Burundi

Battu après avoir été renvoyé du Canada

« Je suis obligé de me cacher, sinon je vais mourir », s’exclame l’homme au bout du fil. Ce ressortissant du Burundi, renvoyé dans son pays d’origine par le Canada le mois dernier, affirme aussi que des policiers burundais lui ont infligé des sévices corporels au cours d’un long interrogatoire la semaine dernière.

La Presse a pu le joindre à un numéro de téléphone connu seulement de ses proches restés au Canada. Nous taisons son identité à leur demande, puisqu’ils craignent les représailles.

Au terme de cet interrogatoire qui aurait duré plus de 5 heures et pendant lequel « ils [l]’ont frappé pendant 30 minutes » sur les membres inférieurs avec une matraque, affirme-t-il, les policiers lui auraient ordonné de revenir le lendemain.

Il a plutôt pris la poudre d’escampette et vit maintenant dans la clandestinité, aidé par « un ami ».

MÉDIAS CIBLÉS

Cet ancien employé de la Radio publique africaine (RPA), une des radios privées burundaises saccagées en marge du coup d’État raté de la mi-mai, avait fui au Canada en 2012, après avoir été harcelé par les services de renseignement de son pays.

« Ils me demandaient l’adresse des journalistes, ils me disaient "donne-nous les clefs des bureaux". »

— Ressortissant burundais expulsé du Canada

L’homme avait également travaillé pour le chef du Mouvement pour la solidarité et le développement (MSD), Alexis Sinduhije, populaire opposant à l’actuel président Pierre Nkurunziza.

« Le gouvernement pense que je viens ici pour continuer mon travail », dit-il, ajoutant que les policiers qui l’ont interrogé ne le croyaient pas quand il leur disait avoir été renvoyé du Canada contre son gré. « Je leur montrais les papiers du Canada et ils me répondaient "non, ça, c’est falsifié". »

Ces affirmations n’étonnent pas le directeur de la RPA, Bob Rugurika, qui a dû lui-même fuir le Burundi le mois dernier.

« Les journalistes se font toujours tabasser, les journalistes se sont fait tirer dessus, ça ne m’étonnerait pas qu’il soit la énième victime de cette barbarie du pouvoir de Nkurunziza », se désole-t-il.

MORATOIRE RÉCLAMÉ

Contacté par La Presse, le cabinet du ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, de qui relèvent les renvois de ressortissants étrangers, n’a pas voulu commenter ces affirmations.

« Une personne visée par une mesure de renvoi du Canada [peut] en appeler devant différentes instances judiciaires », a plutôt répondu son porte-parole, Jean-Christophe de Le Rue.

Or, l’avocat du Burundais en question conteste justement la décision de renvoyer son client, ce qui n’a pas empêché l’Agence des services frontaliers de l’expulser du Canada. « C’était évident qu’il serait en danger », lance Me Raoul Boulakia.

« C’est atroce, c’est épouvantable, plus de 100 000 personnes ont fui le Burundi […] et le Canada est en train de déporter des Burundais. »

— Me Raoul Boulakia

L’avocat estime que le Canada devrait instaurer à nouveau une suspension des renvois vers le Burundi, comme c’était le cas jusqu’en 2009, estimant que la situation actuelle « est pire » que celle qui prévalait alors.

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