Changements climatiques  Cyclisme

Coup de chaleur sur deux roues

Le cycliste Antoine Duchesne n’est pas friand de la chaleur. Le champion canadien sur route en a particulièrement souffert cette année en Australie et en Espagne. Explications.

À la radio et à la télévision, une « alerte rouge » implorait les gens de rester à la maison. Antoine Duchesne était sur son vélo dans le désert de Palm Springs pour une étape de 200 km du Tour de Californie.

« J’ai vu du 50 °C sur le compteur. On finissait dans un col en plein soleil, sans vent. Trois gars ont perdu connaissance dans la montée… »

Duchesne s’est rendu au bout non sans souffrir. Au fil du temps, il a compris que la chaleur ne serait jamais son alliée. Au dernier Tour d’Espagne, il a particulièrement peiné durant la première semaine disputée dans le Sud, où le thermomètre refusait de descendre sous les 30 °C.

« Je ne suis vraiment pas tolérant à la chaleur, mais quand on passe le cap des 38, 40 °C, c’est l’enfer, expose le champion canadien sur route. Je fais des moyennes de puissance de 30 à 40 % moins hautes que d’habitude et je finis comme si je venais de faire la course la plus dure de ma vie. »

« J’ai la sensation d’avoir le cœur pris dans un étau, je fais de l’hyperventilation. J’ai de la misère à manger, mal au ventre, je dors mal. Les trois ou quatre premiers jours, je pensais que j’allais rentrer à la maison. »

— Antoine Duchesne

Au début de l’année, le porte-couleurs de l’équipe française Groupama-FDJ a vécu le même genre de désagréments au Tour Down Under, en Australie. Son idée de prolonger son séjour pour profiter de l’été aux antipodes s’est avérée néfaste : « Il faisait encore 40 °C et je faisais des entraînements nuls. J’étais incapable de rouler fort. Les pulsations montaient bien trop haut. »

Le physiologiste Guy Thibault n’est pas surpris de ce témoignage d’Antoine Duchesne, plutôt grand pour un cycliste à 1,90 m (6 pi 2 po). La tolérance à la chaleur varie beaucoup d’un athlète à l’autre, mais en règle générale, les plus grands souffrent davantage.

« Il faut voir le corps humain comme une fournaise et un radiateur », illustre le directeur des sciences du sport à l’Institut national du sport du Québec (INSQ). « Plus la taille est grande, plus la fournaise est importante. C’est un rapport au cube. Mais la surface corporelle, qui est le radiateur, n’augmente pas de la même proportion, seulement au carré. Autrement dit, plus on est grand, plus le ratio entre la capacité de produire de la chaleur et la capacité à l’éliminer est désavantageux. »

Pourquoi la chaleur affecte-t-elle les performances ? « En gros, si je vulgarise, l’organisme l’interprète comme une baisse de l’envie de se pousser, répond Guy Thibault, qui s’est beaucoup intéressé à la question. Cette baisse dépend surtout de la quantité d’eau que tu as perdue. Le corps – surtout le cerveau et le cœur – n’aime pas que la température augmente. »

Deux mécanismes permettent au corps d’évacuer la chaleur. Le premier est la redistribution du sang vers la peau. « Même s’il fait chaud dehors, le sang est plus chaud que l’air ambiant, expose le scientifique. Par simple conduction, de la chaleur va partir de la peau pour aller dans l’air ambiant. On devinera que ce n’est pas très efficace quand il fait extrêmement chaud. La conduction n’est pas un mécanisme très efficace pour perdre de la chaleur. »

La sudation est l’autre processus, le plus efficace, qui permet au corps de se tempérer. « Le principe est le suivant : quand tu as une goutte de sueur qui perle sur ta peau, tu n’as pas encore perdu de chaleur. Mais si elle s’évapore pendant qu’elle est sur ta peau, là tu vas avoir un effet de refroidissement sur le corps. »

Quand le taux d’humidité avoisine les 100 %, ce mécanisme de régulation est cependant inopérant. La seule porte de sortie de la chaleur devient la redistribution sanguine vers la peau, ce qui prive les muscles d’une irrigation suffisante, d’où une baisse de la performance.

Celle-ci n’est toutefois pas une fatalité. « Plus tu es en forme, plus c’est facile de lutter contre la chaleur », insiste Thibault.

