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Parlons émotions, docteur

Le médecin suisse Philippe Furger publie ce mois-ci le tome 2 de sa trilogie 33 histoires vraies racontées par des médecins, un recueil de courts textes signés par des médecins québécois, suisses et français.

Dans ce deuxième tome, le Dr Alain Vadeboncoeur y raconte la fois où une infirmière rusée a trouvé une astuce singulière pour maîtriser un colosse ivre et agressif. Le psychiatre Pierre Gagné, de Sherbrooke, y parle de cette patiente dépressive et de son mari incestueux qu’il a rencontrés dans les années 70, tandis que sa collègue Daphné Maroussi souligne le bonheur qu’elle a ressenti en voyant une ex-patiente atteinte de troubles alimentaires chanter à l’émission La voix. Entrevue avec le Dr Furger, de passage à Montréal cette semaine.

Qu’est-ce qui unit les 33 histoires de votre recueil ?

Elles sont basées sur le partage d’émotions rendu possible quand les médecins laissent tomber leur sarrau et deviennent plus humains. Je suis un militant pour battre en brèche le gros mur qui sépare les médecins de leurs patients. Lorsque cette distance diminue, les patients s’ouvrent davantage et les médecins posent de meilleurs diagnostics.

D’où vient ce mur ?

Les médecins, particulièrement en Amérique et en France, ont peur de perdre leur place sociale. Cette angoisse de la perte de notoriété – pour moi absolument non fondée – fait partie de l’existence de ce mur. Je suis convaincu que le patient ne cherche pas l’intelligence pure : il cherche l’intelligence émotionnelle, l’écoute et l’empathie. Or, les médecins ne sont pas bien formés sur les plans de l’écoute et du partage des émotions.

Dans le livre, vous signez un texte dans lequel vous racontez une consultation que vous avez faite dans un village suisse. Vous avez été touché par cet homme résilient et aimant qui s’occupait depuis des années de sa femme atteinte de la maladie de Parkinson. Qu’est-ce que cette rencontre vous a appris ?

J’ai la chair de poule quand j’en parle. Cette rencontre a été un amalgame de clins d’œil, de sincérité et de partage d’émotions. L’homme voulait me donner des détails pour me dire comment ça se passait, lorsque sa femme devait aller à la salle de bain, par exemple. On ne peut pas s’imaginer comment cela peut être difficile. Il avait une force incroyable, une humilité et un amour profond pour sa femme handicapée. Je me suis rendu compte que tellement de choses sont des banalités dans nos vies, et on les gonfle pour rien. Ç'a a été une leçon de vie.

Contrairement à la Suisse, où les médecins sont payés à la minute, le Québec rémunère ses médecins à l’acte. Cette façon de faire peut-elle rendre plus ardu le rapprochement entre les médecins et leurs patients ?

Certainement. Si une consultation dure 10 minutes, on ne pourra pas aborder les émotions, c’est vrai et c’est un grand problème. Cela dit, les médecins peuvent poser la question et destiner une autre consultation pour gérer l’impuissance érectile, la chute de cheveux ou le deuil, par exemple. Je suis convaincu que temps d’écoute ferait diminuer le nombre de consultations de cette personne qui se sent enfin écoutée. Comme le médecin poserait un meilleur diagnostic, on diminuerait le recours aux radiologies et autres moyens d’investigation.

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