Fondation Pierre Elliott Trudeau

Elles pensent à l’économie de demain

Des chercheuses, membres de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, présentent leurs réflexions sur l’économie d’aujourd’hui… et de demain. Au menu : diversité, énergie renouvelable et environnement. Voici leurs idées. 

Un dossier de Réjean Bourdeau

Ressources humaines

Plus de diversité, plus de bénéfices

Bessma Monani est une ardente partisane de la diversité. Son message aux entreprises est clair. Ouvrir la porte, au lieu de s’enfermer dans les préjugés, est rentable. Entrevue avec la professeure de science politique à l’Université de Waterloo et lauréate 2015 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.

Qu’est-ce que les entreprises doivent changer pour profiter des bénéfices de la diversité ?

D’abord, elles doivent bien analyser leurs pratiques d’embauche et de recrutement. Elles doivent s’assurer que leur processus de sélection est ouvert à toutes les personnes compétentes, peu importe leur origine, leur culture, leur religion, leur âge, leur sexe, leur orientation sexuelle, etc. C’est un élément très important. Il faut, également, créer une culture d’entreprise inclusive. De cette façon, on conserve les talents qui ont été sélectionnés.

Comment baisser la barrière des préjugés ? Comment mettre fin à des pratiques d’embauche qui semblent être, parfois, discriminatoires ?

Il y a, essentiellement, trois choses à faire. Pour commencer, il faut mettre en place une politique de « tolérance zéro » à l’égard de la discrimination. Ensuite, il faut bien comprendre la sensibilité culturelle sur les lieux de travail. Enfin, il faut démontrer les bénéfices de la diversité aux employés et aux gestionnaires. Conserver les meilleurs talents ne peut qu’être avantageux pour une entreprise.

Est-ce que les entreprises s’adaptent à la diversité ? Quels sont les secteurs les plus ouverts ?

Il n’y a pas de données précises sur le sujet. On peut toutefois penser que les choses s’améliorent. Mais c’est encore loin d’être équitable et diversifié. Cela dit, tous les secteurs se disent ouverts à la diversité. Ce sont surtout ceux qui connaissent des pénuries de main-d’œuvre qui font de bonnes avancées. Je pense à la technologie et aux services-conseils. Dans ces secteurs, il y a une forte demande pour les travailleurs talentueux, mais l’offre est très faible.

Quels seront les principaux défis du marché du travail dans les prochaines décennies ?

Ce sera de dénicher et de retenir les employés talentueux. C’est encore plus vrai dans une économie mondialisée. La recherche des meilleurs se fait à la grandeur de la planète. Heureusement pour les entreprises canadiennes, il arrive souvent que des employés spécialisés décident de rester au pays pour y élever leur famille.

Pour les populistes, il y a une contradiction entre l’attachement des immigrants à leur terre natale et leur respect des valeurs canadiennes. Comment, au contraire, la diversité est-elle une force motrice pour la société ?

D’innombrables preuves montrent que les nouveaux arrivants sont tout aussi loyaux au Canada que l’ensemble des citoyens. Célébrer sa culture et garder sa religion après avoir immigré n’est pas un signe de déloyauté. Ce mode d’expression est plutôt un signe de confort dans leur nouveau pays. Pour les populistes, les immigrants sont une menace. Leur attitude naît d’une insécurité face à l’inconnu. Il faut donc éduquer les gens et leur enseigner que l’immigration est une bonne chose pour tous. Pour leur part, les immigrants doivent poursuivre le dialogue. Ils doivent expliquer leur culture pour contrer les fausses perceptions. Et le faire davantage avec ceux qui sont peu exposés à leurs croyances et à leurs pratiques.

Hausse des revenus et de la productivité

Une hausse de 1 % de la diversité ethnoculturelle dans une entreprise se traduit par une hausse de 2,4 % des revenus et de 0,5 % de la productivité au travail. C’est ce qui se dégage de l’étude Les fruits de la diversité ; l’avantage mondial du Canada. Cette analyse de Bessma Monani et de Jillian Stirk, mentore 2015 à la Fondation Pierre Elliott Trudeau, a été publiée cette année. Elle porte sur des statistiques représentant plus de 7900 milieux de travail, dans 14 secteurs industriels, entre 1999 et 2005.

