Éditorial

Monsieur Déni

Andrew Scheer a offert un beau cadeau de Noël aux Canadiens. Il a été franc au sujet de l’environnement. Pas tout à fait, mais tout de même plus qu’à son habitude.

Les changements climatiques, il s’en fiche un peu, beaucoup. Pour les combattre, il promet de faire moins que le minimum.

En entrevue de fin d’année à CTV, le chef conservateur a refusé de s’engager à atteindre les cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES) du Canada. Cela a le mérite d’être clair : avec M. Scheer au pouvoir, le Canada ne respecterait pas ses engagements de l’accord de Paris.

Durant toute l’année, M. Scheer a mené une bataille contre la tarification du carbone exigée par Ottawa.

Sans tarification du carbone, la pollution reste gratuite. Les émetteurs refilent le coût de leur pollution au reste de la société. Ils n’ont donc pas d’incitatif à se verdir. Pour réduire les GES, il faut commencer par corriger cette faille du marché.

Cette thèse est au cœur des travaux du nouveau Prix Nobel d’économie, William Nordhaus. La Chambre de commerce du Canada pense la même chose, tout comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Shell et Suncor se rallient aussi à cette conclusion.

Mais pour M. Scheer, même les pétrolières sont trop écologistes. Il tient obstinément à ce que la pollution reste gratuite.

Comment ferait-il alors pour respecter les cibles de réduction de GES du Canada ? Depuis quelques mois, le chef conservateur répète la même réponse : vous verrez dans notre plan.

Alors que la fin de l’année approche, il n’y a encore aucune trace du plan. Mais on sait désormais que M. Scheer abandonne. Il ne prétend plus que son parti respecterait les engagements du Canada. On s’en doutait, mais il est toujours préférable de rendre les choses limpides. Un seul suspense demeure : à quel point ferait-il reculer le Canada ?

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Quelque chose d’illogique se passe chez les conservateurs. Plus les études démontrent que le climat se dérègle, moins ils s’en préoccupent.

Au rythme actuel, d’ici 10 à 30 ans, la planète se sera réchauffée de 1,5 degré par rapport à l’ère industrielle. Et on sait que les conséquences ne sont pas linéaires. À chaque hausse de la température moyenne, les dégâts augmentent de façon exponentielle.

Alors que les scientifiques exhortent les pays à aller au-delà de leurs engagements actuels, M. Scheer propose le contraire. Pourtant, la cible du Canada n’a rien de radical. C’est celle de… Stephen Harper. Le premier ministre conservateur promettait de baisser les émissions de 30 % d’ici 2030, par rapport au niveau de 2005. Son successeur Justin Trudeau a repris ce modeste but, et son plan vert ne permet pas encore de l’atteindre.

Pour passer le test, M. Scheer n’a quant à lui rien trouvé de mieux que de baisser la barre.

Si la science l’indiffère, le chef conservateur, un croyant, devrait relire Laudato si’, l’encyclique du pape François qui enjoint à l’humanité de lutter solidairement contre les changements climatiques.

Et si la morale ne l’émeut pas, M. Scheer devrait s’intéresser aux froids calculs des assureurs, une industrie pour laquelle il a déjà travaillé. Ces spécialistes du risque savent que les dérèglements climatiques coûtent déjà une fortune – les réclamations pour intempéries ont quintuplé depuis les années 80 – et que la facture continuera de grimper.

Tout cela, des milliers de scientifiques ne cessent de le documenter, rapport après rapport. M. Scheer, lui, sort dehors, humecte son petit doigt et le tend vers les cieux en se disant : il me semble que le vent souffle de l’autre côté…

Face à un des grands défis de notre époque, le chef conservateur a choisi quel rôle il veut jouer : celui de Monsieur Déni.

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