OPINION PASCAL NAVARRO

Maman fait de la politique

La semaine dernière, la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a accouché d’une petite fille et prévu quelques semaines de congé, après quoi elle reviendra en poste. 

Au même moment et à l’autre bout du monde, la ministre canadienne des Institutions démocratiques, Karina Gould, allaitait son bébé en pleine assemblée parlementaire à Ottawa. L’extrait vidéo la montrant donner la tétée pendant la période de questions a, évidemment, couru sur les réseaux sociaux.

Quelques personnes s’en sont offusquées, clamant qu’on attend autre chose des ministres en poste ou déplorant qu’elle ne couvre pas sa poitrine. Mais globalement, le public et les collègues acceptent, voire se réjouissent, que des femmes puissent devenir mères pendant leurs mandats de députée ou de ministre.

De plus en plus de Parlements dans le monde vivent avec cette réalité, et plusieurs ont même légiféré pour que les députés, hommes et femmes, aient droit à un congé parental, ce qui ne serait que normal.

Au Canada, notre gouvernement féministe et libéral a créé des attentes : le congé parental destiné aux parlementaires, c’est pour quand ?

Le pouvoir d’une loi

Bien que la société évolue sur ce sujet, il y a encore du chemin à faire pour que la maternité et la parentalité soient prises en compte dans l’espace politique.

C’est une vérité de La Palice, mais s’occuper de bébés ne dure pourtant pas toute la vie ni même tout un mandat. De plus, la maternité ne vous fait pas devenir demeurée. Vous avez encore la possibilité de travailler, de réfléchir et de prendre des décisions.

Si on veut attirer plus de femmes dans les parlements, il faut donc envoyer le message qu’elles sont attendues et bienvenues (« bienvenues », parce que l’histoire ne les y a pas incluses, donc, il y a un peu de rattrapage à faire), et légiférer en faveur d’un congé parental pour le personnel politique et les députés.

Inscrire dans un cadre législatif que des parlementaires ont droit à un arrêt de travail et à des dispositions particulières parce qu’ils deviennent parents, voilà qui signifie que le gouvernement comprend cet enjeu et qu’il l’encadre par des mécanismes.

Une loi aurait aussi pour effet de faire entrer au Parlement la réalité de la vie parentale et les sujets si nombreux et lourds de sens qui l’accompagnent.

Il faut également démontrer que, politiquement, on prend en compte la maternité, certainement l’une des choses que partagent le plus les femmes dans le monde.

Dans plusieurs villes canadiennes, la politique municipale vit cette petite révolution. À Montréal, de jeunes élues, parmi lesquelles Elsie Lefebvre, se sont battues pour l’obtention d’un congé parental désormais accessible. De leur côté, le Parti québécois et Québec solidaire se sont engagés à légiférer sur le sujet au plan provincial.

Le droit de « Tout avoir »

Dans son livre Maternité, la face cachée du sexisme-Plaidoyer pour l’égalité parentale, la journaliste et essayiste québécoise Marilyse Hamelin réfléchit sur la vision sociale de la maternité. Elle développe l’idée que l’égalité parentale – induite notamment par un congé de paternité dédié allongé – changerait la façon de voir la parentalité.

Elle y explique aussi que la société enjoint davantage les mères à incarner le parent de référence, situation qui les éloigne de leurs ambitions professionnelles et entretient les inégalités de sexe. Pourtant, les politiciennes Jacinda Ardern, Karina Gould, avant elles les anciennes ministres Pauline Marois ou Sheila Copps, tout comme la jeune génération de conseillères municipales québécoises actuelle démontrent une chose : bien des politiciennes devenues mères veulent continuer à exercer une influence sur la vie politique, écrire des lois, changer le monde. Arrivons au XXIe siècle !

Le concept d’égalité parentale, préconisé par Marilyse Hamelin est déterminant : si les hommes ont le droit de « tout avoir »*, la famille et le travail, les enfants et l’accomplissement personnel, professionnel ou créatif, les femmes aussi y ont droit. Et s’il faut qu’elles amènent leur bébé en Chambre, pourquoi pas ?

Pour que les choses changent, il faut que le système prenne en charge le changement.

C’est bien beau de s’extasier devant la venue d’un enfant, mais ce serait encore mieux de transformer les structures pour que les femmes politiques qui le désirent continuent d’être mères tout en poursuivant leurs rêves professionnels.

* Cette expression renvoie au titre d’un article d’Anne-Marie Slaughter, « Why Women Still Can’t Have it All », publié en août 2012 dans le magazine The Atlantic

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