Opinions

Courrier : « Il n’y a pas d’épidémie de viols dans nos universités »

Le texte de Claudine Guiet intitulé « Il n’y a pas d’épidémie de viols dans nos universités », publié le 24 septembre, a fait beaucoup réagir. Voici quelques-uns des commentaires que nous avons reçus.

Où sont les études sérieuses ?

Je veux bien croire que les statistiques citées sur les sites officiels (gouvernementaux ou autres) sont fausses, autant au Québec qu’en France, qu’elles sont tirées d’études ayant une méthodologie douteuse, mais alors où sont les études sérieuses et objectives qui existent selon Mme Guiet ? Quelles seraient donc les statistiques réelles ? Je n’ai rien trouvé à ce sujet même en « googlant » « rape culture myth »…

Je me demande aussi sur quelles études elle s’appuie pour affirmer que les filles considèrent qu’elles ont été victimes de viol si elles regrettent une relation sexuelle ! Peu de faits scientifiques de la part d’une anthropologue.

Tant mieux si cette culture du viol n’est qu’un mythe ! Mais Mme Guiet n’est pas très convaincante.

– Denise Hervé, Montréal

Une culture de non-respect

Tant mieux s’il n’y a pas d’épidémie de viols dans nos universités ! Créons toutefois une autre expression : culture de la femme utilisable à toutes fins. Qu’est-ce qu’un baiser forcé, si ce n’est une agression qui ne peut se comparer à un viol, bien sûr. Mais une agression quand même qui démontre une culture de non-respect de l’intégrité de l’autre.

– France Lefebvre, Montréal

L'exagération n'aide pas

Il ne faut pas tout croire ce qu’on écrit sur le web… Merci à Mme Guiet qui nous le rappelle avec justesse. La dramatisation et l’exagération n’ont jamais aidé aucune cause, au contraire, cela risque de mener à la banalisation et de nuire aux vraies victimes. Et cela s’applique dans tous les domaines.

– Suzanne Blackburn, Blainville

Une autre étude à prendre au sérieux

Évidemment, lorsqu’on ne considère que le viol pur et simple (pénétration forcée), les données peuvent sembler étonnantes. Mais de là à présenter la culture du viol comme un mythe, il y a clairement un manque de compréhension du concept, et surtout, de la réalité vécue sur les campus universitaires.

Et pas besoin de faire partie de la « troisième vague du féminisme et des départements d’études des femmes » pour s’en rendre compte. Prenez l’équipe de l’Enquête sur la sexualité, la sécurité et les interactions en milieu universitaire (enquête ESSIMU) qui vient de dévoiler quelques résultats préliminaires de son étude, dont le plus éloquent : une personne sur quatre a subi une forme de violence sexuelle au cours de la dernière année sur six campus du Québec.

Eh oui, les femmes sont les plus souvent visées. Je vous invite bien sûr à consulter l’étude en question plus en profondeur lorsqu’elle sera déposée afin d’en évaluer la qualité, mais j’espère que ces résultats préliminaires vous permettront de reconnaître qu’il y a là bel et bien un problème d’envergure.

– Vincent Thériault, étudiant-chercheur en sciences de la santé

OPINION

La culture du viol, ce n’est pas de la fiction

On ne voit jamais que la pointe de l’iceberg de la violence sexuelle

Je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer. Claudine Guiet écrit, pour s’opposer à la dénonciation d’une culture du viol manifeste sur les campus universitaires (comme dans la société en général), que « les départements d’études des femmes feraient mieux dans le roman que dans les sciences sociales ».

Est-ce à dire que celles et ceux qui dénoncent la culture du viol font dans la fabulation ? Ou que les programmes d’études des femmes n’ont rien à dire sur la société et son mode de fonctionnement, et que celles et ceux qui y travaillent devraient s’en tenir à l’univers de la fiction ? Ou encore que celles qui enseignent la littérature sont tout sauf des lectrices du monde dans lequel on vit, et que le travail qu’elles font est au mieux esthétique et décoratif – ce qui correspond encore trop souvent, il faut le dire, à la place donnée aux femmes dans notre société ? On se trouve, ici, au croisement de diverses manifestations du mépris !

Je n’ai pas l’intention de défendre, encore une fois, la pertinence de l’expression « culture du viol », cette culture qui banalise les agressions sexuelles (dont la majorité des victimes sont des individus identifiés ou qui s’identifient comme femmes), voire les encourage, les facilite. Une culture qui crée un climat tel que la violence sexuelle (peu importe quelle forme elle prend) devient la norme et que les femmes vivent en permanence dans cet état d’exception où elles risquent, à tout moment, non seulement de subir une agression, mais de voir leur expérience démentie.

C’est le cas ici. Non, dit-on, il n’y a pas d’épidémie de viols. Ce qu’il y a, c’est des filles qui, parce qu’elles regrettent une relation sexuelle, décident, le lendemain matin, d’accuser le partenaire de viol. Vraiment ? Pourtant, les statistiques démontrent que le cas de fausses dénonciations est infiniment petit (documenté par les CALACS).

De la même façon, on sait, maintenant, que le nombre de femmes qui déposent des accusations (malgré tout ce qui peut les en dissuader) est extrêmement inférieur au nombre d’agressions qui ont lieu, et on sait aussi, dès lors, le nombre d’accusés jugés coupables est à son tour microscopique. En fait, on ne voit jamais que la pointe de l’iceberg de la violence sexuelle. Et c’est ça aussi que veut pointer la notion de « culture du viol » en sensibilisant les populations pour changer les mentalités.

S’il y a une épidémie, ici, c’est une épidémie de mauvaise foi, de misogynie et d’antiféminisme, alors que les spécialistes de la question de l’agression sexuelle ne cessent de faire les preuves que la violence sexuelle contre les femmes n’est pas un mythe. Un baiser volé est une agression. Le monde dans lequel on vit n’est pas un conte de fées. Le temps des princesses endormies, prises dans leur sommeil, dont le consentement n’est nullement attendu, est révolu.

C‘est ainsi que les programmes d’études des femmes font dans le roman : en travaillant à démanteler non seulement les mythes, les idées reçues, les lieux communs, les préjugés, mais toute cette machine qui sait si bien fabriquer la domination, préférant maintenir un statu quo dont les populations minorisées en général et les femmes en particulier payent sans cesse le prix.

L’université fait partie de la société. Elle n’est malheureusement pas immunisée contre la culture du viol. Ce dont il faut la protéger, c’est de l’épidémie du mépris.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.