Opinion  Lutte contre l’Ebola

Ebolaphobie, quand tu nous tiens

Je suis un travailleur humanitaire qui s’en va en Sierra Leone avec MSF. Ma plus grande peur, c’est celle des autres.

Mon travail sur le terrain consiste en grande partie à mesurer les risques auxquels l’équipe et moi devons faire face et trouver des façons de réduire ces risques. Je serai dans la capitale Freetown pour répondre à l’effondrement du système de santé. Ce n’est pas au cœur de l’épidémie, qui est dans l’est du pays, et mon travail ne me mettra pas en contact avec des personnes atteintes. Je prendrai, évidemment, toutes les précautions nécessaires sur place. Il n’y a jamais aucun risque, mais j’ai confiance en mon jugement, en mon équipe et au professionnalisme de mon organisation.

Par ailleurs, c’est bien la première fois que je dois composer avec l’anticipation des risques pour les miens : ma famille, mes amis et même la population en général. Toutefois, quand j’évalue les risques, avec toutes les informations dont je dispose, que ceux-ci puissent attraper l’Ebola de moi, c’est presque zéro. Il y a moins de risque de transmission de l’Ebola à mon retour que de mourir de la grippe, que d’avoir un accident d’auto ou tout autre risque que nous vivons au quotidien. Par conséquent, d’un point de vue professionnel, j’ai confiance que les mesures proposées de monitorage passif, soit de prendre ma température deux fois par jour et d’être attentif aux symptômes, sont suffisantes.

Mais voilà qu’arrive ce que j’appelle l’« Ebolaphobie ». Une peur irrationnelle de cette maladie inconnue, mortelle et virulente, que l’on connaît maintenant beaucoup plus depuis qu’il y a eu un décès en sol américain. D’accord, je comprends, une phobie, ça ne se contrôle pas. Je comprends la réaction de plusieurs d’avoir peur. Je devrai en prendre compte à mon retour et éviter les grandes fêtes de famille afin de ne pas imposer ma présence.

En fait, à mon retour, je devrai m’isoler, surtout pour ne pas contracter la grippe de quelqu’un d’autre et semer l’émoi autour de moi.

Mais cette peur généralisée va non seulement à l’encontre de la logique, elle est néfaste pour notre protection devant cette épidémie, puisque c’est la lutte contre l’Ebola qui en est affectée. Il faut le dire : partir en mission pour Médecins sans frontières dans des conditions déjà très difficiles, c’est une chose, mais ne pas avoir l’appui de ses proches ou lorsqu’on craint de ne pas être le bienvenu de retour à la maison, ça n’encourage pas les travailleurs humanitaires à se rendre sur place pour travailler à la seule solution efficace, c’est-à-dire intervenir pour réduire l’épidémie à sa source.

Les nouvelles sensationnelles déforment la réalité. Le potentiel d’avoir un cas d’Ebola au Québec cause plus de panique que la grippe saisonnière, qui fait des dizaines de victimes dans la province chaque année. Finalement, les questions relatives aux risques et aux perceptions du risque sont importantes et doivent être posées.

Ne nous laissons pas guider par la peur. Utilisons la peur pour qu’elle nous pousse à prendre les bonnes mesures dans les circonstances. Dans le type de démocratie que nous avons, la population, les médias et le gouvernement doivent savoir garder la tête assez froide pour nous permettre de prendre des décisions éclairées. Apprenons de nos réactions devant cette importante épidémie, parce qu’il y en aura d’autres.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.