Soccer  Les 25 ans de l’Impact

Le début d’une grande aventure

Il y a 25 ans, le 14 mai 1993, l’Impact de Montréal disputait son premier match dans l’American Professional Soccer League à Los Angeles contre le Salsa. Des acteurs de l’histoire de l’Impact reviennent sur ces débuts.

Les intervenants

Pino Asaro

Ancien directeur général de l’Impact (1993-1994)

Fondateur et président de Lubital, rédacteur spécialisé en Formule 1 pour le Corriere Italiano

Nick De Santis 

Ancien joueur, capitaine et entraîneur de l’Impact 

Vice-président de l’Impact, relations internationales et développement technique

Marco Rizi 

Ancien défenseur de l’Impact 

Entrepreneur en rénovation en Ohio

Otmane Ibrir

Ancien milieu de terrain de l’Impact 

Directeur technique régional de l’Association régionale Soccer Richelieu-Yamaska

Patrice Ferri

Ancien défenseur de l’AS Saint-Étienne, de l’Olympique Lyonnais et de l’Impact 

Consultant pour beIN SPORTS France

Djamel Laarabi 

Ancien gardien de l’Impact 

Entraîneur-chef des gardiens de but de l’Association régionale Soccer Richelieu-Yamaska

Patrick Leduc

Ancien milieu de terrain de l’Impact 

Analyste à RDS

Une nouvelle équipe

Le 14 mai 1993, l’Impact disputait le premier match de son histoire, quelques mois seulement après sa fondation par la famille Saputo. Même si l’équipe, bâtie sur les cendres du Supra disparu l’année précédente, terminera en bas de classement de l’American Professional Soccer League (APSL), les fondations pour le premier quart de siècle sont posées. Retour sur cette première saison avec plusieurs protagonistes.

« En 1992, il était évident que la CSL [Ligue canadienne de soccer] allait disparaître. On m’avait mandaté pour inscrire le Supra dans l’APSL comme Vancouver l’avait fait. J’ai fait un plan d’affaires, je suis allé vers le bureau de l’APSL, puis j’ai présenté le dossier à Frank Aliaga, propriétaire du Supra. Il a dit que c’était trop cher puisque notre budget était le tiers des exigences de la ligue. Montréal n’avait aucun espoir de rester dans le portrait du soccer professionnel. Le commissaire de l’APSL m’a rappelé pour que je trouve un autre investisseur. Mon premier appel a été pour Joey Saputo puisque Saputo était l’un des quatre commanditaires majeurs du Supra. […] Il en a parlé à son père à qui j’ai fait une présentation, la vente de ma vie même. On a eu une deuxième rencontre, un jeudi soir. M. Lino [Saputo] m’a serré la main en me disant que ça regardait bien et qu’il rencontrait sa famille le lendemain. Le vendredi, vers 10 h, Joey m’a appelé en me disant que c’était fait. »

— Pino Asaro, directeur général de l’Impact (1993-1994)

« Ce n’était pas une surprise quand [Saputo] a acheté le club parce qu’ils étaient déjà connus comme un commanditaire important. Joey était très jeune [28 ans], mais il était déjà impliqué au temps du Manic et proche de certains joueurs comme Tony Towers. Il a toujours été impliqué dans le soccer, que ce soit au niveau personnel ou professionnel. »

— Nick De Santis, milieu de terrain de l’Impact (1993-1998 et 2000-2003)

« Nous étions enthousiastes parce qu’il y avait un nouveau propriétaire. Joey est arrivé, il a sauvé la situation alors que nous tentions de survivre et que nous n’avions joué pour pratiquement aucun argent l’année précédente. Nous souhaitions montrer notre appréciation d’avoir encore un emploi. C’était bien d’avoir un peu de stabilité au niveau des propriétaires. »

— Marco Rizi, défenseur et capitaine de l’Impact (1993-1994 et 1996)

***

En février 1993, l’Impact embauche un entraîneur bien connu des Montréalais : Eddie Firmani. En plus du Manic et du Supra, le Sud-Africain avait aussi dirigé le célèbre Cosmos de New York. Parallèlement, Asaro doit bâtir un effectif.

« J’ai connu Firmani avec le Supra, l’Impact et, entre les deux, je l’ai même suivi lorsqu’il est allé entraîner au sultanat d’Oman. Il rayonnait, avait énormément de charisme et une grosse personnalité. Il n’était pas le meilleur pédagogue, mais c’est un ancien joueur qui connaissait le foot sur le bout des doigts. Il sentait les choses, l’ambiance du vestiaire et, en match, il comprenait très vite d’où venaient les problèmes. Pour les travailler, par contre, ce n’était pas son point fort. »

— Otmane Ibrir, milieu de terrain de l’Impact (1993-1994)

« Il avait coaché le Cosmos et, donc, de très grands joueurs. Avec nous, il s’est un peu comporté comme un grand-père, dans le bon sens du terme. Très vite, il m’a sollicité pour essayer de l’épauler et devenir un relais vis-à-vis de l’équipe. Je suis même devenu capitaine [au cours de la saison 1993]. »

