Opinion

Nouvelle filiale HilO
Vers une Hydro plus « intelligente »

Hydro-Québec vient d’annoncer la création d’une nouvelle filiale, appelée Hilo, dont le mandat sera d’aider les abonnés à gérer leur consommation. 

Dès l’été 2020, elle installera chez les clients volontaires toute une batterie de contrôles et de thermostats intelligents. Les clients d’Hilo pourront dès lors, à l’aide de leur téléphone intelligent ou de leur ordinateur, contrôler à distance leur chauffage pièce par pièce, l’heure de recharge de leur auto électrique et l’éclairage des pièces. D’ici quelques années, Hilo offrira, espère-t-on, l’installation de panneaux solaires et de batteries et la gestion bidirectionnelle des batteries d’autos électriques.

Hydro-Québec poursuit deux buts avec Hilo. Le premier vise à diversifier son offre de service en vendant autre chose que de l’électricité, mais un nouveau service pour ses abonnés résidentiels et d’affaires. Mais son grand objectif est de régler un vieux problème : le manque de puissance.

En effet, la société d’État doit vivre avec une situation paradoxale. Bien qu’elle enregistre des surplus record d’énergie, il lui arrive de plus en plus souvent de manquer de puissance – c’est-à-dire la capacité de servir toute la demande en même temps aux heures de grande consommation.

Ce problème de puissance est particulièrement marqué chez Hydro-Québec à cause de son succès dans l’électrification du chauffage et des chauffe-eau. Faire usage de l’électricité est si facile que les Québécois branchent de plus en plus d’appareils électriques – du simple chargeur de téléphone à la voiture électrique – sans trop se poser de questions.

Or même si la consommation d’énergie totale est plutôt stable depuis 2007, la demande en puissance continue d’augmenter d’environ 100 à 200 mégawatts par an. D’ici 2025, Hydro-Québec prévoit un déficit de puissance d’environ 1000 mégawatts, soit l’équivalent des deux tiers de la puissance du nouveau complexe de La Romaine. Et l’essor de la voiture électrique risque d’amplifier si tout le monde branche sa voiture en même temps au retour du travail.

Autrefois, le problème de puissance se réglait simplement : Hydro-Québec construisait plus de barrages et plus de lignes. Mais les mégaprojets faciles à construire, il n’en reste plus. Quant aux nouvelles lignes, c’est la levée de boucliers dès qu’il faut en installer une.

À l’heure du numérique, Hydro-Québec juge plus économique et plus intéressant de proposer un service comme Hilo, qui permet d’offrir plus de confort aux abonnés tout en contrôlant mieux la demande à certaines heures. 

En fait, la société d’État le fait déjà avec certains clients commerciaux et industriels à qui elle offre des primes pour réduire leur activité aux heures de pointe. Sa nouvelle tarification dynamique, autorisée par la Régie de l’énergie et assortie de crédit, encouragera également les consommateurs à réduire leur consommation à certaines heures.

Hilo ira beaucoup plus loin : grâce à la panoplie d’appareils communicants installés chez l’abonné, celui-ci pourra dire à quelle heure il se lève et part travailler, et Hilo s’occupera de gérer le chauffage et la recharge en conséquence. Le client branchera sa voiture au retour du travail comme d’habitude, sauf qu’Hilo la rechargera peut-être à 2h matin. Quant au chauffage, Hilo sera capable de coordonner la chauffe pour qu’elle ne coïncide pas exactement avec celle des voisins. Tout cela dans le but de mieux répartir la pointe.

Plusieurs grands réseaux européens utilisent avec succès des systèmes de contrôle similaire, et Hydro-Québec étudie depuis plusieurs années la meilleure manière de s’attaquer à ce problème dans le contexte très particulier du Québec, où le chauffage et les chauffe-eau sont largement électrifiés.

Son Laboratoire des technologies de l’énergie (LTE) à Shawinigan a étudié dans le détail les profils de consommation des Québécois à l’aide de deux maisons expérimentales. Le LTE a ainsi développé une nouvelle approche où la maison devient un « accumulateur de chaleur ». Les chercheurs ont aussi découvert qu’il fallait demander aux gens de faire le contraire de ce qu’on leur a toujours dit. Au lieu de chauffer la maison au réveil, comme on l’a toujours recommandé, Hilo va effectuer un « préchauffage ». On lance le chauffage une heure ou deux avant le réveil pour ensuite diminuer la consigne de un ou deux degrés au réveil. Personne ne sent la différence, car la maison est confortable au sortir du lit, mais cela fait toute la différence sur le réseau, parce que la consommation d’énergie pour la chauffe n’est plus en pointe, mais une ou deux heures avant. Hydro-Québec l’a expérimenté avec succès dans une quarantaine de ses propres immeubles et quelques projets pilotes.

Officiellement, Hydro-Québec ne se risque pas à dire combien de mégawatts de puissance elle espère effacer grâce à Hilo et ses autres programmes d’efficacité. Officieusement, ses dirigeants estiment qu’une cible réaliste se situe autour de 5000 mégawatts – soit 12 % de la puissance installée.

Un service connecté comme Hilo présente aussi plusieurs avantages financiers, opérationnels et stratégiques pour Hydro-Québec et toutes les parties prenantes (abonnés, contribuables et gouvernement).

Sur le plan financier, Hydro-Québec réalisera des économies substantielles aux heures de grandes puissances en différant la demande, ce qui évitera d’acheter de l’énergie aux réseaux voisins ou de démarrer les turbines à gaz de réserve. Ces économies, la société d’État est prête à les transférer au moins en partie sous forme de rabais offerts aux volontaires du service Hilo qui auront donné un coup de pouce au réseau. L’énergie libérée pourra être stockée et vendue au moment opportun.

Hilo facilitera aussi l’exploitation du réseau. Dans les Laurentides, par exemple, où la population a pratiquement doublé en 20 ans, Hydro-Québec a dû investir des centaines de millions en équipement pour mieux répondre et prévenir les pannes locales. Un service comme Hilo lui donnerait un outil de plus pour maintenir la sécurité du réseau.

Les Québécois en profiteront également sur le plan stratégique. D’abord, parce qu’Hydro-Québec aura plus de puissance de réserve pour réaliser le grand objectif gouvernemental d’électrification des transports. De plus, Hilo sera un atout certain le 1er septembre 2041, date officielle de la fin du fameux contrat de Churchill Falls. Depuis 1976, ce barrage terre-neuvien fournit 12 % de la puissance et 20 % de la consommation énergétique québécoise. Nul ne sait ce qui adviendra à la fin du contrat, mais les Québécois pourront dormir sur leurs deux oreilles si Hydro-Québec sait mieux gérer sa demande.

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