Une préparation conséquente de 10 jours dans un milieu chaud permet au corps de s’acclimater en amont d’une compétition. Le physiologiste suggère de s’y soumettre un mois et demi avant l’événement, idéalement en fonction du taux d’humidité attendu sur place.

« Contrairement à ce que tout le monde croit, une fois que tu as fait 10 jours d’acclimatation à la chaleur, c’est très facile d’en conserver les bénéfices. Tout ce que ça prend, c’est quelques expositions d’à peu près 20 minutes par semaine. »

Il cite l’exemple de Marie-Hélène Prémont, à qui il avait conseillé un stage dans un climat chaud et sec en prévision des Jeux olympiques d’Athènes, en 2004. La spécialiste du vélo de montagne avait maintenu ses gains en faisant quelques séances de rouleau dans son cabanon chauffé par le filtreur de la piscine à Château-Richer… Elle avait remporté l’argent en Grèce.

En prévision de la Vuelta, Duchesne a beaucoup roulé à la chaleur sur les routes autour de sa résidence de Saint-Restitut, dans le sud de la France. Avec le recul, il pense qu’il en a peut-être un peu trop fait. « Au bout du compte, tu fatigues beaucoup ton organisme. »

Des bienfaits même par temps froid

Fait intéressant, depuis deux ans, la littérature scientifique tend à démontrer que l’acclimatation à la chaleur provoque des bienfaits cardiorespiratoires même pour un athlète qui doit concourir par temps froid, indique Guy Thibault. L’INSQ est d’ailleurs en train de bâtir une salle d’entraînement thermique dans ses locaux au Stade olympique.

Alex Harvey s’est prêté à l’exercice dans une pièce aménagée dans son sous-sol avant le début de la saison 2015-2016. Il a jugé l’expérience peu concluante et trop contraignante pour la poursuivre. « Les valeurs sanguines n’avaient pas vraiment été améliorées, explique le fondeur. J’ai laissé tomber ce protocole pour me concentrer plus sur l’entraînement en altitude qui me donne de meilleurs résultats sur les valeurs sanguines et les tests physiques. »

Chaleur et sudation exposent l’organisme à la déshydratation. « Plus tu es adapté à la chaleur, plus tu es capable de générer de la sueur, souligne Thibault. Mais la capacité d’ingérer de l’eau et de la mettre dans son système circulatoire – qu’on appelle la vidange gastrique – n’augmente pas avec la forme. »

« Bref, tu es bon, tu es capable de perdre plus d’eau, mais tu n’es pas capable d’en ingérer plus qu’un moins bon. Le risque de déshydratation est donc beaucoup plus important chez un grand athlète qu’un moins bon. »

— Guy Thibault, physiologiste et directeur des sciences du sport à l’Institut national du sport du Québec (INSQ)

L’ex-marathonien Alberto Salazar, triple vainqueur à New York et gagnant à Boston, était un champion en la matière. « C’est l’un des athlètes les mieux adaptés à la chaleur qu’on a eus dans l’histoire de la course à pied, soutient le physiologiste de l’INSQ. Il était capable de perdre trois litres de sueur à l’heure, ce qui est un record d’après moi. »

Durant la canicule au Tour d’Espagne, Antoine Duchesne avalait une dizaine de litres de liquide sur une période de 24 heures. Autant que possible, le cycliste ne se contentait pas d’eau, et se tournait plutôt vers des boissons contenant des sels minéraux.

Une sage précaution, selon Thibault : « Si tu bois une grande quantité d’eau après un effort, les reins n’aiment pas ça ; ils “dérivent” l’eau et l’éliminent par l’urine. Si les reins voient de l’eau arriver avec du sel, ils vont se dire : “Wô, il faut diluer ce sel-là !” Alors ils vont garder l’eau et tu vas en uriner moins. »

Bains de glace, vestes réfrigérantes, maillot ouvert, douches d’eau en course : toutes les façons sont bonnes pour réduire sa température corporelle. Le cycliste français Thibaut Pinot, particulièrement vulnérable à la chaleur, s’y attelle depuis quelques années. Son coéquipier Duchesne a pris des notes avec l’espoir d’éviter le prochain coup de chaleur.

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