Jacqueline Desmarais 1928-2018

La Malbaie se souvient

La Malbaie — Il y a 20 ans, les artistes étrangers qui mettaient les pieds pour la première fois au Domaine Forget avaient à peu près tous la même réaction : l’incrédulité.

Un chauffeur les accueillait à l’aéroport de Québec. En direction de Charlevoix, les maisons se faisaient de plus en plus rares. Passé Les Éboulements, c’était immanquable… Ils se tournaient vers le chauffeur et lui demandaient, légèrement inquiets : « Ce serait possible, avant d’aller à l’hôtel, de passer voir la salle de concert ? Est-ce que c’est une vraie salle de concert ? »

Le chauffeur les conduisait donc au Domaine Forget, à Saint-Irénée, à un jet de pierre de La Malbaie. Il entrait dans la salle de spectacle inaugurée en 1996, ouvrait les lumières, et les artistes pouvaient admirer cette petite merveille acoustique construite en pleine campagne. Ils pouvaient repartir dormir tranquilles.

« Au début, les artistes nous demandaient : “ Comment avez-vous fait pour construire une salle de ce calibre dans un si petit village ? ”», se souvient la directrice du Domaine Forget, Ginette Gauthier.

Une partie de la réponse – une grande partie – réside dans le soutien indéfectible de Jacqueline Desmarais à la cause de la musique dans Charlevoix. Mme Desmarais a présidé la première campagne de financement du Domaine Forget, en 1980, et a été impliquée dans toutes les subséquentes.

« Sa première présidence a donné le ton. Ça a encouragé les gens à croire au Domaine Forget. C’était une organisation culturelle en région avec de grandes ambitions, qui voulait avoir une réputation internationale et attirer des artistes de partout dans le monde. Si nous n’avions pas eu dès le départ quelqu’un comme Mme Desmarais pour croire au projet, ç’aurait été beaucoup plus difficile. »

— Ginette Gauthier, directrice du Domaine Forget

C’est connu, Jacqueline Desmarais aimait la musique classique et le chant. Mais ce qu’elle aimait peut-être encore plus que ces disciplines, ce sont les artistes qui les pratiquaient. La création d’une bourse lui a permis au fil des ans de soutenir de jeunes musiciens et chanteurs. Elle n’hésitait d’ailleurs pas à intercéder en faveur de ses protégés pour qu’ils aient la chance de jouer au Domaine Forget.

« Une formation au Domaine Forget ou la chance de rencontrer un grand maître peut faire toute la différence dans la vie d’un musicien. C’est ce que Mme Desmarais a bien saisi dès le départ, note la directrice. On a parlé évidemment de Yannick Nézet-Séguin ou du violoncelliste Stéphane Tétreault. Mais il serait difficile de calculer le nombre de jeunes qu’elle a pu encourager au fil du temps. »

Le Fonds de bourses Jacqueline et Paul Desmarais est aujourd’hui riche de 3 millions de dollars. Les bourses aux artistes sont versées à même les intérêts sur le capital. Le Fonds est donc appelé à perdurer.

« Sa récompense pour tout ce qu’elle faisait, c’était de voir le talent des jeunes. Souvent elle disait, en sortant d’un concert : “ Il va aller loin ce petit-là, mais quelle voix extraordinaire, mais quel talent ”, se rappelle Ginette Gauthier. Elle était capable d’être encore enthousiaste. »

« Gage de succès »

Mais à Saint-Irénée, la magnifique salle de concert du Domaine Forget demeure peut-être la preuve la plus tangible du mécénat de Mme Desmarais. Elle avait participé activement à la campagne de financement à l’époque.

La salle de 600 places, la première au Québec conçue spécifiquement pour la musique classique, a coûté 6 millions. Pour convaincre le gouvernement de sa viabilité en région, il fallait démontrer le soutien de la communauté, se souvient Ginette Gauthier. Pour le faire, le Domaine Forget devait récolter 1 million en financement privé.

La campagne a été un succès. « Ça ne s’était jamais vu en région d’amasser 1 million pour un projet culturel, lance la directrice du Domaine. Ça a permis de convaincre les gouvernements d’embarquer dans le projet. »

La philanthropie de Jacqueline Desmarais a aussi marqué La Malbaie, à 20 km du Domaine Forget. Le maire Michel Couturier rappelle qu’elle a beaucoup aidé l’hôpital de la ville et le Musée de Charlevoix.

« Quand les Desmarais acceptaient de mettre l’épaule à la roue d’un projet d’ici, ça lui donnait une envergure de plus. C’était presque gage de succès. »

— Michel Couturier, maire de La Malbaie

Jacqueline Desmarais avait donné son nom à l’omnium de golf au bénéfice du Musée de Charlevoix dès 1990. « Jusqu’à il y a trois, quatre ans, elle venait jouer autant que possible. Elle avait un grand attachement à Charlevoix », se souvient la directrice du Musée, Annie Breton.

Comment la région compte-t-elle se souvenir de Jacqueline Desmarais ? Il est trop tôt pour le dire. Mais le Domaine Forget prépare un évènement spécial pour l’été. Le Domaine prévoyait déjà, pour son 40e anniversaire qui a lieu cette année, célébrer Mme Desmarais. Le concert aura finalement lieu sans elle.

« Évidemment, on aurait beaucoup préféré qu’elle soit là pour voir ça, explique Ginette Gauthier. Le Domaine Forget perd une amie. Mais c’est l’ensemble du milieu artistique qui est en deuil. Elle était passionnée par la musique, par le talent. Elle en est restée passionnée jusqu’à la fin. »

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