Vague de dénonciations à l’UQAM

Un féminisme radical de plus en plus visible

Masquées et vêtues de noir, une bande de femmes a parcouru les corridors de l’UQAM, le 20 novembre dernier, en placardant un peu partout des affiches et des autocollants contre la « culture du viol ». « La révolution sera féministe ou ne sera pas », pouvait-on lire sur une banderole. 

Après un creux de vague, le féminisme radical semble gagner une nouvelle ferveur militante à l’UQAM comme à l’extérieur de ses murs. On assiste à des manifestations, à la création de collectifs féministes, à des actions directes et à des coups d’éclat, comme les récentes dénonciations publiques.

« C’est la mesure de la colère des femmes. Il y a une volonté de radicaliser le mouvement, un besoin d’un féminisme militant, moins doux, moins délavé », affirme Martine Delvaux, professeure de littérature des femmes et de théories féministes à l’UQAM.

« Jusqu’à récemment, les féministes étaient mal vues et travaillaient dans l’ombre. On assiste au retour du balancier. On l’a vu avec les Pussy Riot, les Femen et les immenses manifestations. Je pense qu’il faut lire cet essor dans ce contexte social ; on assiste à un mouvement général, un momentum. »

— Martine Delvaux, professeure de l’UQAM

C’est dans cette veine qu’est né, en avril, le collectif québécois Hyènes en jupons, qui se décrit comme féministe radical affinitaire. Il s’inscrit notamment contre la présence dans les médias d’un seul visage du féminisme : le « féminisme pop blanc, libéral, domestiqué ».

Selon les Hyènes en jupons, « un féminisme qui ne dérange pas ne transforme absolument rien ». Sans lancer les récentes dénonciations publiques, les Hyènes en jupons ont contribué à leur diffusion sur Facebook, avant de recevoir une mise en demeure. « Dans toute la vague des dernières semaines, nous pouvons retenir qu’il a fallu que des féministes dérangent pour se faire entendre », a indiqué par courriel une représentante, faisant référence à l’embauche d’une intervenante spécialisée pour traiter les plaintes de harcèlement et d’agression à l’UQAM. « Des groupes féministes radicaux existent depuis longtemps à Montréal. […] Ces groupes sont conscients que le climat est propice à l’action puisque les médias traditionnels s’intéressent à cette question et leur ont donné une certaine visibilité. »

LA GRÈVE COMME ACCÉLÉRATEUR ?

« Le printemps 2012 a peut-être été un accélérateur de cette mobilisation, comme il l’a été de toutes sortes de manières socialement, dit Martine Delvaux. Le mouvement étudiant a été un lieu d’apprentissage du féminisme et il se peut que la mobilisation des femmes se soit accentuée. »

Marie-Ève Surprenant a codirigé le livre Les femmes changent la lutte sur le féminisme lors de la grève étudiante de 2012. « Jamais n’y a-t-il eu autant de femmes engagées sur les campus, dans les associations locales et nationales, et à titre de porte-parole, dans des tâches et des rôles aussi visibles », écrit-elle.

« Si certaines ressentent beaucoup d’amertume face à cette grève, d’autres savourent la victoire d’avoir pris la rue, d’avoir participé à une mobilisation sans précédent. Si la révolution souhaitée par certaines n’est pas advenue, les germes de la contestation ont été semés. »

— Marie-Ève Surprenant, co-directrice du livre Les femmes changent la lutte sur le féminisme

« En 2012, les femmes ont été beaucoup plus visibles dans les rôles traditionnellement masculins, avance la militante Camille Robert. Elles étaient des lignes de piquetage et dans les Black Blocs. » Selon elle, c’est grâce à l’organisation des femmes « en groupes distincts, comme le Comité femmes GGI, ou en groupes affinitaires ».

Parce qu’elles n’étaient pas satisfaites de leur place au sein des associations étudiantes, plusieurs féministes ont quitté les rangs. « Si les femmes ne trouvent pas la place qui leur revient dans les mouvements étudiants, elles vont la prendre ailleurs. Il y a alors création d’espaces non mixtes et affinitaires, ce n’est pas nouveau », indique Sandrine Ricci, chargée de cours au département de sociologie et chercheuse à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF).

« Est-ce que les féministes sont plus radicales depuis 2012 ou ont-elles eu plus de leviers pour se regrouper ? Les réseaux sociaux ont assurément permis une nouvelle façon de réseauter durant la grève », soutient Gaëlle-Mauve, militante.

Aussi, les féministes multiplient les ateliers, les journées de réflexion sur le consentement, le sexisme et la violence. Plusieurs comités femmes locaux ont vu le jour dans les universités et les cégeps. Le Comité femmes de l’ASSÉ organise, en mars de chaque année, un « camp de formation féministe » d’un week-end. En 2014, jusqu’à 200 femmes y ont participé.

« Maintenant, ça brasse beaucoup plus sur les campus, indique Jeanne Reynolds, du Comité femmes de l’ASSÉ dans Les femmes changent la lutte. Ça choque beaucoup de gens que les femmes s’organisent et s’activent, même des camarades de grève. »

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