Supertuck : ne faites pas ça à la maison !

Cette technique de descente ultradangereuse, popularisée il y a deux ans par Christopher Froome, continue de faire des adeptes au Tour de France. Faut-il l’interdire ?

Paris — Assis sur le cadre, la tête penchée par-dessus le guidon. Tout en pédalant… à 100 km/h.

Si vous suivez le Tour de France, peut-être avez-vous remarqué cette technique peu orthodoxe employée par un nombre grandissant de cyclistes, dont quelques coureurs vedettes.

Une technique que les anglophones ont baptisée le supertuck.

Le Français Julian Alaphilippe l’a notamment utilisée lors de la troisième étape, au cours d’une échappée qui lui a permis d’endosser le maillot jaune… maillot qu’il portait d’ailleurs toujours ce matin.

Selon ses adeptes, le supertuck permettrait de gagner de précieuses secondes dans les descentes, à cause de ses vertus aérodynamiques.

« Plus on se fait petit sur le vélo, plus on coupe le vent, plus on gagne de la vitesse. C’est élémentaire. »

— Frédérik Broché, directeur technico-sportif de la Fédération belge de cyclisme

Pour efficace qu’elle soit, cette nouvelle position ne fait toutefois pas l’unanimité. Plusieurs la jugent extrêmement dangereuse et estiment qu’elle donne de mauvaises idées aux jeunes cyclistes.

« Mon fils essaie de faire comme les pros. C’est nul ! », a ainsi lancé un commentateur sur les ondes de la chaîne webtélé FranceTV Sport, pendant la diffusion de la huitième étape du Tour, entre Mâcon et Saint-Étienne.

D’autres voix, dont celles de certains cyclistes, se sont ainsi élevées pour que le supertuck soit interdit par l’UCI, l’Union cycliste internationale.

« Les pros peuvent avoir la dextérité pour le faire, mais combien de jeunes chez eux se mettront en danger en essayant de montrer ce qu’ils ont vu à la télévision ? », a tweeté le coureur irlandais Dan Martin, lors du Tour l’an dernier.

Son message avait suscité des réactions plutôt contrastées.

Matej Mohoric

La paternité du supertuck est largement attribuée au jeune Matej Mohoric, qui l’avait mise de l’avant pour remporter le championnat du monde des espoirs en 2013.

Le Slovène de 24 ans, qui participe cette année à son premier Tour de France (équipe Bahrain-Merida), affirme avoir atteint la vitesse de 123 km/h en utilisant cette technique.

Témoin de 40 Tours de France à titre de journaliste, Jean-Paul Ollivier soutient pour sa part que l’Espagnol Pedro Delgado en faisait déjà l’usage dans les années 80, sans faire de disciples. « On trouve ça nouveau parce que c’est assez rare quand même », observe-t-il.

C’est toutefois Christopher Froome qui l’a popularisée, lors du Tour de France 2017.

Dans la descente de Peyresourde, le cycliste britannique avait alors grugé 13 secondes sur ses poursuivants et endossé le maillot jaune, ouvrant ainsi la voie à sa quatrième victoire à la Grande Boucle.

Il n’en fallait pas plus pour que le supertuck devienne la nouvelle position à la mode… au grand dam de ses détracteurs, qui jugent cette technique extraordinairement risquée.

« Il est certain que s’il y a un trou ou un caillou sur la route, le mec va se planter grave. Si on ne connaît pas le métier, ça peut être dangereux. »

— Hugo Coorevits, journaliste sportif

Faut-il pour autant le bannir ?

Au Québec, sauf erreur, la Fédération québécoise des sports cyclistes l’interdit dans les petites catégories, c’est-à-dire les jeunes de 10 à 16 ans, mais le tolère chez les plus vieux.

À la fédération belge de cyclisme, on la déconseille fortement sans pour autant la proscrire. « À chaque entraîneur d’exercer son jugement », explique Frédérik Broché.

Pour Pierre Hutsebaut, qui a formé plusieurs super cyclistes québécois, dont Hugo Houle, qui participe au Tour cette année, c’est une simple question de bon sens : les cyclistes professionnels savent ce qu’ils font, pourquoi les contraindre ?

« C’est leur métier de maîtriser un vélo, on ne va quand même pas leur dire quoi faire », dit-il, ajoutant que tous les moyens sont bons pour aller plus vite.

« Ce n’est quand même pas de la triche ! », ajoute-t-il.

Efficace ?

Oui mais voilà : descend-on vraiment plus vite avec le supertuck ?

Une équipe de chercheurs des universités de Louvain (Belgique) et d’Eindhoven (Pays-Bas) a mené des tests très sérieux en 2017, après avoir vu Froome descendre le col de Peyresourde en pédalant assis sur son cadre.

Des essais en soufflerie ont mesuré l’efficacité aérodynamique de cette position. Les chercheurs ont découvert que le supertuck n’était pas tellement plus efficace – ou l’était moins – que d’autres techniques éprouvées, notamment celle qui consiste à descendre les fesses derrière la selle, au-dessus de la roue arrière et les bras tendus vers le guidon, popularisée par Marco Pantani à la fin des années 90.

Les universitaires ont établi qu’au vu du danger couru, mieux valait s’abstenir de faire usage du supertuck. « C’est un grand risque pour peu de gain », concluent-ils.

Pourquoi, alors, persister avec cette technique discutable ? « Il doit bien y avoir une raison », répond Frédérik Broché.

Selon lui, les « tunnels de vent » utilisés pour les expériences ne tiennent peut-être pas compte de tous les facteurs. Si les cyclistes persistent à descendre à tombeau ouvert dans cette étrange position, « c’est qu’ils doivent bien sentir que ça les fait aller plus vite ».

Les résultats sont là pour le prouver, ce qui est loin de les dissuader.

Tant mieux pour le spectacle. Et tant pis pour le mauvais exemple…

Tour de France

Un dernier sprint avant les Pyrénées

Un dernier sprint sera proposé aux coureurs du Tour de France, aujourd’hui, dans la 11e étape menant d’Albi à Toulouse, avant de partir à l’attaque des cols des Pyrénées. Le parcours de 167 km, en forme de « S » à travers le Tarn et la Haute-Garonne, se termine par une longue ligne droite de 2200 m tout près du cœur de la ville rose. « Une étape plutôt courte et sans difficulté majeure », estime le directeur de course Thierry Gouvenou. « C’est un choix délibéré afin de ménager les organismes avant le triptyque pyrénéen et le contre-la-montre individuel. Ensuite, il ne restera plus aux sprinteurs que deux occasions, à Nîmes et sur les Champs-Élysées. »

— Agence France-Presse

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