Opinion Nadia El-Mabrouk

Valorisation de la diversité
Sommes-nous sortis du discours moralisateur ?

Il aura fallu une défaite électorale dans la circonscription de Louis-Hébert pour que le gouvernement renonce finalement à sa « Consultation sur le racisme et la discrimination systémique ». On se souviendra du débat hautement toxique et culpabilisant ayant mené à l’annonce de cette consultation, auquel le gouvernement avait malheureusement fait écho.

Même si rien n’a été dit pour effacer l’impression très désagréable que le premier ministre avalise l’idée d’un Québec raciste, on ne peut que se réjouir de ce changement de cap vers un « Forum sur la valorisation de la diversité et la lutte contre la discrimination ». 

Le titre marque un changement de ton, en passant de la recherche de coupables à une notion positive de valorisation de la diversité. Mais le discours moralisateur a-t-il disparu pour autant et mise-t-on réellement sur le rapprochement ?

Je dois dire qu’à ce titre, la journée du 5 décembre organisée par le ministre David Heurtel, qui a portée sur l’intégration au marché du travail, était plutôt encourageante. Il y a été question de valoriser les qualifications, les compétences des nouveaux arrivants, et de présenter des modèles positifs de réussite. Comme le dit la représentante du forum Jeunesse Afro-Québécois qui s’est exprimée à cette occasion, « on a toujours l’envers du décor, la négativité, on a besoin d’avoir des modèles qui montrent que oui, (l’intégration) c’est possible ».

Mais la diversité est un concept fourre-tout qui peut aussi bien servir à construire du commun qu’à dresser des barrières.

Nassira Belloula, écrivaine d’origine algérienne, souligne très justement les effets contre-productifs d’un « Espace diversité » au Salon du livre de Montréal. « Dois-je toute ma vie me contenter de ces espaces clôturés qui ne s’ouvrent sur rien, où on met pêle-mêle tous les auteurs venus d’ailleurs ? » Malgré les bonnes intentions des organisateurs, une telle approche contribue-t-elle plutôt à confiner l’« autre » dans un rôle d’éternel étranger ? D’autant plus que le thème central des rencontres-débats organisés dans cet espace diversité n’était autre que le racisme. Parler d’expériences de vie, de poésie, de créativité serait un bien meilleur moyen, dans le cadre d’un événement culturel, pour faire tomber des préjugés et combattre le racisme.

Fabrication d’une image archétypale de l’« autre »

Quant à la valorisation de la diversité, l’approche canadienne du multiculturalisme ne vise pas le rapprochement, mais plutôt la valorisation de la différence et du communautarisme, notamment religieux. C’est dans cette optique que Justin Trudeau se déguise en sikh pour participer à une cérémonie sikhe, ou que la première ministre albertaine porte le voile pour souhaiter ses vœux de l’Aïd aux musulmans. Ce faisant, nos élus dérogent à la neutralité de l’État en s’adressant, non pas à des citoyens, mais à des croyants, et participent à instaurer une image faussée des membres d’une communauté.

C’est la même folklorisation que l’on retrouve dans les manuels du cours d’Éthique et Culture religieuse (ECR) que suivent nos enfants tout au long du primaire et du secondaire. La valorisation de la diversité passe dans ce cours par la division du monde en six religions, présentées de façon stéréotypée, en choisissant de surcroît les interprétations les plus dogmatiques, et souvent les plus discriminatoires envers les femmes. En outre, c’est bien souvent une femme portant le voile qui est choisie pour illustrer un propos sur l’islam.

C’est pour mettre en garde contre cette vision étriquée de la diversité qu’un mémoire a été déposé, dans le cadre de ce Forum, par un collectif de citoyennes et citoyens originaires de pays musulmans dont je fais partie. Ce n’est pas la première fois que nous signalons au gouvernement le danger de la valorisation de l’« autre » à travers des pratiques religieuses, notamment dans le cours ECR. Est-ce que cette fois-ci nous serons entendus ?

Une diversité qui rassemble

Le Québec a vécu une Révolution tranquille qui lui a permis de se libérer de l’emprise de la religion et de s’ouvrir à la modernité. On aura beau organiser des tables de concertation, des forums, des rencontres, les Québécois de toutes origines ne sont pas prêts à faire marche arrière et à permettre l’ingérence des règles religieuses dans notre société. En outre, les accommodements religieux ne peuvent devenir des mesures d’intégration. 

La valorisation de la diversité ne peut se faire que sur la base des valeurs laïques du Québec, et par un partage de la richesse culturelle, des compétences et des talents de chaque citoyen, peu importe son origine.

Espérons que 2018 marque la fin des sermons et le début d’un dialogue responsable entre politiciens, employeurs et société civile, pour enfin trouver des solutions durables à l’emploi et à l’intégration des immigrants, dans le respect de la société d’accueil.

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