawa a fait un cadeau à Netflix ?

Le ministre québécois des Finances, Carlos Leitão, en évoquant l’idée de taxer Netflix, a dit qu’il faudrait d’abord qu’il puisse avoir accès à l’entente avec Netflix dont Mélanie Joly se vante tant.

Je n’ai pas compris pourquoi. Le lien entre le débat fiscal et l’entente sur la production vient essentiellement de la confusion entretenue par la ministre fédérale qui esquivait les questions sur la TPS en brandissant ses 500 millions. Mais il n’y a pas de lien logique entre la perception de cette taxe et les budgets de production. À moins bien sûr que cette entente contienne un engagement d’Ottawa de ne pas appliquer la TPS. Ce serait bien étonnant.

Je note que l’espèce de mémoire remis par Netflix lors des consultations sur la politique numérique ne dit pas un mot sur la taxation. Je note aussi que Netflix est habituée à ces taxes, auxquelles elle est soumise partout, et qu’elle ne mène pas de bataille sur la question.

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Y a-t-il de l’évasion fiscale ?

Absolument pas. Le mécontentement contre la ministre a nourri un mouvement anti-Netflix. Par exemple, j’ai entendu, la semaine dernière, le député péquiste Nicolas Marceau dénoncer l’évasion fiscale de Netflix, ce qui est indéfendable de la part d’un ancien ministre des Finances.

Que de confusion ! La TPS et la TVQ ne seraient pas des taxes imposées à Netflix, mais des taxes imposées aux consommateurs. Le rôle de Netflix serait celui d’un intermédiaire, qui ajoute les taxes sur sa facture, les collecte et les remet aux gouvernements. Ce n’est pas de l’évasion fiscale – une façon de tromper le fisc –, ni même de l’évitement – des manœuvres pour réduire légalement sa note d’impôt –, ni même, comme je l’ai entendu cette semaine, un congé fiscal, puisqu’il ne s’agit pas de taxes imposées à Netflix. Rien à voir, par exemple, avec la bataille de l’Union européenne contre les manœuvres « d’optimisation fiscale » d’Amazon et d’Apple qui déplacent leurs profits d’un pays à l’autre pour payer moins d’impôts.

Pour l’instant, tout ce qu’on peut reprocher à Netflix, c’est de ne pas avoir imploré Ottawa de l’assujettir à la TPS ! Il est vrai, cependant, que cela lui procure un certain avantage en lui permettant d’avoir des prix plus bas. Si ses services étaient taxés, l’abonnement mensuel de 10,99 $ passerait à 12,64 $, soit 1,65 $ de plus par mois ou 19,78 $ (par année). Cela pourrait limiter la croissance de ses abonnements, quoiqu’il soit possible que les consommateurs réagissent plutôt en se désabonnant du câble.

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Combien ça rapporterait ?

Pas beaucoup ! Selon l’enquête de l’Observatoire des technologies médias, il y aurait 868 000 abonnés Netflix au Québec, où la pénétration est moins forte qu’au Canada anglais. Selon un sondage du CEFRIO, 33 % des ménages québécois branchés à l’internet auraient Netflix, ce qui donne 1,07 million.

Avec un abonnement mensuel standard qui vient de passer de 9,99 $ à 10,99 $, cela donnerait, pour la TVQ de 10 %, des revenus variant de 11,4  à 14,1  millions. Les revenus pour le Trésor québécois devraient toutefois être plus élevés si Québec choisit sagement d’appliquer sa taxe à l’ensemble du secteur plutôt que seulement à Netflix.

La somme est modeste, ce qui nous rappelle qu’on est bien davantage dans une bataille de principes, et surtout de symboles, que dans une affaire de gros sous.

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