Voici certaines recommandations : 

• Adopter des pratiques d’embauche plus inclusives, comme le recrutement à l’aveugle, des programmes de formation pour reconnaître les biais inconscients, des équipes de recrutement diversifiées et l’élimination des exigences en matière d’expérience de travail au Canada.

• Reconnaître la formation, les titres de compétence et l’expérience à l’étranger.

• Investir dans les cours de français et d’anglais.

• Mettre au point des indicateurs pour mieux connaître sa main-d’œuvre, comparer les résultats pour démontrer aux clients et aux employés les engagements envers la diversité et l’inclusion.

Bessma Monani 

Les travaux de la professeure Momani portent sur la culture d’entreprise, la gouvernance économique mondiale, l’économie politique au Moyen-Orient et la jeunesse arabe. 

Elle enseigne au département de science politique et à la Balsillie School of International Affairs de l’Université de Waterloo, en Ontario. 

Elle est lauréate 2015 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Son projet concerne la jeunesse canado-arabe. 

Il vise à promouvoir la citoyenneté responsable pour contrer la perte d’autonomie et le désengagement.

le Colloque annuel de la fondation

La Fondation Pierre Elliott Trudeau offre, entre autres, des bourses et des prix à des universitaires. Cette communauté intellectuelle regroupe des acteurs clés au pays, des chercheurs, des professeurs et des étudiants en sciences humaines et sociales. Elle favorise la réflexion et l’engagement sur des thèmes chers à l’ancien premier ministre : les droits de la personne et la dignité humaine, la citoyenneté responsable, le Canada dans le monde, et les populations et leur environnement naturel. La Fondation présente son 14e colloque annuel, de mercredi à vendredi, à l’hôtel Omni de Montréal.

Changements climatiques

Place aux initiatives autochtones

Intéressée par le développement durable, la biologiste Catherine Potvin, lauréate 2016 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, s’est tournée vers les peuples autochtones. Son projet ? Répertorier leurs initiatives pour contrer les changements climatiques. Et elle en a trouvé plus de 160 au pays !

Énergie solaire, programmes de surveillance des lacs et des forêts, minicentrales hydroélectriques, bâtiments écologiques, formation des jeunes par les aînés, etc.

« Il y a plein d’initiatives différentes ! lance Catherine Potvin. Les autochtones disent : "Le pétrole nous tue." Alors, ils vont de l’avant. Et ils font de bonnes choses. »

La professeure de biologie à l’Université McGill est allée « de surprise en surprise » en dénombrant autant de projets partout au Canada. Dans le lot, il y a des initiatives communautaires et des projets d’affaires.

« Il y a des projets en énergie renouvelable dans 70 communautés, dit la chercheuse de réputation internationale. C’est plus que dans le reste du pays ».

« Les autochtones sont en avance dans bien des aspects liés aux changements climatiques. »

— Catherine Potvin

Ainsi, le territoire le plus « solaire » au pays est celui de la nation T’Sou-ke, dans l’île de Victoria, en Colombie-Britannique. Toutes les résidences sont alimentées par le soleil.

« Le chef est une personne formidable, dit Catherine Potvin. Il souligne que sa communauté est là pour collaborer. Pas pour détruire. Et qu’il faut laisser une empreinte environnementale respectueuse. »

Autres étapes

Le projet « Agir face aux changements climatiques : initiatives autochtones novatrices » se décline sur trois ans. Il est fait en partenariat avec des Premières Nations.

La banque de données regroupant les différentes initiatives est terminée, en grande partie.

« L’autre étape concerne la formation des jeunes autochtones en matière de climat et de durabilité », explique Mme Potvin. Trois sujets sont à l’ordre du jour : les changements climatiques, le leadership autochtone et les médias.

