Notre choix

Parler des autres

Suzanne Travolta
Élisabeth Benoit
P.O.L
252 pages
Quatre étoiles

Dans ce premier roman d’Élisabeth Benoit – qui est seulement la deuxième plume québécoise publiée à la prestigieuse maison française P.O.L –, le lecteur découvrira rapidement qu’il est invité à un brillant jeu narratif dans lequel il devra laisser tomber ses attentes trop prévisibles. Les revirements, ici, n’ont pas grand-chose à voir avec l’intrigue de ce qui ressemble à un faux polar.

Le premier hameçon est le titre, Suzanne Travolta, ainsi que la quatrième de couverture qui résume de façon succincte le roman de même que notre curiosité : « J’avais pris la feuille et j’avais lu. Suzanne Travolta, 5399 Waverly. Et déjà en lisant ce nom-là, je m’étais dit que quelque chose clochait. » Nous ne saurons jamais pourquoi Suzanne porte cet étrange nom de famille qui nous fait penser, bien sûr, à John Travolta, la vedette de Saturday Night Fever. Mais on devine que c’est peut-être un pseudo, car ce qui « cloche », en fait, c’est que Suzanne est surveillée par deux détectives qui ont placé des caméras chez elle. Ils apparaissent dans de courts chapitres qui sont étrangement les plus instructifs sur Suzanne. Elle travaille dans l’informatique. Elle protège farouchement son ordinateur. Elle semble croire aux fantômes. Elle a installé un logiciel espion sur l’ordinateur d’une fille. Elle possède un revolver.

Mais pour le reste, l’histoire tourne autour du suicide de Marie-Josée, la sœur un peu paumée de Laurent, star locale et plutôt provinciale qui lui a toujours fait de l’ombre, lui-même ami avec Ray qui tourne autour de Suzanne, bien qu’il soit déjà en couple. Marie-Josée n’est vue que par le regard des autres, notamment celui de Suzanne, dont le sale caractère renfrogné apporte une touche comique au roman. Mais Suzanne finit elle-même par être noyée dans les monologues de Ray et de Laurent qui, s’ils nous renseignent un peu plus sur Marie-Josée (de façon totalement subjective), nous éloignent de Suzanne en voulant pourtant l’approcher et la séduire. « C’est plus fort que moi, j’ai toujours été d’une politesse lamentable, j’ai toujours dit oui oui et hoché la tête avec une politesse lamentable », se désole Suzanne dès le début du roman. « Finalement, j’ai toujours été fascinée par les imbéciles, c’est ce qu’il y a de plus terrible dans cette histoire. » Et elle ne résiste pas aux discours échevelés parfois de Ray et de Laurent, dans les divers bars branchés de Montréal, tous croisés dans les romans de Nelly Arcan, remarque-t-on.

Le rythme de l’écriture d’Élisabeth Benoit s’appuie sur des effets de répétition propres à ceux qui parlent trop et qui chialent trop, une manière peut-être de remplir le vide terrifiant de la mort de Marie-Josée. Elle restera un mystère aussi entier que l’est Suzanne Travolta. « Toute notre vie, nous vivons sans savoir comment nous allons mourir, mais nous savons qu’à la fin cela se produira, d’une façon ou d’une autre cela se produira, et cette mort fera de nous ce que nous serons pour l’éternité, pour l’éternité nous ne serons plus que ce mort mort de telle ou telle mort. Nous n’avons qu’une idée vague et forcément inexacte du moment et des circonstances de notre mort, rien n’aurait de sens sans cela, avais-je pensé. La seule chose qui compte, c’est que nous ne savons pas. » Ce pourrait bien être la ligne directrice de ce premier roman redoutable, qui se joue de nous à coups de pièges et nous attire irrésistiblement dans sa toile dangereuse vers une finale qu’il est impossible de voir venir.

Impossible amour

Dieu n’a pas que ça à faire
Lucía Etxebarria
Héloïse d’Hormesson
272 pages
Trois étoiles et demie

Lucía Etxebarria n’a pas son pareil pour décortiquer les relations amoureuses. Depuis Amour, Prozac et autres curiosités, le titre qui l’a fait connaître en 1997, l’auteure espagnole nous propose des romans dont le style se situe quelque part entre le côté tragique d’Almodóvar et le côté punk de Virginie Despentes. Dans Dieu n’a pas que ça à faire, on est à Palma, la capitale de Majorque, une petite ville où tout le monde se connaît, et où les apparences et les conventions dictent les choix de vie de chacun. Sans compter que l’Opus Dei pèse lourd sur le destin des grandes familles de cette ville balnéaire. Bien sûr, lorsqu’on gratte le vernis de la respectabilité, on découvre un tout autre portrait. Derrière les façades des riches demeures, des couples souffrent, mentent, se détestent. Un grand théâtre des apparences dans lequel chacun tente tant bien que mal de tenir son rôle. Adultère, peur de l’engagement, homosexualité refoulée, vie amoureuse ratée… Une hypocrisie qui coûtera cher à Alexia, Elena et David, les trois personnages de ce chassé-croisé amoureux qui parle de l’impossibilité du couple devenu, selon l’auteure, « une utopie, un mode de consommation ». Car les romans d’Etxebarria sont tout sauf des romans à l’eau de rose.

