Frantz Saintellemy, PDG et cofondateur du Groupe 3737

Une star des technos au service des « migrantrepreneurs »

Ingénieur électrique, détenteur d’une maîtrise en gestion de l’énergie du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Frantz Saintellemy a réalisé un parcours professionnel exceptionnel qui aurait pu l’amener directement à trôner au sommet d’une entreprise de haute technologie de la Silicon Valley. Il a plutôt décidé de consacrer son temps et son talent à stimuler l’entrepreneuriat chez ses compatriotes d’origine haïtienne et tous les migrants qui ont choisi de vivre à Montréal.

Depuis 2015, Frantz Saintellemy a mis en veilleuse sa carrière d’entrepreneur, de gestionnaire et de développeur de produits de haute technologie pour fonder avec sa conjointe, Vickie Joseph, spécialiste en design et mode, le Groupe 3737, l’un des plus gros incubateurs d’entreprises privées au Québec.

Localisé au 3737, boulevard Crémazie, en plein quartier Saint-Michel, l’incubateur accueille présentement 35 entreprises en démarrage et a déjà formé plus de 200 entrepreneurs de nationalité haïtienne, mais aussi africaine, asiatique, maghrébine ou indo-pakistanaise.

Le Groupe 3737 dispose de près de 50 000 pieds carrés sur les quatre niveaux de la tour de 12 étages qu’il a achetée pour les mettre à la disposition d’entreprises en devenir. Frantz Saintellemy assure personnellement des séances de formation sur tous les aspects de l’entrepreneuriat dans le contexte de la réglementation québécoise.

« Le “migrantrepreneur” ne s’y reconnaît pas dans les dédales des programmes de son nouveau pays d’adoption. On les guide. On a créé une structure en accordéon où on assure la formation, l’accompagnement et l’encadrement professionnels.

« Mais on les soumet tous au “défi 3737”, c’est-à-dire qu’ils doivent tous intégrer une composante technologique à leur projet », expose-t-il.

« Que ce soit une entreprise de service, de design, de mode, d’énergie renouvelable ou de construction, il doit y avoir un volet technologique, et on les supporte de l’idéation à son implantation. »

— Frantz Saintellemy

L’entrepreneur-formateur a décidé de mettre son expérience en technologies et en gestion d’entreprise au service de la communauté en créant cette organisation sans but lucratif.

« On a créé le Groupe 3737 avec l’objectif de stimuler l’entrepreneuriat auprès des nouveaux arrivants, pour les amener à développer autre chose que des petits commerces de subsistance.

« Si on peut amener un entrepreneur à développer une entreprise qui réalise des revenus de 3 millions qui embauche 10 personnes, on est heureux », souligne Frantz Saintellemy.

Une vedette techno

C’est à l’âge de 8 ans que Frantz Saintellemy a quitté Haïti pour se retrouver à Montréal, dans le quartier Saint-Michel, pour commencer une nouvelle vie, lui qui ne maîtrisait pas encore le français à son arrivée.

Après une première adaptation difficile, le jeune Haïtien a rapidement trouvé ses repères et démontré des aptitudes d’apprentissage évidentes qui l’ont amené à faire des études postsecondaires à la Northeastern University, à Boston.

« Durant mes études d’ingénierie, j’ai été embauché pour faire un stage chez Analog Devices, une firme spécialisée dans la fabrication de puces électroniques. J’y ai travaillé durant toutes mes études, et ils m’ont engagé. J’y suis resté de 1996 à 2003 », rappelle Frantz Saintellemy.

On était en plein dans la période où la bulle technologique prenait chaque jour une ampleur plus démesurée. Frantz Saintellemy se démarque lorsqu’on lui confie une toute nouvelle division d’affaires.

Il devient le plus jeune chef de division chez Analog Devices. Parti de rien, il monte en deux ans les ventes de cette nouvelle entité à 380 millions de dollars. Il deviendra par la suite directeur de l’ensemble de la division commerciale de cette entreprise cotée au NASDAQ.

« C’était fou. De 2000 à 2001, la valeur de notre action est passée de 100 à 200 $, le titre a été fractionné et a doublé encore de valeur. »

— Frantz Saintellemy

« Après le krach de 2001, l’action d’Analog Devices est tombée à 34 $ même si l’entreprise était et est restée encore aujourd’hui très rentable », souligne le spécialiste des puces électroniques.

En 2003, il quitte Analog Devices et Boston pour revenir à Montréal où il est recruté par le président-fondateur de Future Electronics, le milliardaire Robert Miller.

Là encore, il fait sa marque chez ce leader mondial de la distribution de composantes électroniques qui compte plus de 200 000 clients sur la planète.

Il crée la première division de fabrication de puces électroniques de Future Electronics et devient chef de la direction technologique, en plus d’être responsable du marketing et des grands comptes stratégiques.

Le saut entrepreneurial

Après huit années passées chez Future Electronics, Frantz Saintellemy fait le grand saut entrepreneurial en 2011 en s’associant avec un groupe d’investisseurs allemands pour réaliser l’acquisition de 2MDI, la division de fabrication de puces électroniques de l’ancien Centre de recherche de microtechnologie d’Allemagne de l’Est. Il en devient le PDG.

« Nos partenaires allemands n’en revenaient pas. Moi, un étranger, un petit Haïtien, un Noir, j’allais diriger leur entreprise et être responsable de leur investissement…

« Lorsqu’on a acheté 2MDI, en 2011, l’entreprise réalisait des revenus de 30 millions US. Quatre ans plus tard, quand on l’a vendue 325 millions US, 2MDI réalisait des ventes de 100 millions et avait un carnet de commandes de 1 milliard pour les 10 prochaines années. Ils ont fait un sacré coup d’argent », constate l’entrepreneur.

Frantz Saintellemy ne voulait pas vendre. Il était convaincu du potentiel de l’entreprise, mais il était actionnaire minoritaire avec 10 % des actions, et les gros actionnaires, notamment l’État de la Saxe et un fonds d’investissement allemand, voulaient à tout prix collecter.

Cette transaction lui a permis de retrouver un rythme de vie plus normal. Père de jeunes enfants, Frantz Saintellemy partait tous les dimanches soir de Montréal pour se rendre à Dresde, en ex-Allemagne de l’Est, pour faire le trajet inverse les jeudis ou vendredis soir.

Sans compter les incessants déplacements qu’il devait faire à travers le monde pour rencontrer ses grands clients. Il a croisé à de multiples reprises Steve Jobs, il était chez lui à Silicon Valley.

« J’ai décidé de redonner à la communauté et au quartier Saint-Michel où j’ai grandi. Je suis heureux de participer à la revitalisation du coin qui fait des grands progrès et aux migrants entrepreneurs qui veulent eux aussi contribuer à leur société d’accueil », insiste Frantz Saintellemy.

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