accidents mortels chez hydro-québec

Un rapport relève de nombreuses « défaillances » en matière de sécurité

Un sentiment de « fausse sécurité », une organisation « prisonnière d’une roue », des « évaluations déficientes des risques », une impression d’« impuissance » des dirigeants. La firme externe chargée de passer au crible les pratiques en matière de santé et de sécurité au travail d’Hydro-Québec soumet un rapport révélateur qui provoquera un « véritable changement de culture ».

Connaissant son plus sombre bilan des vingt dernières années au chantier de la Romaine, sur la Côte-Nord, avec quatre accidents mortels depuis 2009 – trois en deux ans –, la société d’État a maintenant des réponses à ses questions. La firme ERM, dont les services ont été retenus dans la foulée du quatrième accident mortel en décembre 2016, a produit son rapport après 10 mois d’examen.

Et Hydro-Québec ne s’en cache pas, elle a du travail à faire pour opérer un profond changement de culture au sein de son organisation. « On avait ce qu’on peut appeler aujourd’hui avec le recul un sentiment de fausse sécurité dans l’entreprise », a admis, en entrevue à La Presse, le directeur des communications chez Hydro-Québec, Serge Abergel.

« C’était basé sur des indicateurs qu’on avait, qui nous indiquaient qu’on avait somme toute une moyenne au chapitre des accidents qui semblait convenir, qui était meilleure que la moyenne dans les chantiers comparables. Même si on répondait de façon réglementaire, la santé et la sécurité n’étaient pas inculquées dans les pratiques de chacun dans l’entreprise, dans les réflexes », dit-il.

Des « défaillances » aggravant les risques

ERM a montré du doigt les « défaillances » susceptibles d’aggraver les risques potentiels d’accidents graves ou mortels sur l’ensemble des chantiers de la société d’État. À la Romaine, un chantier de 7,2 milliards, elle révèle que la fréquence des « situations à haut potentiel de risque » est d’un évènement toutes les cinq heures, en raison de la nature des activités.

La firme de services-conseils énumère ensuite cinq « facteurs organisationnels aggravants » à ces situations, dont une gestion des risques « trop réactive », une reconnaissance des dangers et une gestion des risques sur le terrain « insuffisante » et des standards en matière de santé et de sécurité qui n’étaient « pas suffisamment élevés », peut-on lire dans le rapport qui tient dans une trentaine de pages.

Des constats similaires ont aussi été observés sur les différents chantiers de la société d’État, qui embauche quelque 20 000 employés. Il survient néanmoins sept fois moins d’accidents dans les chantiers d’Hydro-Québec que dans les chantiers comparables ailleurs au Canada.

« La fréquence des accidents portait à croire que tout allait bien. » — La firme ERM

« On a toujours suivi les règles de l’industrie, les réglementations, et puis là, surviennent trois accidents mortels de suite [en 2015-2016], expose Serge Abergel. On a beau faire mieux que les normes de l’industrie, on a beau dire qu’on a posé tous les gestes, […] le mieux qu’on pouvait faire, c’était de se dire comment on pouvait en poser davantage. »

Style de gestion directif

À la demande d’Hydro, la firme a aussi entrepris une revue complète de l’organisation, ce qui lui a permis de conclure que le « style de gestion directif » est présent à tous les échelons de la société d’État. ERM dit avoir constaté un « profond respect de la structure hiérarchique » qui peut « parfois rendre les gens mal à l’aise de partager leurs opinions sur la base de leurs expériences ».

« Si Hydro-Québec désire atteindre des niveaux de performance de classe mondiale, et ce, de façon durable, il est recommandé que la direction et ses gestionnaires s’éloignent d’un style de gestion directif afin d’adopter un style de gestion qui est plus orienté sur la collaboration et la consultation en favorisant le pouvoir d’agir de chacun », indique la firme.

Un virage bien amorcé

Hydro-Québec a déjà mis en œuvre bon nombre de mesures pour améliorer ses pratiques à la lumière des constats dressés par ERM en cours de travaux. Quelque 80 agents de changement en santé et sécurité ont notamment été formés sur le chantier de la Romaine. Des rencontres portant sur les enjeux de sécurité se tiennent aussi quotidiennement au début de chaque quart.

Dans son rapport, ERM reconnaît la collaboration d’Hydro-Québec à chacune des étapes de ses travaux. « Nos constats ont présenté des défis importants nécessitant la mobilisation des intervenants », écrit la firme, qui se dit « encouragée » par les progrès accomplis par les gestionnaires et par « leur volonté à vouloir adopter de nouvelles habitudes ».

Le président-directeur général d’Hydro-Québec, Éric Martel, a promis dans un communiqué que son organisation « donnera[it] suite » aux recommandations de la firme ERM, entérinées vendredi par le conseil d’administration de la société d’État. Le grand patron affirme également que le « véritable changement de culture » est bel et bien amorcé chez Hydro.

« C’est un travail de long terme, pas de court terme, qui va se faire avec les employés, les entrepreneurs et les syndicats. » — Serge Abergel

« C’est vraiment de faire en sorte d’inculquer la santé et la sécurité à tous les niveaux, chez tous les travailleurs, pour que ça devienne des réflexes, que ça fasse partie de notre ADN », poursuit M. Abergel.

Hydro-Québec s’est dotée d’un plan d’action 2017-2020 pour poursuivre l’amélioration de son bilan en matière de santé et de sécurité au travail. Le conseil d’administration, qui avait mis sur pied un comité spécial après la quatrième mort il y a un an, entend aussi continuer sa démarche à travers la création d’un comité permanent.

Analyse des accidents déclarés

La firme ERM a relevé, en analysant le répertoire des accidents déclarés, qu’au moins 45 évènements qui auraient pu mener à des blessures graves ou mortelles n’avaient pas été répertoriés correctement en 2016. « C’est au moins 45 opportunités d’apprentissage pour lesquelles une enquête insuffisamment approfondie a été menée. L’organisation n’était donc pas consciente de l’ampleur du problème », est-il écrit.

« Réelle volonté », dit la FTQ-Construction

La FTQ-Construction dit sentir une « réelle volonté » de la part d’Hydro-Québec d’opérer un changement de culture depuis le début des travaux d’ERM en janvier 2017. « On le ressent qu’ils [Hydro] veulent prendre le virage et ils veulent le prendre à une très grande vitesse. Nous ne sommes que favorables à ça », a réagi le responsable de la santé et sécurité du travail à la FTQ-Construction, Simon Lévesque, qui dit aussi accueillir favorablement le rapport.

« Nous, on ne veut pas que les vieux réflexes reviennent. On veut qu’il y ait des mesures qui soient prises, qu’il y ait de l’écoute et qu’on fasse de la réelle prévention », a-t-il ajouté. Après la mort d’un quatrième homme en décembre 2016, la FTQ réclamait la tenue d’une enquête publique sur les pratiques de la société d’État.

Hydro-Québec blâmée par la CNESST

Il y a un an, la dépouille de Luc Arpin, 51 ans des Escoumins sur la Côte-Nord, était toujours ensevelie sous des tonnes de roc au chantier de la Romaine-4. Le travailleur de l’entreprise EBC n’avait eu aucune chance après qu’un mur de roches se fut effondré sur sa pelle hydraulique pendant des travaux d’excavation, le 9 décembre.

La Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité du travail (CNESST) a conclu que la principale cause de l’accident était que « les études géotechniques et les moyens de contrôler le danger d’effondrement [avaient été] insuffisants ». Hydro-Québec et l’entreprise EBC ont été mises à l’amende. Le rapport d’enquête de la CNESST a été dévoilé il y a trois semaines.

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