Sport amateur

La « madame des Jeux du Québec » prend sa retraite

Sur sa carte professionnelle de Sports Québec, dont elle n’a plus besoin depuis vendredi, il est écrit « coordonnatrice – communications stratégiques ». Mais tout le monde sait que Michelle Gendron était bien plus que ça.

En 1983, pendant un congrès de l’Union des municipalités, René Lévesque l’avait baptisée « la madame des Jeux du Québec ». Le surnom a collé. Il traduit beaucoup mieux ce que représente Michelle Gendron.

Depuis ses débuts comme bénévole aux premiers Jeux du Québec régionaux, à Joliette, en 1970, jusqu’aux finales des Jeux d’Alma, l’hiver dernier, elle a tout vu, tout entendu et surtout tout aimé.

« Mes souvenirs heureux ne sont pas reliés à des événements, ils sont reliés à des gens », dit celle qui a pris sa retraite vendredi après 38 années consacrées à sa « cause », celle du sport et de ses valeurs.

Dans son bilan de carrière, livré le 19 avril au gala Sports Québec, Michelle Gendron a émis le rêve « que cet univers du sport qu’on dit amateur soit celui de tous les Québécois et que tous les élus, à tous les paliers, en fassent une priorité ».

Dans un clin d’œil au ministre Sébastien Proulx, présent sur scène, elle a rappelé qu’elle avait travaillé avec 11 présidents, 8 directeurs généraux et… 21 ministres du Loisir et du Sport.

Un passage du discours a été particulièrement applaudi par les représentants des fédérations. Celui où elle formule le souhait que ses collègues puissent un jour évoluer « dans un environnement de travail disposant de fenêtres qui s’ouvrent sur ce monde qu[’ils] contribue[nt] à améliorer ».

40 finales des Jeux du Québec

Michelle Gendron m’a reçu deux jours plus tard dans son bureau du Stade olympique, un ancien stationnement souterrain reconverti. De fait, l’endroit ne compte aucune fenêtre. Le plafond est bas et une poutre de béton au-dessus de sa porte laisse entrevoir une fissure qui ne cesse de s’agrandir. « C’est ma “ craque cosmétique ”, lance-t-elle en boutade. Tu ne restes pas 30 ans ici pour l’environnement physique. »

Depuis 1985, les employés de plus de 200 organisations de sport et loisir s’accommodent de ces locaux exigus qui devaient être temporaires.

Heureusement, Mme Gendron n’y a pas passé tout son temps. Depuis 1978, elle a travaillé pour les 40 finales des Jeux du Québec. En comptant les visites de préparation, elle s’est donc rendue aux quatre coins de la province à au moins 400 reprises. De Gaspé à Aylmer, de Sept-Îles à Amos. « J’ai fait une bonne partie de mon Québec, mais je ne suis pas encore allée aux Îles-de-la-Madeleine ni au Nunavik. »

Embauchée par la Société des Jeux du Québec en 1979 après ses neuf années à Joliette, elle a fait ses valises dès son premier jour pour veiller à la bonne marche des communications des finales de Saint-Georges de Beauce. Au total, elle calcule avoir vu passer 120 000 jeunes athlètes durant son mandat. Elle organisait aussi les repérages pour les équipes de télédiffusion et ensuite de webdiffusion. Les besoins en intensité électrique et en échafaudage pour les caméras n’ont plus de secrets pour elle.

Avant l’ère électronique, elle convoquait les journalistes à la fin de la journée de compétitions pour faire connaître les petites et grandes histoires des Jeux. En 1993, à Baie-Comeau, elle a déposé un tabouret devant le lutrin pour qu’un petit plongeur de 8 ans puisse être vu de tous. Alexandre Despatie, qui avait gagné face à des rivaux âgés de 12 ans, s’apprêtait à offrir sa toute première conférence de presse.

