Diversité au petit écran

Rien ne bouge

La question de la diversité culturelle au petit écran est sur toutes les lèvres, tant au Québec qu’aux États-Unis. Notre télévision représente-t-elle bien la société qu’elle met en scène ? Selon une compilation réalisée par La Presse, 5 % des personnages principaux mis de l’avant par les fictions québécoises sont issus des minorités visibles. Une statistique qui stagne depuis deux ans. Bilan.

Lors du gala télévisé des prix Gémeaux, dimanche dernier, le constat était frappant : la grande famille de la télévision québécoise célébrait ses artisans, majoritairement blancs. Mis à part Gregory Charles, qui a gagné dans la catégorie jeunesse, les acteurs et producteurs de la diversité étaient rares au Théâtre St-Denis.

Il y a près de deux ans, La Presse calculait que près de 5 % des rôles principaux des émissions de fiction québécoises de l’automne 2014 étaient tenus par des comédiens issus des minorités visibles. Cette même année, une table de concertation mise en place par Radio-Canada et la présidente de l’Union des artistes (UDA), Sophie Prégent, unissait pour la première fois l’ensemble des acteurs de la chaîne de production télévisuelle pour trouver des solutions à ce problème.

Deux ans plus tard, nous avons fait une nouvelle compilation, analysant cette fois-ci les personnages principaux mis de l’avant sur les sites internet des émissions de fiction des quatre chaînes généralistes (Radio-Canada, TVA, Télé-Québec et V). Dans l’ensemble, la situation a stagné : un peu plus de 5 % des rôles sont tenus par des comédiens issus de la diversité. Pour les nouveautés de l’automne 2016 seulement, cette statistique tombe à 3 %.

QUE S’EST-IL PASSÉ DEPUIS DEUX ANS ?

Luc Simard est le directeur responsable de la représentation de la diversité culturelle à la télévision de Radio-Canada. C’est lui qui a eu l’idée de réunir tous les acteurs de l’industrie de la télé pour réfléchir à des pistes de solution pour accroître la présence des minorités visibles.

« Au Québec, il faut remonter à 1996 pour parler d’une série où le premier rôle était tenu par une personne [issue de la diversité]. Il s’agit de l’émission Jasmine, qui était diffusée à Radio-Canada. »

— Luc Simard, directeur responsable de la représentation de la diversité culturelle à la télévision de Radio-Canada

M. Simard partage donc le constat que la situation évolue lentement, mais se félicite des progrès réalisés par le groupe de travail sur la diversité dans les dramatiques, qu’il pilote depuis deux ans.

« L’industrie fait face à plusieurs enjeux : la place faite aux femmes, les producteurs issus des minorités visibles, les enjeux de productions autochtones, ainsi que les budgets, qui tendent à diminuer. Avec tout cela, il n’est pas évident de garder [tous les acteurs du milieu] autour de la même table. Et pourtant, nous y arrivons », affirme-t-il fièrement à La Presse.

En plus de soutenir chaque année les auditions de la diversité, qui ont lieu en même temps que les auditions du Théâtre de Quat’Sous – une tribune pour les acteurs de la relève –, deux auteurs issus des minorités visibles sont désormais soutenus par Sylvie Lussier (L’Auberge du chien noir, 4 et demi ) et Michel Duchesne (La bande des six, L’enfer, c’est nous autres, et Tricoté serré au théâtre). L’objectif est qu’ils puissent écrire des émissions d’une demi-heure qui traitent de leurs réalités.

DE NOUVEAUX TALENTS, DE NOUVELLES COULEURS

Pour Pierre Pageau, coprésident de l’Association des directeurs de casting du Québec, le message envoyé par Vincent Leclerc dimanche dernier au gala des prix Gémeaux est primordial : il faut valoriser l’émergence de nouveaux visages au petit écran.

« Je trouve qu’avec ce message, on tient quelque chose. C’est le nerf de la guerre, parce que de ces nouveaux visages arriveront des comédiens des communautés ethniques », soutient-il.

Depuis deux ans, les directeurs de casting ont augmenté le nombre d’acteurs issus de la diversité qu’ils passent en audition. 

« Un jeune d’une communauté culturelle qui ne se voit pas à l’écran ne s’imaginera pas qu’il peut devenir comédien. Ensuite, notre rôle est de s’assurer qu’il a le bon rôle, en évitant les clichés, pour que les gens soient touchés par sa performance. »

— Pierre Pageau, coprésident de l’Association des directeurs de casting du Québec

La directrice artistique de la section française de l’École nationale de théâtre du Canada, Denise Guilbault, croit qu’il faut pousser les diffuseurs et les producteurs à prendre plus de risques et choisir des visages de la relève. À l’École, dit-elle, une augmentation du nombre de candidats issus des minorités visibles a été remarquée ces dernières années. « Et ils ne se présentent pas en touristes, ils sont vraiment intéressés », précise-t-elle.

« Avant, nous avions une personne de la diversité qui se présentait à nos auditions tous les six ans. Cette année, c’était un candidat sur six ! Et je vous parle ici du programme d’interprétation. En scénographie, c’est presque la moitié », dit Mme Guilbault.

ÊTRE À L’ÉCOUTE DE LA CITÉ

Jacques Mathieu, directeur général au contenu et au développement du Groupe V Média, croit pour sa part que la génération montante produira davantage de comédiens issus de la diversité, puisque ceux-ci s’inscrivent de plus en plus dans la culture québécoise.

« Chez nous, représenter la diversité urbaine est une préoccupation. Dans nos émissions de variétés, nous avons toujours des candidats issus [des minorités visibles]. […] Par le passé, nous avons mis en ondes Ces gars-là, avec Sugar Sammy et des comédiens qui jouaient les rôles de sa famille. Cet automne dans Ça décolle, Mehdi Bousaidan joue le rôle d’un copilote. C’est important qu’il soit mis de l’avant, dans un premier rôle, puisque [la diversité culturelle] occupe tous les rôles les plus importants dans notre société », dit-il.

Si tous les acteurs de l’industrie de la télévision ont la volonté réelle d’améliorer la représentation des minorités visibles à l’écran, les progrès en ondes dans les émissions de fiction sont toutefois lents à se concrétiser, surtout pour les premiers rôles.

« Les diffuseurs sont en compétition avec des sites comme Netflix. Mais en même temps, on n’a pas écouté Stranger Things pour voir Winona Ryder. On regardait les enfants. On n’écoute pas des shows à cause de vedettes. Dans Breaking Bad et Six Feet Under, il n’y avait personne de connu. Alors pourquoi ne serions-nous pas capables d’en faire autant ? », demande vivement Pierre Pageau.

« Pour ma part, je suis très optimiste. Tout le monde doit se poser la question : que puis-je faire pour changer les choses ? Et il ne faut pas lâcher », croit Denise Guilbault, qui quitte cet automne l’École nationale de théâtre après 15 ans comme directrice artistique.

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