Chronique

Ouvrir la fenêtre

Je m’approche de la fenêtre. Je m’apprête à l’ouvrir. Ça fait une éternité que je ne l’ai pas fait. Une éternité que la maison est isolée. Protégée, chauffée, barricadée. Dehors, c’est l’ennemi. Le froid, la neige, le verglas, l’intempérie. Dedans, c’est l’abri, la planque, le bunker.

Mais aujourd’hui, l’ennemi est parti. Ils l’ont dit à la radio. Il va faire beau. Il va faire presque chaud. Disons, moins frette. Alors, j’ouvre. Ma première bouffée d’air frais de l’année ! Quelle joie ! Je respire pour la première fois, depuis des mois. Ça sent le gazon, le gaz et le barbecue. Ça sent la ville. La maison n’est plus une cage. La maison est devenue un nid.

Il n’y a pas que l’odeur du printemps qui entre chez moi. Il y a aussi ses sons. Un mélange de chant d’oiseaux et de moteurs d’auto. La maison n’est plus sourde. La maison entend. Il n’y a pas encore les cris des enfants et les éclaboussures de piscine. C’est trop tôt. Il n’y a que la rumeur que l’été s’en vient.

Quand on y pense, chaque fois qu’on ouvre une fenêtre, pas seulement la première après un long hiver, mais toutes celles qu’on ouvre, au fil des belles saisons, y’a toujours un sourire en nous. Ça fait un effet. Ça fait du bien. Comme si on faisait entrer le monde là où l’on est.

Ouvrir la fenêtre, c’est un geste de liberté.

Je regarde dehors. Le blanc a fondu. C’est brun. Ça manque de vert. Les arbres se font toujours surprendre, tout nus, par le printemps. Les arbres, c’est le contraire de nous. Ils se déshabillent l’automne et se couvrent de feuilles l’été. On a hâte. Ils sont plus beaux habillés. Comme plusieurs d’entre nous.

On dirait bien que cette fois, c’est la bonne. L’hiver ne s’est pas simplement caché, il est parti. Pas de bordée à l’horizon. Il était temps. Ce n’est pas qu’on ne l’aime pas, mais disons que cette année, il a collé un peu trop. Même les bons amis, rendu à 3 h du matin, faut que ça retourne d’où ça vient.

Ouvrir sa première fenêtre, fin avril, c’est tellement tard. Et c’est sûrement pour ça que ça me frappe autant, que ça m’enchante autant. Que je réalise à quel point c’est un grand bonheur de la vie. Ouvrir une fenêtre comme on débouche une bouteille de champagne. Ça fait pop ! Comme si des bulles sortaient de la demeure. Tout cet air de chauffage central, toute cette poussière, toute cette mousse de tapis s’envolent. On est en dedans et on se sent un peu dehors. Avant, la maison était un arrêt, maintenant, elle est un passage.

Aussitôt qu’on a ouvert la première fenêtre, plus rien ne nous arrête. On ne veut surtout pas en rester là. On ouvre toutes les fenêtres, on pose toutes les moustiquaires, on installe tous les meubles sur la terrasse. Drette là. Je suis certain que tous les Québécois sont prêts pour la canicule. Les popsicles sont déjà achetés. Il a suffi d’un léger adoucissement des températures pour que nos chaumières deviennent des courants d’air.

Une semaine plus tard, la fenêtre est toujours ouverte dans mon bureau. Et dois-je vous avouer, y fait pas chaud. Dehors il pleut. Le temps est cru. Je grelotte un peu. Mais je ne me résous pas à la fermer. Je ne veux pas stopper mon élan. Mettre fin à la poésie. Fermer une fenêtre, c’est tristounet. Fermer une fenêtre en automne, ça peut être réconfortant. Chaleureux. Amoureux. Mais pas le 26 avril. Le 26 avril, on aère. Le 26 avril, il fait beau.

Quand le Québécois a décidé que le printemps est arrivé, ce n’est pas la température qui va le faire changer d’idée.

Quand le Québécois a sorti ses bermudas, il garde ses bermudas. Il pourra geler en mai, on va quand même faire la queue pour une crème glacée. On est comme Marc Bergevin. On se convainc. Notre défense est meilleure. Notre défense est meilleure. Il fait beau et chaud. Il fait beau et chaud.

Il a suffi de quelques rayons de soleil, le week-end passé, pour qu’on adopte le mode été. Et le temps gris annoncé, ce week-end, ne va rien y changer. Dans notre tête, la fenêtre est ouverte. Et elle va le rester.

Quoique… L’été, quand il fait trop chaud, bien des gens ferment les fenêtres pour vivre à l’air conditionné. Retour dans le bocal. C’est un choix. L’humain s’isole de plus en plus de la nature. Pour vivre dans un univers aseptisé. Où il fait toujours tiède. Vivre la fenêtre ouverte, c’est vivre dans la jungle. C’est sentir ce qui nous entoure. C’est entendre ce qui nous guette. C’est vivre dans son climat. C’est faire partie de la faune. Mon chat le sait bien. Dès que j’ouvre une fenêtre, il s’y précipite, les moustaches dans la moustiquaire. Il fait sa vigie. Il surveille son territoire.

Il fait vraiment froid. Je vais attraper la crève. Je me résigne à fermer la fenêtre. Je croyais que le film du temps chaud était commencé, mais ce n’était que la bande-annonce.

J’aurai donc le bonheur de rouvrir la fenêtre une autre fois. Et d’apprécier ce moment tout simple, où la vie entre chez moi.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.