Éditorial Politique culturelle du Canada

Joli cadeau à Netflix

Alors, combien ? Combien le Canada obtiendra-t-il de plus de Netflix ? Après 50 minutes de discours, Mélanie Joly était encore incapable de répondre.

La ministre du Patrimoine se vante d’avoir négocié une entente sans précédent :  un engagement de Netflix à investir 500 millions en cinq ans dans les productions canadiennes. Mais est-ce plus que ce que le géant américain dépense en ce moment ? Plus que ce qu’il projetait dépenser à l’intérieur de son budget mondial de 6 milliards ? En 2016, selon La Presse canadienne, Netflix se félicitait d’avoir « commandé des centaines de millions de dollars en programmation originale produite au Canada »…

Mme Joly a d’ailleurs avoué hier que Netflix investissait déjà beaucoup chez nous et que ce budget allait croître. On a envie de lui répondre : à quoi sert l’entente alors ?

Même si on ignore ce que Mme Joly a gagné, on connaît par contre ce qu’elle a offert en retour : le droit de rire de nous.

Le message est dérangeant : vous préféreriez ne pas payer d’impôt ou ne pas prélever de taxe de vente ? Venez au Canada, faites comme chez vous. Suffit de dire les mots magiques #innovation et #numérique dans la même phrase. On vous laissera concurrencer déloyalement nos entreprises comme Tou.tv et Club Illico, qui respectent le régime fiscal. On ne vous demandera même pas de contribuer au Fonds des médias qui finance la production canadienne. Si l’industrie locale se plaint, on négociera un petit quelque chose entre nous. Un cent millions par année dépensés à votre discrétion, à court terme, sans exigence de contenu francophone.

Hélas, c’est ce vague « quelque chose » qui constituait le cœur de l’annonce triomphale d’hier.

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Même si les 100 millions par année étaient un ajout net dans la production canadienne, cela demeurerait préoccupant. Car ce n’est pas une véritable politique culturelle qui a été dévoilée hier. C’est un diachylon avec quelques chèques.

Il faut reconnaître que les libéraux n’hésitent pas à sortir le chéquier pour aider la culture. Grâce à eux, le budget du Conseil des arts avait déjà doublé. Et hier, Mme Joly a ajouté des sommes pour exporter le travail de nos créateurs. Mais pour la nouvelle vision, on attend encore.

Mme Joly promettait d’adapter notre vieille politique au monde numérique. Elle a passé la dernière année à prétendre que tout était sur la table, à consulter les experts et à faire grimper les attentes. Or, rien n’a été annoncé hier sur la Loi sur la radiodiffusion, qui date de l’ère du fax. Rien non plus sur la Commission et la Loi régissant les droits d’auteur. Elle promet d’y revenir dans les prochains mois. Pour le reste, elle a simplement commandé un rapport au CRTC sur la création et la diffusion à l’ère du numérique.

Le gros morceau de l’annonce portait sur la crise de la télé. On connaît le contexte :  nos télédiffuseurs perdent des revenus en publicité et en abonnement, à cause entre autres de la concurrence de sites d’écoute en ligne. Et cette concurrence est inéquitable. Car contrairement aux câblodistributeurs, Netflix ne cotise pas 5 % de ses revenus au Fonds des médias, qui finance la production canadienne.

Ce système ne fonctionne plus. On aurait pu forcer Netflix à y contribuer. Ou on aurait pu trouver un nouveau modèle, qui ajoute des contraintes à Netflix tout en allégeant celles pour les entreprises canadiennes. Mais rien n’a été changé.

Le système reste le même pour les télédiffuseurs ; Ottawa ne fera que compenser leurs pertes au Fonds des médias à partir de 2018. Et on comprend mal ce qui change pour les entreprises étrangères. Ottawa promet seulement de négocier des ententes bilatérales, comme celle avec Netflix. Cela n’a rien de structurant. On négocie à la pièce, une entreprise à la fois, pour une durée limitée, sans demander en retour quelque chose d’aussi élémentaire que le respect de notre régime fiscal.

C’est d’autant plus risible que pendant ce temps, le ministre des Finances Bill Morneau serre la vis à nos PME au nom de l’équité.

Au fond, le dérapage a commencé en 2015 quand Stephen Harper promettait de ne jamais imposer une infâme « taxe Netflix ». Par électoralisme, le chef conservateur mélangeait plusieurs choses : la contribution au Fonds des médias, la taxe de vente et l’impôt sur le revenu. Le chef libéral Justin Trudeau est tombé dans le piège. Par crainte de perdre des votes, il a juré de ne pas imposer une « nouvelle taxe » à la classe moyenne. Cette confusion sert depuis de boussole à la ministre Joly. Comment s’étonner alors qu’elle se soit égarée ?

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