Université McGill

Une vraie fausse nouvelle partagée au nom de la science

Théorie du complot, remède miracle contre le cancer et traitement uniquement vendu en ligne… L’Organisation pour la science et la société (OSS) de l’Université McGill a réuni tous les ingrédients pour propager une vraie fausse nouvelle. Et surprise… En deux semaines, la courte vidéo lancée sur les réseaux sociaux a déjà été vue des millions de fois.

« C’est stupéfiant », a lancé l’auteur de la fameuse vidéo, le communicateur scientifique de l’OSS, Jonathan Jarry. « On voulait faire différent […]. C’est la première fois qu’on fait quelque chose comme ça », ajoute-t-il. Force est de constater que l’idée de reproduire le format type de ces vidéos mensongères a permis de sensibiliser un maximum de personnes.

La vidéo produite par l’OSS calque en tout point celles qui deviennent souvent virales sur la Toile. Dès les premières secondes, on y apprend qu’un certain Dr Johan R. Tarjany a découvert en 1816 un type de mousse végétale pouvant « tuer les cellules cancéreuses ». Photos d’archives à l’appui, musique rythmée et grosses lettres, tout est limpide.

Le traitement du Dr Tarjany serait à ce point miraculeux que l’industrie pharmaceutique l’aurait caché pour en empêcher la distribution… Résultat, il ne serait offert que sur internet. Pourquoi pas, diront certains. Mais après 40 secondes, le ton change. « Tu l’aimes bien, le Dr Tarjany, n’est-ce pas ? […] Le Dr Tarjany n’existe pas », écrit-on.

Voilà, vous vous êtes fait mener en bateau. 

« On voulait démontrer à quel point c’est facile de mentir et de manipuler les gens avec ce genre d’images. »

— Jonathan Jarry, communicateur scientifique de l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill

Le reste de la vidéo démonte chacun des arguments présentés au début de l’extrait. On apprend aussi que le Dr Tarjany a été subtilement illustré par la photo de deux hommes différents.

La leçon dure environ deux minutes. « Sois sceptique, pose des questions », recommande l’organisation, dont le nom n’apparaît qu’à la toute fin. Une autre gentille ruse de l’OSS pour piéger les internautes. Plutôt que de diffuser le clip sur ses plateformes, l’organisme a demandé à des « sceptiques bien connus » de le partager.

Pour la version française, lancée il y a quelques jours, l’OSS a fait appel à Olivier Bernard, mieux connu sous le nom du Pharmachien. « J’ai trouvé ça brillant », a-t-il confié à La Presse. Celui qui dit aimer « anéantir la pseudoscience » a partagé la vidéo sur son compte Facebook en acceptant de faire comme si elle avait été trouvée par hasard sur le web.

« Vidéo virale en ce moment… le pire commence à 30 secondes environ. Terrifiant et triste », a-t-il écrit sur le réseau social. Hier, sa publication en était à près de 20 000 partages. « J’étais content de jouer le jeu », a exprimé M. Bernard. « Il en faut plus de vidéos comme ça, parce que les vraies fausses sont vues des millions de fois. »

Bataille difficile

« C’est toujours frustrant parce que c’est une bataille difficile à gagner », admet M. Jarry, qui constate que ces fausses nouvelles se répandent comme une traînée de poudre. « Ça passe toujours mieux parce qu’on donne des solutions simples à des problèmes complexes. C’est plus difficile d’attirer l’attention des gens avec une vidéo nuancée, critique », ajoute-t-il.

Le Pharmachien n’hésite pas à comparer la prolifération de ce genre de fake news à une forme de « pollution » ambiante. 

« Il y a moyen de trouver de l’information de qualité, mais il y a tellement de bruit à travers ça, de fausses vidéos, d’articles douteux et de pièges à clics que les gens deviennent saturés. Ça nuit à nos efforts pour communiquer la bonne info. »

— Olivier Bernard

La fausse vidéo de l’OSS approchait des 10 millions de visionnements hier. La version anglaise a notamment été partagée par l’animateur américain Scott Rogowsky. Des professeurs ont aussi joint l’organisme pour obtenir l’autorisation de diffuser l’extrait en classe et ainsi favoriser le développement de l’esprit critique des étudiants.

Devant le succès de sa vidéo, l’OSS n’exclut pas de retenter l’expérience avec le même genre d’approche. « C’est certain qu’on n’a jamais eu des chiffres comme ça », a indiqué M. Jarry. « Ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire sur une base régulière, il faut aussi surprendre les gens, mais peut-être que d’ici quelques mois, on récidivera. »

Pour éviter de tomber dans le piège des fausses nouvelles scientifiques, Jonathan Jarry recommande notamment de se fier à des sources gouvernementales, de multiplier les sources, de retracer l’information originale et de ne pas hésiter à parler ou écrire à des médecins et des scientifiques pour résoudre certains questionnements.

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