— Nathalie Collard, La Presse

L’engagement

Tu peux toujours rester
Valérie Chevalier
Éditions Hurtubise
296 pages
Trois étoiles

Avec ce quatrième roman, l’autrice Valérie Chevalier (aussi connue comme actrice et animatrice) renoue avec les personnages qui l’ont fait connaître, après s’être essayée à des formes narratives plus fragmentées avec La théorie du drap contour et Les petites tempêtes. Ses fans seront heureux (heureuses, oserions-nous préciser) de retrouver les héroïnes de son premier livre, Tu peux toujours courir, Maud et Alice. Alors que la première compte bien profiter de son célibat de façon la moins engagée possible et refuse de se laisser aller aux sentiments amoureux, la deuxième, désormais en couple avec son beau Alexis, rêve plutôt de fonder une famille, mais le départ de son chum en tournée remettra beaucoup de choses en question. Utilisant avec efficacité les codes de la chick lit, Chevalier propose, dans une écriture directe et qui se veut le plus collée à la réalité possible, une réflexion sur l’engagement à l’heure des milléniaux et des applications de rencontres. Sans rien réinventer, Valérie Chevalier sait embarquer le lecteur dans son histoire et rendre ses héroïnes attachantes, tout en mettant en scène un Montréal vibrant et vivant, avec ses quartiers, ses bars et ses restos.

— Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Ouvrez les fenêtres

Pour l’amour du multilinguisme –
Une histoire d’une monstrueuse extravagance
Tomson Highway
Mémoire d’encrier
65 pages
Trois étoiles et demie

Personne ne ressemble à Tomson Highway, l’un des auteurs les plus originaux et libres que nous ayons rencontrés dans la vie. Ce petit livre au titre très long est la traduction (à plusieurs égards !) d’une conférence qu’il a donnée en 2017 au centre d’artistes OBORO, à Montréal. Dans son style particulier et son humour inimitable, Tomson Highway y fait l’éloge de l’apprentissage des langues, lui qui fait partie de ces enfants privilégiés de Joe et Pélagie Highway, parce qu’ils ont grandi avec trois langues autochtones (le cri, le déné et l’inuktitut) « aussi différentes les unes des autres que l’anglais l’est de l’arabe et du coréen ou que le français l’est du mandarin et du swahili ». Depuis, il a ajouté à son arc le latin, le français, l’anglais, l’ojibwé, l’espagnol et l’allemand ! Ce qui lui permet d’affirmer (et on le croit) que le cri est la langue la plus drôle et la plus sexy du monde, tandis que les langues européennes « sont obsédées par la question du genre ». « Les langues autochtones, en revanche, séparent le monde non pas en deux genres, mais entre ce qui est animé et ce qui est inanimé, autrement dit, entre ce qui possède une âme et ce qui n’en a pas. » Pour Tomson Highway, « parler une seule langue, c’est comme vivre dans une maison avec une seule fenêtre ». On sort de ce petit livre en se trouvant peu ambitieux d’être seulement bilingue…

— Chantal Guy, La Presse

Un nouveau Marc Levy

Ghost in Love
Marc Levy
Robert Laffont/Versilio
360 pages

Difficile à croire, mais l’été est à nos portes et on commence à penser à nos lectures de vacances. Ça tombe bien, Marc Levy fait paraître son 20e titre, Ghost in Love, un roman sous le thème de l’amour filial et paternel. L’écrivain à succès – son dernier titre, Une fille comme elle, s’est vendu à plus de 400 000 exemplaires – flirte avec le fantastique dans cette histoire de fils qui se lance dans toutes sortes de péripéties pour réaliser la dernière volonté de son père mort. Est-ce pour mieux envelopper son personnage de fantôme que Marc Levy a choisi de camper l’action de son récit à San Francisco, la cité du brouillard ? On lui posera la question directement lors de son passage à Montréal le mois prochain. Marc Levy sera en séance de signature à la librairie Renaud-Bray Saint-Denis le 6 juin dès 17 h.

— Nathalie Collard, La Presse

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