Chronique

Merci de me laisser partir

L’an 2000 n’a pas commencé avec ce bogue informatique planétaire que l’humanité avait craint avec tant de tapage. Pour Margo Ménard, il a commencé avec un appel de son fils unique de 26 ans en stage à Fermont, en banlieue du Labrador.

« Maman, je traîne de la patte.

— Tu n’aimes pas ton stage ?

— J’adore mon stage. »

C’était vrai : féru de science, étudiant en génie minier à l’Université Laval, Sébastien Gagné-Ménard était dans son élément dans cette mine où il était en stage, à l’autre bout du Québec.

« Je traîne littéralement de la patte, maman. Je suis incapable de pousser mon pied dans ma botte. »

C’était la première manifestation d’un bogue qui sommeillait dans le système nerveux central de Sébastien, un bogue qui demeure à ce jour mystérieux pour la science, un bogue du nom de sclérose en plaques.

Ce n’est que deux ans plus tard que le diagnostic est tombé sans possibilité d’erreur.

Mais en ce premier jour de 2000, le corps de Sébastien Gagné-Ménard a amorcé une lente dégénérescence aussi pénible que cruelle et douloureuse.

Cette chronique raconte pourquoi et comment, 17 ans plus tard, Sébastien a choisi de mourir, seule porte de sortie pour échapper à ses douleurs.

Et c’est une chronique qui va se terminer sur une question, une question pour vous, lecteurs et lectrices.

***

« Il s’est battu, il s’est toujours battu. »

C’est ce que Margo Ménard me dit quand je la rencontre dans un café de Québec. Elle tient à ce que la chose soit dite, à ce que la chose soit propagée : Sébastien s’est toujours démené pour conserver ses acquis, pour repousser les ravages de la maladie, pour adapter son environnement à sa santé déclinante.

Sébastien a dépensé au fil des ans des milliers de dollars à faire adapter des logements à son état, est allé en Allemagne participer à un traitement soi-disant révolutionnaire du très médiatisé Dr Zamboni (sans fondement scientifique, finalement), a essayé tous les médicaments disponibles, a acheté des tas de gugusses électroniques qui promettaient de stimuler ses muscles atrophiés…

Tout ça à travers des deuils vertigineux (celui de sa santé, de sa carrière, de son couple, de sa motricité) et des douleurs épouvantables (on appelle cela des douleurs neuronales).

Le neurologue à la retraite Jean-Pierre Bouchard se souvient bien de Sébastien, il se souvient d’une forme de SP particulièrement virulente, rien à voir avec la forme latente qui gruge lentement certains patients, leur laissant malgré tout une certaine autonomie et de la qualité de vie.

« Malgré les médicaments, Sébastien n’a jamais vraiment repris le dessus. Il a perdu l’usage d’une jambe, puis de l’autre… »

— Jean-Pierre Bouchard, neurologue à la retraite

Sébastien est rapidement passé de la canne à la marchette puis au fauteuil roulant.

Il avait beau essayer d’adapter son environnement à coups de rénovations, la SP devançait sans cesse ces adaptations qui visaient à repousser le plus loin possible un transfert en CHSLD, perspective qui lui foutait le cafard.

Margo : « On a fait rénover le rez-de-chaussée de notre triplex, pour qu’il puisse y vivre. Mais les quelques marches à monter se sont rapidement avérées infranchissables. Il a donc acheté un condo, dans un immeuble avec ascenseur, condo qu’il a aussi fait adapter, par exemple pour pouvoir se transférer facilement dans la douche… »

Pas grave : Margo a fait appel au CLSC, Sébastien a eu 30 heures d’aide à domicile ; ce n’était pas suffisant, alors on a embauché une retraitée de l’immeuble pour lui donner un coup de main…

Se battre pour garder ses acquis, se battre pour rester chez lui, c’était aussi une façon pour Sébastien de garder le lien avec Emmanuelle, sa fille née en 2002.

Parce que malgré la douleur, malgré les deuils, malgré ce corps qui petit à petit se refermait sur lui, ce corps qui devenait son Alcatraz intime, malgré l’étiquette de « malade », Sébastien restait un père.

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