Science

Le gène qui gouverne le cerveau des ados

Ils foncent à toute allure en voiture, ont les émotions à fleur de peau, cèdent à leurs impulsions sans penser toujours aux conséquences. Le cerveau humain est une machine électrique, et il suffit d’observer les adolescents dans leurs pires moments pour comprendre qu’il reste encore quelques fils à attacher dans la leur. Une chercheuse de McGill vient justement de découvrir un gène qui commande le déploiement de ces fils… et qui est directement contrôlé par les expériences vécues pendant l’adolescence. Plongeon dans les mécanismes qui déterminent ce que nous sommes.

Des pulsions à tempérer

Des scientifiques l’ont comparé à un régulateur qui tempère nos « pulsions de type sexe, drogues et rock and roll ». Le cortex préfrontal est cette partie du cerveau qui nous empêche de céder à toutes nos envies. Le hic : chez les adolescents, il ne fonctionne pas parfaitement, car il est encore en construction. Voilà pourquoi leur comportement paraît parfois si… particulier (pour bien comprendre, sachez que l’alcool affecte justement le cortex préfrontal. Pas étonnant qu’on parle de l’ivresse de la jeunesse). Jusqu’à maintenant, cependant, on ignorait comment se construit le cortex préfrontal des adolescents ainsi que les facteurs exacts qui peuvent l’influencer.

Un gène crucial

L’équipe de Cecilia Flores, professeure adjointe au département de psychiatrie à l’Université McGill et chercheuse à l’Institut Douglas, a fait une première percée significative en 2013. En changeant l’activité d’un gène appelé DCC dans le cerveau de souris adolescentes, les chercheurs ont découvert qu’ils pouvaient les rendre meilleures ou moins bonnes à accomplir des tâches cognitives. En examinant le cerveau de ces souris, ils ont ensuite découvert qu’ils avaient en fait modifié les connexions entre le cortex préfrontal et les autres régions du cerveau. « Le gène DCC organise les circuits du cerveau durant l’adolescence », résume Mme Flores. Et ce n’est pas qu’une histoire de souris : les chercheurs ont montré que ce gène est actif dans le cerveau humain, et même trouvé qu’il était suractivé dans le cerveau d’adolescents qui se sont suicidés à la suite d‘une dépression majeure.

Attacher les fils

Par quel mécanisme le gène DCC gouverne-t-il le développement du cortex préfrontal ? Dans une étude qui vient d’être publiée, l’équipe de la professeure Flores a montré qu’il contrôle littéralement l’installation des fils qui connectent cette région du cerveau aux autres. Le gène gouverne en effet la croissance des axones, des fibres qui connectent les neurones entre eux. « Le gène DCC dit aux axones : toi, tu restes ici. Toi, tu continues à pousser vers le cortex préfrontal et tu vas t’attacher à cet endroit précis », illustre la professeure Flores. Auparavant, on ne savait même pas que ces axones continuaient de pousser vers le cortex préfrontal à l’adolescence. Une découverte qu’on doit notamment à l’étudiante Lauren Reynolds, du laboratoire de la professeure Flores.

Des expériences qui nous forment

Fait crucial, l’activité du gène DCC est modulée par les expériences que nous vivons pendant l’adolescence. Quand on dit que nos expériences de jeunesse nous forment, il faut donc le prendre au sens littéral : elles modifient l’architecture même de notre cerveau. L’équipe a, par exemple, montré que le stress et la consommation de drogue chez la souris modulent l’activité du gène DCC et nuisent à la connectivité entre le cortex préfrontal et les autres zones du cerveau. « Je souhaite maintenant étudier les expériences positives – les effets d’un environnement stimulant, par exemple. Nous avons déjà des résultats préliminaires qui montrent que l’exercice à un effet », dit la professeure Flores, qui rappelle que les connexions qui s’établissent à l’adolescence durent toute la vie. « Les fils s’installent pendant une période où il se passe tellement de changements, dit-elle. Ça rend cette installation vulnérable. Les fils peuvent ne pas s’installer, ou s’installer au mauvais endroit. Je pense que ces connaissances ont un impact important sur la prévention chez les adolescents. »

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