« Les jeunes ambassadeurs choisiront leurs coups de cœur parmi les 160 initiatives, précise-t-elle. En visitant des communautés, ils vont créer un dialogue et un réseau de soutien. C’est un projet participatif. Il n’a rien de conventionnel. »

Par ailleurs, certaines des initiatives autochtones exposées dans ce projet sont actuellement présentées au Centre des sciences de Montréal, dans le cadre de l’exposition intitulée Génie autochtone.

Catherine Potvin

Mme Potvin est professeure titulaire et chercheuse au département de biologie de l’Université McGill. Elle se spécialise dans la protection des forêts tropicales humides et dans les questions liées aux changements climatiques. 

Au cours de sa carrière, elle a obtenu de nombreux prix. Elle est notamment la première femme à avoir reçu la médaille Miroslaw-Romanowski de la Société royale du Canada. Elle est aussi fondatrice du laboratoire néo-tropical de l’Université McGill au Panamá. 

Récemment, elle a coordonné un projet regroupant 71 chercheurs universitaires. Le rapport, Rebâtir le système énergique canadien – Vers un avenir sobre en carbone, a été rendu public en mai dernier. Il recommande des mesures pour assurer la transition vers des énergies plus faibles en carbone, sans miner la productivité du pays. 

Une partie du travail de Catherine Potvin avec les autochtones, pour la Fondation Pierre Elliott Trudeau, a été intégrée au document.

Des projets en énergie renouvelable

Énergie solaire

T’Sou-ke, Colombie-Britannique

« Penser à l’impact de nos actions sur les sept prochaines générations. » Cette façon de voir traditionnelle a motivé les T’Sou-ke à produire leur propre énergie solaire. Source d’énergie propre et renouvelable, le solaire reflète les valeurs ancestrales de la communauté. De plus, ce projet lui permet de réduire son empreinte écologique. Et d’épargner des frais d’électricité.

Minicentrales hydroélectriques

Mashteuiatsh, Québec

Dans la région du Lac-Saint-Jean, la Première Nation des Piekuakamiulnuatsh a construit deux minicentrales hydroélectriques au fil de l’eau (sans réservoir). Elle a réussi à le faire en préservant la beauté des chutes avoisinantes et l’habitat des animaux et des plantes. Ces projets ont créé des emplois et attirent même les touristes.

énergie Éolienne

Millbrook Wind Farm, Nouvelle-Écosse

Le parc éolien communautaire de Millbrook a des retombées positives dans la communauté micmaque. Parmi elles : une meilleure croissance économique, de nouveaux emplois, une plus grande autonomie énergétique et un environnement plus propre. De plus, une partie des emplois et des revenus resteront dans la communauté. Du coup, les réductions d’émission de gaz à effet de serre s’accompagneront de bénéfices locaux.

Énergie solaire

Piitapan Lubicon, Alberta 

Après un déversement de pétrole sur son territoire, la communauté de Lubicon Lake a décidé de ne plus dépendre des combustibles fossiles. Elle a construit une installation d’énergie solaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Comme les énergies renouvelables n’exploitent pas la Terre Mère, elles respectent ainsi les valeurs traditionnelles de la communauté.

divers projets

Six Nations of the Grand River Development Corporation, Ontario

Des projets en énergie solaire, éolienne et hydroélectrique sont mis sur pied par la Corporation de développement des Six Nations de la rivière Grand. Elle s’assure que ses projets sont conformes à ses valeurs : la paix, le respect de la nature et la coopération. Tous ses bénéfices sont partagés avec la communauté. Les Six Nations iroquoises sont les Mohawks, les Sénécas, les Cayugas, les Oneidas, les Onondagas et les Tucaroras.

Alimentation

Récupérer des dizaines de milliards gaspillés

Boursière 2014 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, Tammara Soma lutte contre le gaspillage alimentaire, qui s’élève à des dizaines de milliards de dollars au pays. Pour y arriver, cette urbaniste mise sur la collaboration. Et elle fait appel aux entreprises, aux gouvernements, aux universitaires et aux groupes communautaires. 