— Patrice Ferri, défenseur de l’Impact (1993-1994)

« C’était quelqu’un de très expérimenté. On savait qu’il avait joué pour l’Inter et qu’il avait été un attaquant prolifique. C’était aussi une personnalité incroyable. C’est quelqu’un qui m’a pris sous son aile et j’ai énormément appris de lui. Il était un véritable professionnel et c’était super de l’avoir dès le début pour stabiliser les choses. »

— Marco Rizi

« Pour construire l’équipe, j’avais une liste de joueurs à aller chercher, notamment les meilleurs Canadiens qui étaient avec le Supra ou ailleurs dans la LCS. On a cependant dû attendre que tous les joueurs soient libérés puisque la LCS imposait un moratoire de six mois après la fermeture d’une équipe. Du 1er octobre à la fin mars, je ne pouvais engager aucun joueur même s’il était entendu qu’ils joueraient avec nous. »

— Pino Asaro

Les joueurs ayant connu le Supra et l’Impact se rendent compte de la différence de moyens entre les deux époques. Avant, ils devaient rouler dans des fourgonnettes jusqu’en Floride en se relayant derrière le volant. Pour l’an 1 de l’Impact, le camp se déroule sous le soleil de la Toscane grâce aux contacts de Pino Asaro avec la Fédération italienne.

« Ce n’est pas comparable avec le Supra [disparu en 1992] pour ce qui est du stage d’avant-saison, de la prise en charge ou du paiement. Ta feuille de paye arrivait automatiquement, tu n’avais pas à attendre en te disant : “Ils vont payer ou pas payer ?” Tout était clair dans le fonctionnement et il y avait du staff. On est vraiment devenus un club professionnel dans le fonctionnement. »

— Otmane Ibrir

« L’Italie, c’était le grand luxe par rapport au Supra. On s’entraînait contre des petites équipes sur des terrains qui étaient corrects. On était logés dans un très bon hôtel et on a même passé une journée au centre d’entraînement de la sélection italienne, Coverciano. Après, on parle de monde professionnel, mais on mangeait n’importe quoi. En Italie, c’était “pollo” et “formaggio” sur la table. C’était pas trop serré, mais il y a des joueurs qui aiment ça. »

— Djamel Laarabi, gardien remplaçant de l’Impact (1993)

Les premiers matchs

L’Impact dispute son premier match le 14 mai sur le terrain du Salsa de Los Angeles avant de se rendre au Colorado dès le lendemain. Une semaine plus tard, le premier match à domicile se conclura par une victoire de 4 à 2 face aux Rowdies de Tampa Bay. Nicola Zanone, attaquant formé à la Juventus, et Ferri, ancien défenseur de l’AS Saint-Étienne et de l’Olympique Lyonnais, sont les belles prises internationales.

« C’est un journaliste qui m’avait contacté pour me dire qu’un club se montait [à Montréal]. J’avais fini ma carrière de Ligue 1 à Lyon et, du coup, je me suis dit que j’allais tenter cette expérience à un an de la Coupe du monde de 1994 aux États-Unis. J’ai très vite trouvé des gens déterminés et enthousiastes. Joey Saputo était passionné parce qu’il créait quelque chose avec toute l’énergie qu’il avait à ce moment-là. Il avait surtout la conviction qu’il allait faire de Montréal une place forte du soccer en Amérique du Nord. »

— Patrice Ferri

« Zanone et Ferri étaient complètement différents. Zanone était avec sa famille et tout était calculé. Ferri était un gars très sociable qui savait créer de l’ambiance dans le vestiaire. C’était deux gars qui avaient évolué au haut niveau et qui nous ont permis de grandir. On a commencé à voir comment ils se préparaient pour chaque entraînement et comment ils prenaient la nutrition au sérieux. On était jeunes et c’était quelque chose de nouveau pour nous. »

— Nick De Santis

« J’ai été surpris parce que je ne pensais pas que le niveau allait être aussi élevé. Je suis arrivé avec beaucoup d’humilité parce que je ne voulais pas m’imposer comme un joueur venant d’Europe. Je n’arrivais pas comme un conquérant. Les joueurs avaient leur vision du football. Comme je les trouvais bons et impliqués, je me suis mis à leur service, au service du club et de Joey Saputo. C’était à moi à apprendre ce qu’était leur football. »

— Patrice Ferri

« Il y a plusieurs façons de préparer une saison. Par exemple, on peut ne pas travailler beaucoup [au camp] afin de flamber en début de saison, au risque de couler par la suite. Eddie avait tablé sur le court terme pour que l’on soit correct en début de saison, que l’on parte sur une bonne note et que l’on fasse une bonne première impression. C’était bien pensé même si ça n’a pas marché après coup. »

— Otmane Ibrir

« J’avais 15 ans et, pour moi, l’Impact était la suite du Supra parce qu’il y avait des joueurs comme De Santis qui étaient déjà là avant. C’était un nouvel uniforme et, en quelque sorte, ça semblait un peu plus sérieux et gros. C’était excitant, mais comme toute l’offre de soccer, c’était un peu l’inconnu. On ne savait pas dans quelle direction ça allait. Du premier match, je me rappelle une première mi-temps pas très bonne, puis ça s’est réveillé ensuite. Ç’a été une bonne publicité et une bonne première impression. »

— Patrick Leduc, partisan et futur joueur de l’Impact (2000-2010)

***

En 1993, l’APSL compte sept pensionnaires, dont deux équipes canadiennes, les 86ers de Vancouver et l’Impact. Chaque club dispute 24 matchs – 12 à domicile et 12 à l’extérieur – avec, à la fin de la saison, des séries réunissant les quatre meilleurs. Dans un système accordant six points pour une victoire en temps réglementaire et des bonus offensifs, l’Impact prend le septième rang avec 90 points.

