Chronique

Funérailles à crédit

Triste ironie du sort. Michel Gosselin a travaillé toute sa vie, notamment dans un cimetière, mais à la suite de sa mort, le 31 janvier dernier, sa famille est contrainte de passer le chapeau pour trouver l’argent nécessaire afin de lui organiser des funérailles dignes de ce nom.

Le coût des obsèques s’élève à plus de 4000 $. C’est déjà 2000 $ de moins que ce que la succession aurait dû débourser si elle avait respecté à la lettre les dernières volontés du défunt, qui a succombé à un cancer à l’âge de 65 ans.

« Le salon funéraire nous demande un dépôt de 1600 $ », m’a expliqué sa fille Josée Chiasson. Mais comme les proches du disparu n’ont pas encore réuni cette somme, les funérailles sont retardées.

Sous peu, la succession devrait recevoir la prestation de décès de 2500 $ de Retraite Québec, puisque M. Gosselin a cotisé au Régime des rentes du Québec (RRQ) toute sa vie. Mais ce sera loin d’être suffisant pour payer la facture totale.

Le problème, c’est que cette prestation n’a pas été indexée depuis plus de 20 ans. Alors de plus en plus de familles ont du mal à payer les frais funéraires, qui n’ont cessé d’augmenter.

En 1998, la prestation de décès permettait de couvrir la moitié des frais funéraires moyens, qui se chiffraient à près de 5000 $. En 2016, la prestation ne couvre plus que 37 % de la facture moyenne, qui a grimpé à environ 6500 $.

Pour couvrir la moitié de la facture, il faudrait que la prestation de décès remonte à environ 3300 $, c’est-à-dire un tiers de plus que les 2500 $ que verse le RRQ en ce moment.

Cela resterait bien en dessous des 5107 $ que remettent la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ) et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) aux familles des gens qui meurent sur la route ou au travail. Ces prestations sont d’ailleurs indexées à l’inflation chaque année.

Aujourd’hui, on ne va plus bien loin dans un salon funéraire avec les 2500 $ de la RRQ (une somme qui est généralement plus faible, car la succession doit payer de l’impôt sur la prestation).

Avec 2500 $, on obtient uniquement une crémation de base. Pas de visite au salon. Pas d’urne. Pas de cérémonie pour le défunt.

Conséquence : certains héritiers repartent avec les cendres de leur proche dans le premier contenant qui leur tombe sous la main et en disposent de manière complètement irrespectueuse.

Juste avant Noël, par exemple, la famille d’un défunt a déposé ses cendres à un centre de dons de la Société Saint-Vincent de Paul, qui promet de « donner une nouvelle vie » aux objets de toutes sortes. La succession aurait-elle confondu récupération et réincarnation ?

Alors que Québec mènera de vastes consultations publiques sur l’avenir du RRQ, du 17 au 20 janvier, l’heure est venue de se questionner à propos de la prestation de décès. La Coalition pour la révision du RRQ a justement déposé un mémoire au début de la semaine.

Ce regroupement de fournisseurs de services funéraires prêche pour la bonification de la prestation de décès à 5107 $, comme à la SAAQ et à la CNESST, et pour son indexation par la suite.

Faut-il aller si loin ? Un simple rattrapage pour tenir compte de l’inflation serait-il suffisant ? Tout a un prix. La prestation de décès coûte actuellement 120 millions de dollars par année au RRQ, soit moins de 1 % de l’ensemble des prestations de quelque 13 milliards versées par le Régime.

Il n’en demeure pas moins qu’une bonification des prestations de décès entraînerait forcément une hausse du taux de cotisation au RRQ, qui a déjà bondi de 6,4 % en 1998 à 10,8 % en 2017, pour assurer la pérennité du Régime.

Cela dit, le sujet ne semble même pas à l’ordre du jour des consultations. Il faut dire qu’il y a des enjeux autrement plus importants à aborder. Exemples ? La bonification du RRQ pour pallier le manque chronique d’épargne de la classe moyenne, la refonte du calcul des rentes de conjoint survivant, qui ne tient plus compte de la réalité des familles d’aujourd’hui…

Mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas parler de la prestation de décès, qui est versée à quelque 50 000 familles chaque année.

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