DES PERTES, ENCORE DES PERTES 

Activiste de l’alimentation, Tammara Soma est « fascinée » par la façon de consommer les produits dans les grands centres urbains. « Ce qu’on achète et ce qu’on jette a de grands impacts au niveau environnemental, social et économique », dit-elle. Le modèle de production actuel et les excès de consommation causent de sérieux problèmes, remarque-t-elle. Ils polluent. Ils menacent la biodiversité. Ils modifient la nature des achats, avec l’arrivée des magasins à grande surface. Et ils entraînent un « gaspillage alimentaire de 31 milliards » au Canada cette année.

PENDANT CE TEMPS… 

Pourtant, près de 900 000 Canadiens ont recours à des banques alimentaires, selon HungerCount. Pour Mme Soma, ce déséquilibre, entre le gaspillage et les besoins, montre une cassure du système. « Pour changer ce paradigme, il faut une planification urbaine qui intègre l’alimentation durable », dit-elle. Et les solutions passent par la récupération, le compostage, les fermes urbaines, la gestion des déchets, etc. Toutes ces questions sont abordées dans le Food Systems Lab qu’elle dirige, en Ontario.

ÉCONOMIE CIRCULAIRE 

Dans cette recherche de solutions innovantes, les entreprises ont un rôle important à jouer. Et leurs mentalités changent, quoique graduellement. « Les choses évoluent, dit Tammara Soma. On se dirige vers une nouvelle ère dans laquelle des entreprises pensent en termes d’économie circulaire », dit-elle. Ce concept est lié au développement durable. Il vise à limiter le gaspillage des matières premières et des sources d’énergie. L’idée est de valoriser des produits autrefois considérés comme inutilisables.

L’ART DU BRICOLAGE 

Mme Soma utilise une image. « À la manière d’un bricoleur, l’entreprise réutilise, transforme et donne une deuxième vie à des objets ou des produits, avant de les revendre », dit-elle. Elle cite deux exemples de Toronto. Earth + City réutilise la pulpe de jus biologiques extraite des centrifugeuses. « Et elle en fait de délicieux biscuits », précise-t-il. Pour sa part, ChocoSol se spécialise dans les chocolats équitables et écologiques. Elle vend ensuite les coquilles des fèves à un fabricant qui en fait des savons exfoliants au cacao.

À L’ATTAQUE 

Plusieurs entreprises en démarrage développent des concepts pour s’attaquer au gaspillage alimentaire, souligne Mme Soma. Parmi elles, Lyofresh, de Mississauga, en Ontario. Pour préserver la nourriture saine, elle mise sur la déshydratation des aliments à très basse température. De son côté, Genecis souhaite recycler les déchets alimentaires en produits à valeur ajoutée. Cette jeune pousse a été lancée par des étudiants de l’Université de Toronto. Elle vient tout juste de remporter un prix de la Banque RBC en innovation et entrepreneuriat.

ESPACES D’INNOVATION 

Mais innover coûte cher. Tammara Soma souhaite que les gouvernements appuient davantage les entreprises innovantes. Elle voit trois avenues pour le financement : la R et D, la formation en entreprise et la création d’incubateurs. Elle estime qu’il faut aussi soutenir des espaces d’innovation dans les centres communautaires d’alimentation. « Ce sont des lieux qui permettent aux entrepreneurs, aux universitaires et aux organisations de la société civile de collaborer, dit-elle. Et d’en arriver à des solutions interdisciplinaires. »

Tammara Soma

Mme Soma est étudiante au doctorat en urbanisme à l’Université de Toronto. 

Elle dirige le Food Systems Lab. Elle a participé à plusieurs organismes, comme FoodShare, Food Secure Canada et WasteAid. 

Elle est boursière 2014 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Son projet s’intitule « De la table au dépotoir : analyse de la consommation alimentaire des ménages et des déchets alimentaires dans les régions urbaines de l’Indonésie ». 

Ses recherches sont dédiées à Arfan, son neveu indonésien, emporté par la dengue à l’âge de 3 ans.

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