Sport paralympique

Regarder le hockey bien en face

Avant d’être médaillé 11 fois aux Jeux paralympiques, Dean Bergeron rêvait de jouer au hockey dans la Ligue nationale. Le Québécois est devenu quadriplégique après une bagarre au hockey qui a mal tourné.

Tout le monde a son mot à dire sur les bagarres au hockey. Il y a les gérants d’estrade qui les défendent bec et ongles. Il y a les bagarreurs retraités qui plaident pour leur ancien gagne-pain. Il y a aussi les familles de ceux qui sont morts de s’être trop battus, comme celles de Derek Boogaard et de Wade Belak, qui cherchent simplement à comprendre.

Puis il y a le Québécois Dean Bergeron. On lui a parlé cette semaine, alors qu’on apprenait qu’il allait être admis, à l’automne prochain, au Panthéon des sports du Québec. Dean Bergeron est méconnu du grand public. Il a pourtant un des parcours les plus inspirants du sport québécois.

Il a aussi un discours très tranché sur les bagarres au hockey ; le discours de celui qui sait. « T’as beau avoir deux patins dans les pieds et jouer au hockey, tu dois rester civilisé. Les bagarres n’ont pas leur place au hockey. Je ne me fais pas toujours des amis en disant ça, mais je le pense », dit-il.

Avant d’être médaillé 11 fois aux Jeux paralympiques, de battre plusieurs records et de remporter le marathon de Boston en fauteuil roulant, Dean Bergeron était un « p’tit gars » du Saguenay qui rêvait de jouer au hockey dans la Ligue nationale.

Il avait tout pour le faire. Il a joué dans le midget AAA, a été repêché dans la LHJMQ, a connu avec les Cataractes de Shawinigan une belle année recrue. L’avenir souriait à l’attaquant de 6 pi 2 po.

Puis, plus rien. Si vous allez voir sa fiche sur le site HockeyDB, elle s’arrête là, à cette première saison. C’est que le 25 août 1987, sa vie a basculé. Ce jour-là, en plein camp d’entraînement, dans un match simulé, Dean Bergeron et une recrue se sont battus.

Y a-t-il un autre sport où des bagarres entre coéquipiers sont tolérées ? Au hockey, c’était banal il n’y a pas longtemps encore. Bergeron, lui, n’était pas un bagarreur. Mais il sentait que c’était ce qu’on attendait de lui, comme de tous les autres joueurs.

« J’ai reçu un coup de poing au visage, qui m’a fait perdre mon casque. Un deuxième coup de poing sur la tempe m’a fait tomber par en arrière. L’autre joueur est tombé par-dessus moi, raconte Bergeron.

« J’ai deux vertèbres cervicales qui ont éclaté. On a entendu un “clac” dans l’aréna. Tout a arrêté. J’ai essayé de me relever et ça ne marchait pas. J’ai réessayé et ça n’a pas fonctionné. Là, j’ai compris que c’était quelque chose de grave. »

Dean Bergeron ne pouvait plus marcher. Sur le coup, il s’est mis à pleurer. Il ne comprenait pas ce qui venait de lui arriver. Il avait 18 ans.

Le rêve

Pendant des années après l’incident, Bergeron s’est demandé : pourquoi moi ? « Il n’y a qu’un seul joueur qui est devenu quadriplégique dans toute l’histoire de la Ligue de hockey junior majeur du Québec et c’est moi. Pourquoi ? »

Pendant un bout, Bergeron a délaissé le sport. Quand un ami vous fait mal à ce point, au point de vous priver de vos jambes, vous le mettez de côté, illustre-t-il. Il a fait des études d’actuariat. Aujourd’hui, il mène une carrière florissante dans ce domaine.

Mais quelques années plus tard, il est revenu au sport. Il ne s’imaginait pas jouer au hockey sur luge. « Ça m’arrive encore de rêver de hockey. Mais je suis toujours sur mes deux pattes. Alors le hockey sur luge, ça ne m’a jamais parlé, dit-il. Pour moi, c’est un autre sport. Dans mes souvenirs de hockey, je suis avec le chandail des Cataractes et je joue dans le junior majeur. Alors je voulais essayer autre chose. »

André Viger éveille sa curiosité. Il décide d’essayer la course en fauteuil roulant et c’est la piqûre. Il deviendra l’un des meilleurs athlètes au monde. Il a remporté cinq médailles aux Jeux paralympiques d’Atlanta, en 1996 ; deux à Sydney en 2000 ; une médaille en 2004 à Athènes et trois à Pékin en 2008, dont deux d’or.

« Il ne faut jamais abandonner ses rêves. On ne sait jamais comment ils vont se réaliser. Je rêvais de jouer dans la Ligue nationale. Mais à partir du moment où ce rêve-là n’est plus possible, il faut le transformer. »

— Dean Bergeron

« Quand je suis revenu de Pékin en 2008, j’ai repensé à quand j’étais p’tit cul et que je jouais au hockey, à quand j’ai eu mon accident, à la réadaptation et à mon parcours de 20 ans en course en fauteuil roulant… Et à ce moment-là, je me suis rendu compte que j’avais réalisé mon rêve. Je ne l’avais peut-être pas réalisé comme je pensais le réaliser. Mais je l’ai réalisé quand même. »

Au fil des ans, sa façon de regarder le hockey a aussi changé. Au départ, il pensait que son accident n’était qu’un mauvais coup du destin. Puis avec les années, il s’est mis à réfléchir à la culture de la violence dans le sport, et notamment aux bagarres.

Est-il normal « de montrer à nos enfants que les choses se règlent à coups de poing dans la vie » ? demande Bergeron. Pour lui, la réponse est non. Avec le temps, il s’est mis à prendre position dans les médias. Il y a une dizaine d’années, il a même plaidé pour l’abolition des bagarres devant les directeurs généraux des équipes de la LHJMQ réunis pour le repêchage.

« Ça fait 28 ans que je suis en fauteuil roulant. Chaque matin pendant ces 28 années, j’ai dû être transféré de mon lit à un fauteuil. Je vais passer le reste de ma vie dans un fauteuil, dit-il. Alors je me sens un peu investi de cette mission, de prendre position contre les bagarres. J’ai été une victime de ce système-là et je ne voudrais pas que mes enfants en soient victimes. »

L’automne prochain, Dean Bergeron recevra l’un des plus grands honneurs du sport québécois. Son intronisation sera l’occasion de célébrer la persévérance de cet homme qui est allé au bout de son rêve.

Elle sera aussi l’occasion de réfléchir sur la place des bagarres sur la glace ; la chance de regarder le hockey bien en face.

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