Opinion

Les politiques publiques judicieuses ne tombent pas du ciel

L’adoption de programmes publics performants exige un effort conscient de la part de gens qui ont à cœur l’intérêt général

Les politiques publiques occupent une grande place dans les journaux. Parmi les sujets de l’heure, notons les relations commerciales houleuses entre le Canada et les États-Unis, la tarification du carbone au pays – tant sa pertinence que ses modalités – ainsi que l’imposition des sociétés privées. En règle générale, les journalistes présentent les points de vue des tenants et des opposants de ces politiques.

Malgré la véhémence des pugilistes, force est de reconnaître que les choses sont rarement toutes blanches ou toutes noires dans l’arène des politiques publiques. On est ici dans la nuance, et ce sont des sujets dont on peut débattre longuement. Cela dit, il ne faudrait pas en conclure qu’en cette matière, on peut faire tout et son contraire.

Mais au fait, quelles sont les caractéristiques d’une politique publique judicieuse ?

D’abord et avant tout, il faut impérativement savoir distinguer l’objectif de la politique et ses modalités. L’objectif peut donner lieu à des débats sans fin.

Par exemple, quelle place l’État doit-il occuper dans la vie économique d’une nation ? L’État doit-il soutenir les personnes retraitées ou laisser à chacun le soin d’épargner en prévision de ses vieux jours ? Y a-t-il des pays en développement auxquels le Canada devrait apporter une aide économique et, dans l’affirmative, lesquels ? Nos soldats doivent-ils œuvrer au maintien de la paix ou participer à des missions offensives ?

Ce ne sont là que quelques exemples des questions dont on peut et dont on doit débattre, mais auxquelles on ne trouvera jamais de réponse absolue, puisque les valeurs de chacun s’immiscent dans le débat.

Agissant dans l’espace politique, les gouvernements tentent de dégager un consensus de ces points de vue divergents, puis choisissent leurs objectifs. L’exercice n’est pas simple. Une fois l’objectif politique fixé, les dirigeants ne sont pas au bout de leurs peines, puisqu’il n’y a jamais une seule façon de parvenir à un objectif.

C’est ici qu’entrent en scène les modalités de la politique et que les choses deviennent plus objectives. Une politique judicieuse répond aux quatre conditions ci-après.

1 – Atteindre son objectif

Premièrement, elle atteint son objectif. Sinon, pourquoi l’adopter ?

L’entente entre le gouvernement fédéral et la Banque du Canada sur le maintien du taux d’inflation à 2 % par année au pays illustre ce principe. En effet, le taux moyen d’inflation oscille autour de 2 % depuis 20 ans, ne variant pour ainsi dire pas. Que l’on soit en faveur ou non de l’objectif énoncé, on ne peut nier l’efficacité de la politique.

2 – Limiter les effets pervers

Deuxièmement, une politique judicieuse a peu d’effets indésirables. De nombreuses politiques ont des conséquences imprévues qui, parfois, peuvent l’emporter sur leurs avantages directs. C’est là un problème non négligeable.

Prenons l’exemple de la gestion de l’offre dans les secteurs laitier et avicole au Canada. Mise en place à l’origine pour assurer aux agriculteurs un revenu stable, cette politique n’est viable que si les importations sont assujetties à des tarifs douaniers très élevés. Or, ces tarifs exercent une pression à la hausse sur les prix à la consommation et constituent une entrave pour le secteur de la transformation des aliments, désormais non concurrentiel sur l’échiquier mondial. On est en droit de se demander si le jeu en vaut la chandelle.

3 – Limiter les coûts

Troisièmement, une politique judicieuse atteint son objectif au moindre coût possible. Les ressources dont nous disposons étant limitées, nous ne pouvons pas nous permettre d’en gaspiller pour réaliser nos buts : moins l’application de la politique coûte cher, plus on peut aiguiller de ressources vers d’autres priorités.

Ainsi, pour diminuer l’émission de gaz à effet de serre, la tarification du carbone est préférable à l’adoption de règlements coercitifs. On peut débattre des changements climatiques et de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais à partir du moment où l’État décide d’aller dans cette direction, la tarification du carbone présente le grand avantage d’être beaucoup moins coûteuse pour l’économie que la voie réglementaire.

4 – Communiquer efficacement

Arrive l’étape sans doute la plus délicate du processus : la communication. Une politique judicieuse doit être communiquée au grand public, dont l’appui est essentiel à sa mise en place et à sa pérennité. La plupart du temps, les politiques publiques sont des échafaudages complexes aux multiples ramifications, à la fois scientifiques, économiques, politiques et sociales. Il n’est pas facile de les mettre à la portée du grand public. C’est pourtant une étape incontournable.

Ottawa a échoué lamentablement à cet égard dans le dossier de l’imposition des sociétés privées. Le désir du gouvernement de modifier les règles d’imposition repose sur de solides arguments économiques et politiques, mais les communications bâclées et incohérentes pourraient fort bien sonner le glas de son projet.

L’adoption de politiques publiques judicieuses est un gage de paix et de prospérité. Cependant, ces politiques ne tombent pas du ciel : elles exigent un effort conscient de la part de gens qui ont à cœur l’intérêt général. Le Canada a besoin d’un plus grand nombre de ces décideurs.

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