OPINION

Le commerce change, c’est le temps de changer

Entre développement des achats en ligne et comportements de consommation en mutation, le commerce commence tout juste à appréhender les nouvelles tendances qui risquent de bouleverser le secteur.

Parallèlement, on prend davantage conscience des enjeux associés aux modes d’implantation commerciale. De la congestion aux abords des mégacentres à la désertification des noyaux villageois, gérer efficacement le développement commercial s’avère une nécessité pour bâtir des collectivités viables.

Plusieurs exemples internationaux pourraient nous inspirer. Aux États-Unis, des acteurs s’affairent depuis plusieurs années à la reconversion des centres commerciaux désuets, profitant de l’occasion de ces friches pour reconstruire la ville sur elle-même, un écoquartier à la fois. En France, l’État vient de lancer le programme Action cœur de ville, qui consacrera cinq milliards à redynamiser les centres-villes dans plus de 200 villes moyennes.

Le Québec n’échappe pas à cette réflexion. Avec sa mesure « Robin des Bois », la Ville de Québec a protégé des hausses de taxe les implantations commerciales les plus vulnérables, souvent au cœur des milieux de vie. 

Montréal s’est entouré d’un comité commerce pour développer une vision d’ensemble. Coaticook protège jalousement son centre-ville depuis des années. Dans nombre de villages, le maintien d’un commerce alimentaire ou d’une caisse populaire est au cœur des préoccupations. L’Union des municipalités du Québec alertait récemment sur la perte potentielle de taxes foncières commerciales.

Si la montée du commerce en ligne amène son lot d’inquiétudes légitimes, elle ne doit pas éclipser la question territoriale, cruciale sous bien des aspects.

Dans chaque collectivité, il faut saisir l’occasion d’adapter l’offre commerciale non seulement au virage numérique, mais aussi à la cohérence territoriale.

En effet, la planification de l’armature commerciale est un élément clé du développement durable. Implanter les commerces au cœur des milieux de vie est le meilleur moyen de les rendre accessibles, notamment aux catégories de citoyens les plus vulnérables : personnes âgées ou en perte de mobilité, ménages à faible revenu et à moindre motorisation, etc. Résorber les déserts alimentaires passe ainsi par une meilleure répartition des commerces d’alimentation sur le territoire.

La vitalité des rues principales est aussi au service de l’identité des milieux et de leur attractivité.

À l’inverse, l’éparpillement commercial fait pression sur les milieux naturels et agricoles, mais aussi sur les finances publiques, en raison des nouvelles infrastructures que les collectivités doivent assumer. Les parcs commerciaux enclavés et excentrés pèsent par ailleurs sur le bilan carbone du Québec, par les déplacements de leurs employés et de leurs visiteurs.

Dans un Québec qui vise une réduction de 20 % du kilométrage automobile, qui mise sur des environnements favorables pour renforcer les saines habitudes de vie, qui privilégie l’entretien des infrastructures existantes à la construction de nouvelles routes, qui a son patrimoine bâti à cœur, l’organisation de l’offre commerciale apparaît comme élément de solution à de nombreux problèmes.

Pour réconcilier commerce et développement urbain durable, nous proposons, à l’échelle du Québec, un plan commerce national qui se saisisse de la question numérique, notamment en matière d’équité fiscale, qui développe le réflexe « territoire » et qui appuie financièrement la consolidation des centres-villes et des artères commerciales.

L’échelle municipale appelle l’élaboration de plans commerce locaux, à l’exemple de celui auquel travaille la Ville de Montréal.

La planification doit dépasser l’obsession des fuites commerciales dans les villes voisines et tourner le dos au développement de grandes surfaces périphériques pour favoriser plutôt la proximité, surtout pour les commerces du quotidien.

À quoi bon ouvrir une mégaépicerie en périphérie, si c’est pour en voir deux petites fermer au cœur des milieux de vie ? La réforme de la fiscalité doit mettre un terme à la tentation pour les municipalités d’attirer tout développement commercial, peu importe sa forme.

Moteur historique du développement des cités, le commerce reste un des ingrédients de la vitalité urbaine et villageoise. Nos milieux de vie peuvent difficilement se passer de commerces, tandis que la présence d’un bassin de clientèle de proximité reste un atout pour les entreprises, malgré la dématérialisation de certains échanges. Le Québec a besoin d’un plan pour ranimer la flamme dans ce mariage de cœur, autant que de raison.

* Cosignataires : Nathalie Dion, présidente de l’Ordre des architectes du Québec ; Paul Lewis, doyen et professeur titulaire à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; JoAnne Labrecque, professeure agrégée à HEC Montréal ; Jacques Nantel, professeur émérite à HEC Montréal ; Andrée De Serres, professeure au département Stratégie, responsabilité sociale et environnementale, ESG UQAM.

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