Deuil périnatal

Humaniser la perte d’un enfant

Au-delà des lits trop durs, du « manger » trop mou et de l’engorgement aux urgences, les hôpitaux et les centres de santé du Québec regorgent d’histoires heureuses, petites ou grandes. Deux fois par mois, La Presse passe une bonne nouvelle, une bonne action ou un dénouement heureux au scalpel. Cette semaine, zoom sur une initiative qui allège le deuil périnatal.

Il est environ 23 h 30, le 6 janvier, quand Martine Vézina accouche d’un bébé sans vie de 31 semaines à l’hôpital Saint-François-d’Assise, dans le Vieux-Limoilou. En état de choc et absorbé par les procédures post mortem, le couple reçoit alors une offre curieuse de l’infirmière : une séance de photos pour immortaliser le petit François. La dame se fait insistante. « Sur le coup, on était plus ou moins enclins, on trouvait ça morbide, se souvient Mme Vézina. Mais finalement, c’est la meilleure décision qu’on ait prise de toute notre vie. »

Dans le milieu de la nuit, presque sur la pointe des pieds, la photographe Guylaine Renaud s’est glissée dans l’intimité des parents éplorés pour en extraire un peu de lumière. Un « bonjour », quelques cliquetis et la portraitiste est repartie comme elle est venue.

Comme elle, des dizaines de photographes arpentent les hôpitaux du Québec pour alléger les deuils liés à la mort périnatale. « On y va toujours en douceur, dans le plus grand respect. On n’impose jamais rien », assure Guylaine Renaud, qui a mis sur pied la fondation J’allume une étoile il y a environ un an. L’organisme, qui regroupe une dizaine de photographes et une trentaine de bénévoles, dessert principalement les régions de Québec et de Chaudière-Appalaches.

Mme Renaud, intervenante sociale de métier, répond à l’appel des parents endeuillés 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Quitte à mettre son travail à temps plein, son sommeil ou ses temps de repos en veilleuse. « L’été dernier, pendant ma semaine de vacances, je suis descendue cinq fois à Québec, à une heure de demie de route. C’est un choix que je fais. »

« La photo a mis un baume sur une blessure qui est traumatisante, et m’a permis d’entamer mon deuil. Ça humanise l’enfant que tu as porté, c’est plein d’amour. »

— Martine Vézina, qui a perdu son enfant après sept mois de grossesse

Désormais, de nombreux hôpitaux du Québec incluent l’offre de photographie dans le protocole du deuil périnatal. Au CHU de Québec, sur 81 personnes ou couples à qui le service de la fondation J’allume une étoile a été proposé, 80 ont répondu par l’affirmative, dit Mme Renaud, qui salue le travail d’éducation du personnel hospitalier. « Les infirmières ont déjà établi un lien de confiance et elles insistent auprès des parents, explique-t-elle. Parce qu’au pire, il est possible d’effacer les photos plus tard, mais l’occasion, elle, ne se représentera pas. »

À jamais, les familles conservent un souvenir tangible, un visage en noir et blanc, un corps en chair et en os à pleurer et à montrer à leurs proches. « Une maman m’a déjà dit qu’elle disait à sa famille et à ses amis : “Avant, vous saviez pourquoi je pleurais. Maintenant, vous savez pour qui” », raconte Manon Allard, photographe de Victoriaville et cofondatrice de Portraits d’étincelles, qui regroupe maintenant quelque 150 bénévoles prêts à mettre leur talent d’esthètes ou de gestion au service de parents en souffrance.

Les photos et retouches professionnelles de la fondation Portraits d’étincelles sont proposées systématiquement par les infirmières dans une quarantaine d’hôpitaux du Québec, mais les services sont offerts à tous les parents, peu importe leur localisation. L’organisme J’allume une étoile, de la même manière, ne refuse aucune demande.

Peu importe pour quel organisme ils travaillent, les bénévoles en contact avec les patients sont soumis à une enquête de sécurité et formés par un thérapeute spécialisé en deuil prénatal. La démarche porte aussi un imprimatur judiciaire.

Pour évacuer toute morbidité, les photographes et retoucheurs privilégient des positions, des lumières et des vêtements avantageux. En ce sens, des couseuses et des tricoteuses bénévoles de J’allume une étoile préparent de jolis pyjamas miniatures à partir de vêtements légués à l’organisme.

« Les photos iPhone ne rendent pas justice à la beauté du bébé. On veut redonner de la dignité aux parents », note Martine Gendron, photographe bénévole de Drummondville qui a aussi contribué à mettre sur pied Portraits d’étincelles.

Partout au Québec

En plus de la photographie, les deux fondations se font un point d’honneur de sensibiliser la population à la perte d’un fœtus ou d’un bébé naissant. « Un deuil à part entière, assure Guylaine Renaud. À ceux qui disent : ”Tu ne l’as jamais vraiment connu”, je réponds : ”Est-ce que ça te ferait moins de peine de perdre ton petit gars de 2 ans plutôt que ta fille de 10 ans ?" Non, alors le deuil n’a pas rapport avec la durée de vie, mais avec le rêve que tu t’es construit. » Signe que les mentalités changent, poursuit-elle, des séries québécoises comme O’ et L’échappée introduisent le deuil périnatal dans leur trame narrative.

Lorsque Martine Vézina et son conjoint se collent devant le petit écran, leur minuscule François en noir et blanc veille sur eux, son portrait bien en évidence sur le meuble de la télévision. « C’est le souvenir le plus précieux que nous puissions avoir. La photo est tellement belle. François fait partie de notre famille, et on n’a pas envie de le cacher. »

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