Cyclisme sur route Championnats du monde junior

« Au moins troisième, s’il vous plaît ! »

Simone Boilard a gagné le bronze à la course sur route junior des Championnats du monde d’Innsbruck, hier. Quelques heures plus tard, Guillaume Boivin s’est imposé à la Famenne Ardenne Classic, en Belgique. Heureuse conjoncture pour les deux cyclistes dont les chemins se sont croisés le mois dernier à Bromont.

La scène se déroulait dans le centre historique d’Innsbruck, face au Tiroler Landestheater, hier matin. Simone Boilard et Laura Stigger faisaient connaissance avant la cérémonie de remise des médailles.

« Je fais du vélo de montagne, j’ai gagné les Mondiaux il y a deux semaines, et là, ça… », expliquait l’Autrichienne, éberluée. Quelques minutes plus tôt, dans sa propre ville, elle avait remporté les Championnats du monde sur route juniors.

« Elle disait : “J’habite à 15 minutes d’ici, mon école est à 10 minutes, on la voyait sur le parcours” », a raconté Boilard un peu plus tard.

La native de Limoilou vivait aussi son propre rêve. À l’issue d’une course haletante où elle a frôlé le point de rupture à quelques reprises, elle a décroché la médaille de bronze de cette épreuve sur route, couronnement d’une carrière junior qui annonce de beaux lendemains.

« Je me sentais vraiment bien, mais aussi prête et aucunement dans l’anxiété. Je savais ce que j’avais à faire et j’avais le goût de le faire. Je ne suis aucunement déçue de ma course. J’ai tout laissé sur le parcours. »

— Simone Boilard

Boilard n’a pas volé ce podium, le premier pour une Canadienne à cette épreuve depuis le bronze de la Britanno-Colombienne Clare Hall-Patch à Plouay, en 2000.

Huitième l’an dernier en Norvège et cinquième du contre-la-montre lundi, la cycliste de 18 ans figurait parmi un groupe d’une dizaine de favorites dans le peloton de 102 coureuses. Elle devait cependant composer avec des rivales de loin mieux nanties sur le plan collectif. Les Italiennes, les Russes, les Néerlandaises et les Françaises partaient avec une longueur d’avance.

Bien préparée

Arrivée en Autriche deux semaines à l’avance, Boilard avait bien préparé son coup avec Christine Gillard, son entraîneuse avec l’équipe Desjardins-Ford. Les deux complices ont reconnu plusieurs fois chaque point névralgique du parcours de 70,8 km, un tracé pour costaudes.

Après un départ échevelé marqué par les à-coups et quelques chutes, Boilard a réussi à se repositionner dans la montée initiale après 25 km de course. Comme prévu, une première sélection s’est faite dans l’ascension de 2,6 km à 10,5 %.

La Québécoise aux souliers roses a bien réagi aux attaques de la Russe Gareeva et de la Tchèque Jandová pour basculer en tête dans un groupe de sept coureuses. Un peloton de 25 s’est reformé à l’approche du circuit final de 24 km, qui comprenait un col de 8 km. Dans la première portion, Gareeva s’est réessayée à deux reprises, de même que deux coéquipières.

Aux aguets à l’avant, Boilard a préféré jouer de patience. « Je savais que ce n’était pas au début que ça allait se passer. Les attaques des Russes, c’était un scénario idéal pour moi. »

« Comme j’étais seule de mon équipe, je n’avais rien à assumer. Plus c’était difficile, mieux c’était pour moi parce qu’on perdait des filles. Je me disais : “Parfait, sois patiente, sois opportuniste.” »

— Simone Boilard

L’occasion est venue à moins de 2 km du sommet quand Stigger, queue de cheval au vent et mains en bas du cintre, a produit une accélération tranchante. L’Italienne Barbara Malcotti a été la première à réagir, suivie de Boilard avec un temps de retard. « Il y a eu un petit délai dans ma tête. Mais là je me suis dit : “Ah non, c’est sûr que c’est le coup gagnant.” »

Au prix d’un effort considérable, elle a bouché le trou. Constatant que le trio s’observait un peu trop à son goût, Boilard en a remis une couche. Or un contre de Malcotti juste avant le sommet a bien failli la condamner.

« Je n’ai pas paniqué »

Dans la descente, la Canadienne a senti des crampes gagner ses cuisses… Filant à près de 80 km/h, Stigger et Malcotti ont failli la lâcher à deux reprises. « Je descendais vraiment moins bien qu’elles, c’était un peu pathétique. C’est pas que je ne prends pas les bonnes trajectoires, c’est que ça me fait peur d’aller trop vite, on dirait ! Dans les virages, elles allaient deux fois plus vite que moi… Encore là, à aucun moment je n’ai paniqué. »

Boilard avait recollé au moment d’entreprendre la dernière section roulante à 7 km de l’arrivée, où les choses se sont encore corsées. L’Italienne refusait de collaborer parce que deux coéquipières revenaient derrière. Finalement, c’est la Française Marie Le Net qui a fait la jonction.