« Un journaliste lui avait demandé ce que ça lui faisait de compétitionner contre des plus vieux, raconte Mme Gendron. Il nous avait jeté un œil avant de répondre : “ Moi, monsieur, quand je suis sur le tremplin, je suis tout seul. ” Je n’ai jamais oublié ça. »

Despatie, lui, n’a jamais oublié les Jeux du Québec. Dès l’année suivante, il a participé à un souper-bénéfice avec les présidents de grandes entreprises, un rôle d’ambassadeur qu’il a exercé tout au long de sa carrière.

La mémoire institutionnelle de Sports Québec

En 1987 et 1988, la tâche de Michelle Gendron s’est considérablement élargie. La fusion de la Société des sports (le regroupement des fédérations) à celle des Jeux du Québec a mené à la création de Sports Québec.

« Tous les dossiers politiques sont arrivés, explique-t-elle. Ça m’a apporté les nouveaux défis que je recherchais. C’était extrêmement stimulant. »

Rédaction de rapports pour le gouvernement, consultation des partenaires, conseils stratégiques, représentation auprès des ministres, huis clos du budget : Michelle Gendron est en quelque sorte devenue la mémoire institutionnelle de Sports Québec. L’Université du Québec à Trois-Rivières l’a même sollicitée pour donner une conférence l’an dernier.

« Un chemin incroyable s’est parcouru en à peu près 50 ans, note-t-elle. On est passé d’une pratique sportive très concentrée sur les religieux [les foyers Patro, l’Œuvre des terrains de jeux, les colonies de vacances] à un système structuré où les intervenants et les lieux de pratique sont multiples, géré par le civil, par l’école et fédéré. »

Le rôle d’entraîneur est devenu un métier à part entière, même s’il est encore peu reconnu, déplore la nouvelle retraitée. Dévoilée au début du mois après des années d’attente, la nouvelle politique du sport, intitulée « Au Québec, on bouge ! », démarre « sur une bonne piste, mais il y a encore beaucoup de questions sans réponses ».

À la veille de son départ, Michelle Gendron ne verse pas dans la nostalgie. Encore mercredi, elle était à Québec pour l’étude des crédits budgétaires par ministère. « Le ministre a annoncé 64 millions supplémentaires pour la mise en œuvre de la politique du sport. On veut savoir où ça s’en va. »

Sports Québec a embauché une firme spécialisée pour évaluer le travail accompli par sa coordonnatrice communications stratégiques. Elle a conclu qu’il faudrait l’équivalent de deux personnes et demie pour reprendre l’ensemble de ses dossiers.

« Le programme, je l’ai vu venir au monde, je l’ai vu grandir », résume Mme Gendron. La madame des Jeux du Québec est prête à le laisser partir.

Petit historique des Jeux du Québec

L’idée des Jeux du Québec est née dans la foulée de la candidature de Montréal aux Jeux olympiques de 1976 et la présentation des premiers Jeux du Canada, à Québec, en 1967. « À cette époque, il y a vraiment eu une grande prise de conscience en sport, rappelle Michelle Gendron. Les gens se sont dit : il faut qu’on se structure. » En mars 1970, la création de la Corporation des Jeux du Québec a mené aux premiers Jeux régionaux cet été-là. La première finale officielle a eu lieu l’année suivante à Rivière-du-Loup. Pierre Harvey y a participé… en natation.

Plus grand rassemblement multisports au Québec, les Jeux du Québec participent autant à l’initiation des jeunes qu’à la performance de haut niveau et la détection de talent. Gaétan Boucher et Sylvie Bernier y ont vécu leur première grande compétition, tout comme leurs enfants. Alexandre Despatie, Joannie Rochette et Alex Harvey ont suivi leurs traces. Tenus une fois par année depuis 1981, les Jeux d’été (années paires) et les Jeux d’hiver (années impaires) attirent chaque fois quelque 3000 jeunes de toutes les régions du Québec. Depuis les débuts, près de 4 millions de sportifs ont participé à l’une ou l’autre des compétitions des Jeux du Québec.

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