Opinion Réseau de la santé

Trop pour les médecins ?

Nos exigences salariales et nos gains ont des conséquences.

Comme plusieurs de mes collègues, je suis embarrassé par les hausses de rémunération majeures accordées récemment aux médecins. Nous sommes peut-être une minorité au sein de la profession, mais je pense que notre point de vue doit aussi être entendu. Malheureusement, nos représentants ont un discours unique, affirmant que nous sommes sous-payés et méritons toujours plus d’argent.

Je ne veux pas dénigrer le travail de personne. Je sais que beaucoup de collègues travaillent de très longues heures dans des conditions difficiles, avec des habiletés exceptionnelles et des résultats qui n’ont pas de prix : combien vaut une vie sauvée ? Combien mérite celui qui la sauve ? Mais ceci ne justifie pas tout.

Alors que le gouvernement cherche à économiser chaque dollar, et qu’inévitablement des services à la population seront coupés, il faut se demander si accorder autant d’argent aux médecins est justifié. Chaque dollar accordé en hausse salariale à des professionnels déjà très bien payés, c’est un dollar de moins pour d’autres projets. Un dollar de moins pour engager des intervenants au service des enfants autistes pris sur des listes d’attente. Un dollar de moins pour ouvrir des lits en soins de longue durée et ainsi désengorger nos hôpitaux et nos urgences. Un dollar de moins en soutien scolaire aux jeunes enfants à risque de décrochage. Nos exigences salariales et nos gains ont des conséquences.

LE RATTRAPAGE, UN ARGUMENT ILLÉGITIME

Nos représentants soutiennent qu’il s’agit de rattrapage, puisque notre rémunération est inférieure à la moyenne canadienne. Cela semble légitime. Je ne suis pas d’accord avec cet argument, pour plusieurs raisons.

Premièrement, les étudiants des autres provinces payent bien plus cher qu’ici leur formation médicale. Les frais de scolarité peuvent atteindre 10 000 $ par année dans certaines facultés, alors qu’au Québec un étudiant payera moins de 5000 $. La dette contractée en cours d’étude est bien plus importante pour les étudiants hors Québec.

Deuxièmement, le coût de la vie au Québec est bien inférieur à la moyenne canadienne. Avez-vous vu le prix des maisons à Toronto ? Vancouver ? Un dollar gagné ici vaut donc un peu plus qu’ailleurs au pays. Les salaires sont donc aussi plus bas au Québec. C’est vrai pour les infirmières, les professeurs d’école, les chauffeurs d’autobus. Pourquoi pas les médecins ?

Troisièmement, plusieurs études confirment que les médecins québécois travaillent moins d’heures que la moyenne des médecins canadiens. C’est un choix légitime, et conforme à notre société culturellement distincte : la plupart des Québécois, quel que soit leur métier, travaillent en général un peu moins que le reste des Canadiens.

On pourrait invoquer bien d’autres arguments, entre autres que la rémunération des médecins au Canada même est exagérée, à cause de la proximité des États-Unis et de leur système où les médecins sont payés une fortune, dont une grande partie disparaît dans les frais d’assurance et les poursuites judiciaires.

Le Québec ferait un meilleur choix en s’inspirant des pays européens, qui payent leurs médecins considérablement moins qu’ici, et épargnent ainsi des sommes qu’ils peuvent investir ailleurs.

Ce sont les pays européens qui ont les meilleurs systèmes de santé au monde, qui trônent au sommet des classements. Ce sont eux qu’il faut prendre en exemple.

Pour ma part, je souhaiterais que ma hausse salariale soit utilisée pour engager des physiothérapeutes, des orthopédagogues, des psychologues et tant d’autres professionnels dont mes patients ont besoin, et qui ne sont pas assez disponibles dans notre système de santé. Cela serait utile pour mes patients. Des dollars supplémentaires dans ma poche, ça ne sert à personne.

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