Elles étaient donc quatre, pour trois places sur le podium. Craignant le retour d’autres concurrentes, Boilard a bondi dans le dernier raidillon à 4 km du fil, dans un passage étroit de la vieille ville.

Le Net a fléchi, mais réussi à revenir pour réattaquer à la flamme rouge. Boilard a pris sur elle de refermer l’écart, sachant que ça la condamnerait probablement pour le sprint final, qu’elle a abordé deuxième, dans la roue de l’Italienne. « Je me disais : “On est quatre, je ne veux pas être quatrième. Je veux juste un podium, au moins troisième, s’il vous plaît !” »

Son souhait a été exaucé. Stigger, clairement la plus forte, a lancé à 100 m du but, suivie de Le Net, bien servie par ses aptitudes de pistarde. Battue pour la victoire, Boilard s’est assurée de devancer Malcotti, malheureuse quatrième tandis que ses compatriotes Guazzini et Alessio se classaient sixième et septième…

Une « course mature »

Peu après l’arrivée, la médaillée de bronze est tombée dans les bras de son entraîneuse et de son père Pierre, grand cycliste devant l’Éternel. « Elle a fait une super course, une course mature, a-t-il confié quelques heures plus tard. C’est une journée magique. »

Victime d’une fracture à un pouce au contre-la-montre, la Sherbrookoise Magdeleine Vallières-Mill, 17 ans, a fini dans le peloton principal au 38e rang, à près de cinq minutes de la gagnante.

Simone Boilard avoue avoir ressenti un léger pincement sur le podium quand Stigger, les yeux dans l’eau, a reçu le maillot irisé de championne mondiale, son troisième puisqu’elle en compte deux en vélo de montagne.

« J’étais si proche… En même temps, la course n’est pas une fin en soi. C’est sûr que gagner, ça doit changer une vie. Mais j’étais à ce niveau-là et je peux en être contente. La course se gagne par des boyaux. Quand on sait ça, on ne peut pas vraiment être déçue. »

— Simone Boilard

Fière de la façon dont elle a su composer avec la pression à ses derniers Mondiaux juniors, elle se réjouissait de sa constance dans les deux épreuves. Elle est la seule concurrente qui a terminé chaque fois dans les cinq premières.

« Encore là, je finis la course et je suis quand même capable d’avoir les pieds sur terre et de constater que j’ai du travail technique et tactique à faire. Ça va être super le fun de travailler sur ça dans les prochaines années. J’ai déjà hâte de me relancer dans la prochaine saison. »

Des équipes professionnelles européennes ont déjà pris des notes.

Remcoe Evenpoel, lui, a déjà un contrat World Tour en poche avec l’équipe Quick Step. Sacré au contre-la-monde junior mardi, le Belge de 18 ans a atomisé la concurrence sur route hier. Surnommé le « petit cannibale » en référence à Eddy Merckx, il a surmonté une chute en début d’épreuve avant de combler un écart de près de deux minutes et de larguer son dernier rival avec 20 km à faire et de s’imposer en solitaire. Evenpoel a dévoilé son rêve à l’arrivée : remporter les trois grands tours. Il est bien parti.

Boivin vainqueur en Belgique

Meilleur Canadien aux Grands Prix cyclistes de Québec et de Montréal (21e et 19e), Guillaume Boivin avait eu cette remarque suave quand il s’était fait demander s’il regrettait d’avoir été ignoré pour les Mondiaux d’Innsbruck : « Ils auraient peut-être dû attendre la fin de semaine avant de faire la sélection… »

De retour en Europe, le Québécois d’Israel Cycling Academy a continué de faire parler ses jambes. Quatrième dimanche de la classique Gooikse Pijl, en Belgique, il a gagné hier la Famenne Ardenne Classic, une épreuve de niveau 1.1 (troisième catégorie). Dans un sprint à deux, l’ex-champion canadien a coiffé le Français Quentin Pacher, avec qui il était revenu sur l’Estonien Rein Taaramäe (4e). Le sprinter néerlandais Danny van Poppel (LottoNL-Jumbo) a réglé le peloton arrivé dans le même temps que les deux premiers.

Victime d’une fracture du plateau tibial en juin, Boivin avait accompagné les meilleures cyclistes juniors canadiennes dans son processus de remise en forme, le mois dernier, à Bromont. À l’occasion de ce camp organisé par B2Dix, Simone Boilard l’avait impressionné en tenant sa roue dans des intervalles en côte. « Guillaume a participé aux succès de Simone », a souligné Pierre Boilard, père de la médaillée de bronze des Mondiaux juniors.

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