À ma manière

L’homme qui apprend

Certains font don de leurs archives. D’autres, de leurs manuscrits ou de leur collection d’art. Michel Maletto, lui, a fait don de sa méthode de développement organisationnel à l’Université du Québec à Rimouski. Un legs précieux, fruit d’une expérience hors du commun.

Il ne le dira pas lui-même, mais avec près d’un demi-siècle d’expérience derrière lui, Michel Maletto est une espèce de légende parmi les conseillers en développement organisationnel et en ressources humaines au Québec.

Pourtant, il n’a pratiquement jamais accordé d’entrevue. « J’ai fait le choix de ne pas être connu publiquement », dit-il.

Au printemps 2013, il avait été chargé, avec quelques collègues, d’évaluer les programmes de psychosociologie de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

Les professeurs du département se sont beaucoup intéressés aux méthodes et au matériel qu’il avait mis au point au fil de sa carrière.

« Je leur ai transmis mes cadres de référence, mes méthodologies, les outils et les listes de contrôle (checklists) », explique-t-il

Il les guide à distance, répond à leurs questions, toujours bénévolement. Il ne touche aucune redevance, mais il conserve la propriété intellectuelle de son matériel. « Pour que ça serve », dit-il.

En quoi cette méthode est-elle si particulière ?

LA FORME ET LE FOND

« Je crois que mon parcours – je l’ai réalisé avec le temps –, je l’ai fait autrement que les gens qui font le même métier que moi. »

De petite taille, mince, un visage étroit au relief très découpé, l’homme de 73 ans est dans une forme splendide. En décembre, encore, il participait à une expédition à vélo de 500 km en cinq jours, en Patagonie. « Ça fait 38 ans que je m’entraîne trois fois par semaine », indique-t-il. « J’ai compris que le fait d’être en forme physique n’était pas neutre, chez les clients. »

En effet, il dégage un étonnant dynamisme dans le contact simple, sensible et franc qu’il établit.

Question d’expérience professionnelle ou de nature profonde ? Un peu les deux, sans doute.

Et c’est probablement ce qu’a vu en lui l’homme qui l’a attiré dans cette voie, au milieu des années 60, alors qu’il était étudiant au baccalauréat ès arts à l’Université de Montréal.

« On faisait des expériences à Montréal sur les phénomènes de groupe, raconte-t-il. J’y suis allé comme participant. Le moniteur, à la fin, m’a demandé ce que je voulais faire dans la vie. Je ne le savais pas. Il m’a dit : “Tu vas faire le même métier que moi.

 — Je ne sais pas ce que vous faites !

 — Tu vas me suivre.”

« Il m’a amené avec lui, et je me suis dit : au lieu de suivre des cours à l’université, je vais me faire accompagner par des maîtres. »

Cette philosophie l’amènera à suivre en Californie des stages en Psychological Fitness Training – quelque chose comme une « mise en forme psychologique ».

Autre hasard, en 1969, on lui demande de remplacer au pied levé l’animateur d’une rencontre organisée dans le cadre d’une enquête de CROP.

La rencontre est enregistrée sur magnétoscope et diffusée dans le milieu, ce qui amène le cinéaste Fernand Dansereau à lui proposer de fonder avec lui une première entreprise, In-Media, en 1970.

Avec d’autres collègues en développement organisationnel, Michel Maletto crée ensuite le CIRQO, le Centre d’intervention et de recherche sur la qualité des organisations.

TOUCHE-À-TOUT

Très demandé, il décide au début des années 80 de former son propre bureau de consultation, Maletto et associés, qui comptera jusqu’à huit intervenants.

Mais il continue à garder les yeux ouverts.

« Ce qui me fascinait, c’était de regarder toutes les approches qui existaient. J’aimais aller travailler avec des sociologues, puis avec des psychologues. J’étais le seul qui se promenait comme ça d’un univers à l’autre. »

— Michel Maletto

Il apprend ainsi de tous les maîtres, il puise à toutes les sources, jusque dans la psychologie canine, dont il retient l’importance du chef de meute.

C’est toutefois à l’étranger qu’il prend la pleine mesure de cette particularité. Au milieu des années 80, il fait une intervention au Niger. « Je rencontre des consultants français, suédois, suisses, américains. C’est la première fois qu’ils me donnent un feedback sur mes méthodes : où tu as pris ça ? »

Où ? À gauche, à droite, ici, ailleurs… Il travaille en vases communicants. « Je m’aperçois qu’au Québec, on était en train de faire une synthèse des connaissances qui n’était pas faite ailleurs. »

À l‘instigation de l’un des consultants rencontrés au Niger et d’un professeur de l’Université de Tours, il ouvre un bureau à Paris en 1991. « Quand vous êtes québécois et que vous êtes engagé par Renault, par Air France, par Alcatel, ce n’est pas rien ! », s’étonne-t-il encore.

Essoufflé par les déplacements – il s’y rendait tous les mois –, il vendra ses actions en 1995.

POUR QUE L’ŒUVRE SURVIVE

Toute aventure a une fin. Il a fermé son bureau en 2012.

« J’avais fait le tour. C’est énergivore, et je voulais décélérer. »

Il se consacre maintenant à l’écriture. Il a créé les Éditions Maletto, pour éditer les cinq livres qui résument sa méthode et pour soutenir le site d’apprentissage en ligne qu’il y a greffé.

« J’ai vraiment eu une chance inouïe », observe-t-il. « Je trouve ça important, parce que j’ai été privilégié, d’être capable de transmettre ça aux nouvelles générations. »

C’est pourquoi il aurait souhaité que les activités de Maletto et associés se poursuivent. « Il n’est pas évident de trouver un successeur. Je pense que je n’ai pas su comment faire, comment trouver les profils de compétence que ça prenait. Ça fait partie de mes échecs. »

Un ange passe…

« Je trouve ça triste. On est la seule famille de Maletto. Notre nom, pour nous, c’est important. Si j’avais eu une entreprise qui m’avait succédé, en l’honneur de mes grands-parents, j’aurais été fier. »

Le legs à l’UQAR est aussi une réponse à cette déception, une façon de perpétuer sinon son nom, du moins son œuvre. 

JAMAIS FINI D’APPRENDRE

Il voulait décélérer, disait-il ? Cet infatigable pédagogue s’intéresse maintenant à l’apprentissage rapide !

« On parle de speed dating. J’ai un projet de speed learning. J’ai tout le matériel. Les gens pourraient apprendre des compétences très simples en deux minutes. Et ça, je sais que ça n’existe pas encore. »

Un exemple ? Il a récemment monté un petit programme pour sensibiliser les employés d’un CHSLD à apporter les plateaux aux personnes âgées au moyen d’une bande dessinée.

« Aussi simple que ça ! »

Apprendre aux autres, apprendre des autres : une œuvre et une quête jamais achevées…

« Les gens t’apprennent des choses, proclame-t-il. Je ne savais pas qu’il y a 40 sortes de frites en Amérique du Nord. C’est un client qui m’a appris ça ! »

C’était vers 1985. Il ne l’a pas oublié. Qui sait si ça ne pourra pas lui servir…

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