Science

La « malédiction de la mère » prouvée chez l'humain

Des chercheurs québécois ont fait pour la première fois la preuve de la « malédiction de la mère ». Ce concept génétique explique que des maladies héréditaires transmises par la mère seulement, mais qui frappent surtout les hommes, ne disparaîtront jamais. La preuve a été possible grâce aux données de descendance détaillées disponibles au Québec, qui ont permis d’identifier tous les descendants d’une fille du Roy arrivée au Québec au XVIIe siècle et qui était porteuse d’une « maladie mitochondriale » appelée « neuropathie optique de Leber ».

« On avait fait la preuve de la malédiction de la mère chez la drosophile [la mouche de laboratoire], mais jamais chez l’humain », explique Emmanuel Milot, biologiste à l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui est l’auteur principal de l’étude publiée hier dans la revue Nature Ecology & Evolution. « Nous avons aussi montré que la neuropathie de Leber causait non seulement de la cécité à l’âge adulte, mais aussi de la mortalité infantile chez l’homme, mais pas chez la femme. » Cette maladie est sept ou huit fois plus fréquente chez l’homme.

La mitochondrie est une partie de la cellule responsable de la production d’énergie. Elle a un matériel génétique distinct de l’ADN du noyau des cellules, qui est transmis à parts égales par le père et la mère. Le matériel génétique de la mitochondrie est transmis directement par la mère à ses enfants, garçons ou filles. Un garçon qui hérite de sa mère d’un matériel génétique mitochondrial associé à des mutations délétères ne le transmettra pas à ses enfants. Le matériel génétique des mitochondries est minuscule comparé à celui de l’ADN hérité du spermatozoïde et de l’ovule parentaux, qui est 19 000 fois plus important.

« Dans les modèles théoriques de l’évolution, il y a une logique assez implacable pour expliquer la malédiction de la mère, dit M. Milot. Si une maladie est liée à la mitochondrie et n’affecte que peu ou pas les femmes, il n’y a aucune raison qu’elle disparaisse. À notre connaissance, c’est la première fois qu’on suit le sort d’une mutation liée à une maladie génétique sur des centaines d’années et qu’on peut regarder le sort des individus. C’est grâce aux données exceptionnelles des registres des paroisses au Québec. On est en train de devenir un modèle pour l’étude de la biologie de l’évolution, comme les drosophiles dans les laboratoires. »

Un impact ?

Cette découverte a-t-elle une incidence clinique ? Le nom de la fille du Roy qui a introduit la mutation en Nouvelle-France n’est pas dévoilé pour ne pas que ses descendants soient identifiés, dit M. Milot. Des couples ne bénéficieraient-ils pas de savoir si leur enfant est plus à risque de mourir bébé ? « On pense qu’il y a moins d’impact sur la mortalité infantile avec la médecine moderne », ajoute Bernard Brais, de l’Université McGill, qui est l’un des autres coauteurs de l’étude. « D’autres maladies mitochondriales rendent plus susceptible aux infections, ce qui est moins un problème maintenant. »

M. Milot avait auparavant travaillé sur la population de L’Isle-aux-Coudres. « Nous avons montré la première évolution de sélection naturelle chez l’humain moderne. Il y avait une forte sélection pour favoriser les femmes qui avaient leurs enfants plus tôt. C’est un phénomène environnemental et culturel, mais aussi biologique. Cette sélection naturelle a favorisé la croissance de la population de L’Isle-aux-Coudres. »

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