MOMENTA | LA BIENNALE DE L’IMAGE 

Sous la lentille des femmes

Avec les créations de 39 artistes internationaux, dont 75 % sont des femmes, Momenta 2019 invite à réfléchir sur les enjeux d’une société plus inclusive et plus respectueuse. Avec une perspective de l’image qui n’a jamais été aussi large. Aux photos s’ajoutent en effet des vidéos, des installations et des sculptures. Nicéphore Niépce, l’inventeur de la photographie, serait très fier…et fort surpris ! 

María Wills Londoño a été choisie pour orchestrer Momenta 2019, en collaboration avec la directrice générale de l’événement, Audrey Genois, et son adjointe, la commissaire Maude Johnson.

Francophile, la commissaire colombienne connaît bien Montréal. Sa mère y vit. Le thème de la biennale 2019, La vie des choses, lui a été inspiré par la ville et ses artistes. Il y a deux ans, après la découverte d’une quinzaine d’artistes d’ici, l’idée lui est venue d’explorer le thème de la photographie en tant qu’objet et en tant qu’élément de déclinaison artistique.

Momenta est donc, cette année, moins une addition d’expositions de photographies qu’un assortiment d’expressions de l’image rassemblé par un thème développé sous plusieurs angles. Comme le montre la sculpture Folly d’Anouk Kruithof, réalisée par l’artiste néerlandaise avec des photos imprimées sur du tapis.

María Wills Londoño a articulé Momenta en s’inspirant de lectures, dont L’innocence des objets d’Orhan Pamuk, et d’une expo de Celia Perrin Sidarous visitée à la galerie Parisian Laundry.

« Ça m’avait beaucoup marquée, dit-elle. Il y avait une thématique intéressante par rapport à la narration de l’objet. L’objet, idolâtré ou sans véritable sens, dans notre société de consommation et d’excès. Et le corps, objet de désir ou de représentation. »

Momenta 2019 est une édition avec une forte couleur américaine, autant du Nord que du Sud, et très féminine : 29 artistes sur 39. María Wills Londoño est animée d’un féminisme salutaire. Elle est imprégnée d’une culture où les jeunes filles ont été conditionnées à se soucier de leur apparence.

« À partir des années 90, les femmes colombiennes ont commencé à modifier leur corps de façon artificielle, dit-elle. Le silicone, les filles en reçoivent comme cadeau à 15 ans. Ça fait partie de la culture de la Colombie. C’est aussi un stéréotype dont on voulait tirer un regard critique. »

— María Wills Londoño, commissaire

Ainsi, on pourra découvrir, à Dazibao, des œuvres de la Colombienne Karen Paulina Biswell qui évoquent la « chosification » du corps de femmes devenues sujets plutôt qu’objets. Une réflexion sur la féminité aujourd’hui. « Avec des femmes qui s’assument complètement devant la caméra », dit Audrey Genois.

Le thème est aussi abordé par Victoria Sin, drag queen torontoise qui vit à Londres et présente, à la galerie de l’UQAM, l’installation Narrative Reflections on Looking, comprenant quatre films qui remettent en cause « l’image idéale » du corps. Dommage toutefois qu’il n’y ait pas de sous-titrage en français pour cette œuvre, comme pour plusieurs autres vidéos diffusées à Momenta.

La question du corps chosifié est aussi illustrée par la série Grounded de Laura Aguilar (artiste américaine disparue l’an dernier), qui mettait en scène son corps nu dans des paysages spectaculaires.

Alinka Echeverria traite aussi des enjeux de la représentation des femmes au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) dans une critique du regard de l’autre et de la vision colonialiste des femmes dans l’histoire africaine.

L’artiste français Kader Attia aborde la « restau-ration » du corps humain avec son diptyque vidéo Open Your Eyes, sous l’angle des conséquences de la guerre. As du portrait, le Brésilien Jonathas de Andrade évoque aussi la corporalité à la galerie Leonard & Bina Ellen, par l’entremise du thème du racisme, avec son installation Eu, mestiço [Moi, métisse].

L’objet culturel chargé d’histoire est, quant à lui, traité par l’artiste autochtone du Yukon Jeneen Frei Njootli dans une approche critique des matériaux traditionnels et industriels.

Le côté humain de cet objet culturel a été considéré avec une certaine nostalgie par le Mexicain Rafael Ortega qui met de l’avant des créations artisanales réalisées depuis des lunes. Celia Perrin Sidarous explore la puissance d’évocation d’artefacts de la collection du musée McCord tandis que Children’s Games, du Belgo-Mexicain Francis Alÿs, illustre, au Musée d’art contemporain (MAC) – avec 18 grandes projections vidéo – , combien les enfants du monde entier savent s’amuser avec l’objet le plus anodin qui leur tombe sous la main.

La biennale présente 13 événements. Deux expos collectives rassemblent 12 artistes à la galerie de l’UQAM et 10 chez Vox où La vie des choses est abordé sous l’angle de l’absurde et de la crise environnementale. Des expos ont lieu également au Musée d’art de Joliette, à Clark (avec une installation de l’artiste albertaine Hannah Doerksen), à Optica, aux galeries B312 et Occurrence (avec un « paysage » de Minganie recréé par Raphaëlle de Groot) et dans le Mile End pour Izumi Miyazaki qui propose de partir à la recherche de ses autoportraits avec son parcours #TrouvezIzumi.

Il y aussi 13 autres expos satellites, notamment aux galeries Art mûr, Ellephant, Hugues Charbonneau, PFOAC, La Castiglione, Parisian Laundry, Nicolas Robert, René Blouin et D’Este.

La biennale est accompagnée d’un catalogue qui présente les artistes et deux œuvres exclusives de Kapwani Kiwanga et de Maryse Larivière. Elle organise aussi un imposant volet créatif avec des activités éducatives gratuites, une dizaine d’ateliers, des jeux pour les enfants et des rencontres avec les artistes. Bonnes visites !

Momenta | Biennale de l’image, du 4 septembre au 13 octobre. 

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