« Il fallait jouer de façon organisée, être bien en place défensivement pour limiter les dommages. Nous jouions la contre-attaque, pour marquer peut-être un but, puis nous absorbions la pression en jouant plus bas. Mais quand tu joues contre de bonnes équipes, elles trouvent toujours une façon de te déjouer. On ne marquait pas beaucoup, mais on tirait une fierté en n’en concédant pas beaucoup. Vraiment, ç’a été tout un défi sur le terrain, mais on savait que le futur allait être OK. »

— Marco Rizi

« Il y avait de bons joueurs. Est-ce que l’équipe jouait à son plein potentiel ? La réponse est non. Sérieusement, il y avait de la qualité et un super bon groupe. Mais ça a mal débuté et ça ne s’est pas redressé par la suite. Les choses n’étaient pas claires sur le plan de la hiérarchie et des statuts. »

— Otmane Ibrir

« Le niveau était bon puisque la MLS n’existait pas. On y retrouvait les meilleurs joueurs américains avec des joueurs latins comme des Brésiliens, des Argentins ou des Uruguayens. C’était le plus haut niveau en Amérique du Nord et ça s’est amélioré jusqu’au début de la MLS. Tous ceux qui sont allés en MLS en 1996 ou 1997 étaient là. »

— Nick De Santis

La suite

Sur l’ensemble de la saison, la moyenne s’établit à 4500 spectateurs au complexe sportif Claude-Robillard, soit deux fois plus que celle du Supra de 1992. La suite ? Un titre particulièrement déterminant en 1994, quelques moments délicats, puis l’entrée dans la MLS en 2012. La saison 1993, avec son lot de défis et de doutes, a permis de poser la première pierre.

« Jusqu’à un certain point, ç’a été dur d’attirer des commanditaires au début. Les attentes étaient élevées et tout le monde savait que Saputo était propriétaire de l’équipe. Les commanditaires se disaient que le groupe avait les moyens. Il y a quand même eu beaucoup de soutien, mais il a fallu travailler fort pour aller les chercher. »

— Pino Asaro

« Il faut donner du crédit à Joey, à la famille Saputo, mais aussi à ce noyau de joueurs québécois qui a tellement travaillé de 1993 à 2001. Pendant sept ou huit ans, ce groupe a eu du succès, a vécu de grandes émotions et avait la volonté de faire des sacrifices pour garder ça en vie. »

— Nick De Santis

« Dans le temps, on n’avait pas le budget que l’Impact a aujourd’hui. On était 3 personnes à faire le travail de 20. C’était très intense, sept jours sur sept, avec des longues journées. Il y avait les entraînements, le bureau, l’administration, les budgets à équilibrer… Mais je suis très heureux du travail que j’ai accompli, c’est la plus belle expérience de ma vie sur le plan professionnel. »

— Pino Asaro

« C’est avec le titre de 1994 que je me suis dit que j’aimerais bien jouer pour l’Impact. Il y a beaucoup plus d’envie d’imiter ça quand il y a beaucoup de monde. Le titre est le tournant […] parce que les débuts, sans dire qu’ils étaient mauvais, étaient ordinaires. On ne parlait pas beaucoup de l’Impact avec mes coéquipiers. Mon souvenir d’en avoir parlé est lors de cette finale 1994. Dans les années suivantes, des joueurs de 17 ou 18 ans de l’équipe du Québec s’entraînaient avec l’Impact ou on jouait contre eux. Le contact s’est établi. »

— Patrick Leduc

« Nous étions des jeunes d’ici qui rêvions de jouer au plus haut niveau et nous l’avons fait. C’était la réalisation d’un rêve d’atteindre ce niveau, mais aussi d’avoir quelque chose vers lequel regarder sur le plan professionnel. Nous aimons penser que nous avons posé la première pierre, en 1993, ce qui a permis de mener à un environnement actuel bien différent. C’est gratifiant de voir que le club a tellement grandi en termes de popularité. »

— Marco Rizi

« Le parcours de l’Impact est magnifique depuis 1993. De pouvoir attirer des Didier Drogba ou des Rémi Garde, avec qui j’ai joué à Lyon, c’est dire le parcours qui a été fait depuis plus de 20 ans. Pour moi, l’Impact reste un excellent souvenir sportif et humain. C’est une très belle parenthèse de relations humaines et sportives. Je suis extrêmement fier de voir à quel niveau ils sont arrivés aujourd’hui. »

— Patrice Ferri

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