Opinion Jocelyn Coulon

Un G7 de plus en plus éclaté

Le Sommet du G7 qui s’ouvre demain dans Charlevoix s’annonce comme le plus difficile depuis celui d’Évian en 2003.

À cette époque, il s’agissait d’un G8 (la Russie était membre), réuni immédiatement après l’invasion de l’Irak par les Américains et les Britanniques. Les divisions entre participants étaient telles que certains craignaient l’éclatement du groupe.

Il y a 15 ans, la guerre contre l’Irak avait opposé les huit grandes économies du monde sur le respect des règles internationales à suivre concernant les questions de paix et de sécurité. D’un côté, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon, et de l’autre, la France, l’Allemagne, le Canada et la Russie. Ce fut certainement la plus grande crise que les pays occidentaux ont affrontée depuis celle de Suez en 1956.

Si cette crise a fait apparaître les premières fissures entre Occidentaux, elle était trop secondaire pour en menacer l’édifice. Le sort de Saddam Hussein et de son pays n’allait pas conduire à une rupture au sein des pays occidentaux.

Cette fois, les différends qui minent les Occidentaux sont plus nombreux et les camps se recomposent en fonction de chacune des questions abordées.

Quatre d’entre elles ont le potentiel de transformer la rencontre du G7 en dialogue de sourds : le commerce international, la Russie, les migrants et les changements climatiques. Et sur toutes ces questions, le grand perturbateur qui s’amène dans Charlevoix, Donald Trump, n’est pas si isolé qu’on le prétend.

Le président américain a déjà lancé quelques grenades avant l’ouverture du sommet. Les États-Unis ont quitté l’accord sur le nucléaire iranien et averti qu’ils imposeraient des sanctions aux entreprises, essentiellement européennes, qui feraient des affaires avec Téhéran. 

Sur un tout autre sujet, ils viennent d’imposer des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium en provenance d’Europe, du Japon et du Canada. La réaction ne s’est pas fait attendre, mais dans la réalité, les Canadiens et les Européens ne peuvent qu’espérer que tout cela ne finisse pas en guerre commerciale. Ils seraient les premiers à en pâtir.

La Russie sera aussi au menu de ce G7. Contrairement aux années passées, toutefois, les participants avancent en ordre dispersé face à Vladimir Poutine.

Trump cherche toujours le moyen de nouer une vraie relation avec le président russe et il n’est plus le seul. Macron s’est rendu en Russie pour relancer le dialogue et promouvoir le savoir-faire industriel français. Angela Merkel a fait de même afin de discuter d’approvisionnement en gaz et d’autres matières premières.

Le nouveau gouvernement italien, lui, est carrément prorusse. Dans sa plateforme, il est écrit noir sur blanc qu’il n’y a pas lieu de considérer la Russie « comme une menace militaire, mais plutôt comme un partenaire », et qu’il convient « de lever les sanctions qui lui ont été imposées ». Il reste le Canada et le Royaume-Uni, farouchement opposés à tout dégel.

Sur les migrants, la discussion risque d’être très vive. Là encore, Trump peut compter sur l’Italie. Le nouveau vice-premier ministre, issu de l’extrême droite, a en effet averti les migrants que « la planque, c’est fini » et qu’ils doivent partir, un langage très trumpien. Les politiques de l’Union européenne sur l’immigration et l’accueil des réfugiés sont un des facteurs de la montée des populistes en Europe et elles divisent profondément les 28 pays membres.

Enfin, sur les changements climatiques, on ne voit pas comment réconcilier Américains et Européens. Le Canada, pays hôte, pourrait tenter d’établir un pont, mais la décision d’acheter l’oléoduc Kinder Morgan afin de tripler l’exportation du pétrole bitumineux place Justin Trudeau de plus en plus dans le camp de Washington.

Samedi, le Canada cherchera à trouver les mots justes afin de présenter ce sommet du G7 comme une autre brillante manifestation de la solidarité occidentale face aux « défis » et aux « menaces » de notre temps. On connaît ce refrain, entonné dans tous les communiqués finaux des rencontres officielles.

Il y aura des consensus, c’est certain, mais ne soyons pas dupes. Les fissures apparues en 2003 se sont élargies.

Les membres du G7 ont de plus en plus de difficulté à s’entendre sur une ligne commune pour apporter des solutions et mobiliser des moyens afin de faire face aux questions de l’heure.

Cette situation est le résultat des dynamiques politiques, sociales et économiques internes à chacune des sept puissances économiques. Ces dynamiques s’accentuent d’année en année, comme le démontrent le Brexit, l’élection d’un président américain protectionniste, la victoire des populistes en Italie et l’effritement du consensus libéral établi au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Dès lors, le sommet de Charlevoix risque moins d’être une rencontre G6 + 1, comme le laissait entendre le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire en pointant l’isolement des États-Unis par rapport aux autres, que le prélude à des sommets de plus en plus éclatés, de futurs G + 7.

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