Chronique

Jambon, cocos et chocolat

Pour Pâques, je vous propose un petit quizz.

Quel est, à votre, avis, le principal produit d’exportation du secteur agroalimentaire québécois ? La réponse est facile, c’est le porc. Avec des ventes de 1,4 milliard en 2015, le porc comptait pour 19 % de toutes nos exportations.

Et maintenant, une question plus difficile. Quel est le deuxième produit d’exportation ? Le sirop d’érable ? Le lait ?

Vous n’y êtes pas du tout. C’est le chocolat et les produits du cacao ! Le Québec exporte pour 1 milliard de chocolat, presque exclusivement aux États-Unis. C’est 14 % de nos exportations agroalimentaires.

Et maintenant, pour compléter la trilogie pascale, après le porc – et donc le jambon – et après le chocolat, il faut parler des cocos, les œufs.

Où se situeraient les œufs, dans ce classement ? Ils ne sont nulle part, parce qu’en 2015, le total des exportations d’œufs, c’était un gros zéro.

Vous aurez compris que je me sers de la résurrection du Christ – c’est quand même ce que l’on est censés célébrer à Pâques – comme prétexte pour parler de ce que le ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) appelle maintenant l’industrie bioalimentaire. Le temps est bien choisi, après les sucres, et avant que la terre dégèle.

Ces trois filières, le porc, le chocolat et les œufs illustrent trois facettes du secteur bioalimentaire, avec sa diversité, sa complexité, ses paradoxes.

Commençons par le plus étonnant, le chocolat. S’il surpasse des productions agricoles plus classiques, cela tient au fait que la définition du secteur bioalimentaire ratisse large : l’agriculture et les pêcheries, la transformation des aliments, la distribution alimentaire de gros et de détail, les services alimentaires. Les brasseries en font partie, les brasseurs, le tabac, les restaurants, des commerces comme Dollarama, et bientôt le cannabis.

Cette définition permet de gonfler l’importance du secteur et de dire que le bioalimentaire compte pour 6 % du PIB québécois et 12 % des emplois.

Mais en étirant autant l’élastique, on en arrive à des résultats un peu surprenants, comme cette histoire du chocolat.

Le Québec est un grand producteur et exportateur de chocolat parce qu’un des grands acteurs de cette industrie mondiale très concentrée, la multinationale suisse Barry Callebaut, s’est installé il y a plus de 20 ans à Saint-Hyacinthe notamment à cause du taux de change et du prix du sucre, plus bas qu’aux États-Unis. Son usine, maintenant la plus grosse d’Amérique du Nord, produit du sirop, des pépites, du chocolat moulé pour des entreprises de transformation américaines. Il y a une industrie québécoise, comme Laura Secord, des artisans de grand talent. Mais les gros chiffres, c’est Barry Callebaut.

Il est assez évident que les deux produits qui entrent dans la fabrication du chocolat ne poussent pas ici. Les fèves de cacao proviennent des zones équatoriales et le sucre, des régions tropicales, depuis qu’on ne produit plus de sucre de betterave.

Cela nous rappelle que le bioalimentaire dépasse largement l’univers strictement agricole. D’ailleurs, sur un PIB bioalimentaire de 22 milliards en 2015, la production des fermes représentait 3,6 milliards, soit 16 % du total. Il y a aussi une composante industrielle et des activités très éloignées de l’agriculture, dont il faut tenir compte.

Et maintenant, les œufs.

Pourquoi pas d’exportation ? Parce que les œufs sont régis – comme le lait et la volaille – par un système de gestion de l’offre.

On plafonne la production pour maintenir les prix élevés et assurer un bon revenu aux agriculteurs. Pour y parvenir, on oblige les exploitants à détenir des quotas, des droits de produire, et on bloque les importations par un système très strict de contingentement.

Le système a des effets pervers. Une concentration assez grande, entre 131 producteurs. Des contraintes phénoménales, car les quotas, à 245 $ par poule pondeuse, peuvent coûter 8 ou 9 millions pour une ferme moyenne. Sans compter les prix, de 20 % à 30 % plus élevés qu’aux États-Unis.

Ce système a un autre effet. Comme on ferme la porte aux étrangers, ceux-ci nous ferment aussi la porte, d’où l’absence d’exportations, ce qui prive nos producteurs de la possibilité de se développer outre-frontière.

Cela me ramène au porc. On justifie la gestion de l’offre par l’importance de protéger notre agriculture de la concurrence étrangère et des inégalités climatiques. L’industrie porcine, elle, n’est pas protégée par la gestion de l’offre. Elle est soumise à la concurrence et aux fluctuations de prix. Et pourtant, elle se développe. Le Québec est devenu le cinquième exportateur mondial de porc. La production porcine a augmenté de 56 % entre 2006 et 2015, soit trois fois plus que les 18 % du lait.

Ça nous rappelle à quel point nos agriculteurs peuvent être dynamiques et résilients, et qu’il est possible au Québec, de réussir autrement que sur le mode défensif.

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