Opinion : Les québécois et l’état

Maintenir le panier de services et réduire les impôts

Les Québécois entretiennent une relation ambiguë avec l’État. Lors d’une conférence célébrant le 50e anniversaire de la Révolution tranquille, l’économiste Pierre Fortin a dit avec justesse : « Nos sentiments envers l’État québécois se sont considérablement refroidis avec le temps. En 1960, l’État était porteur de tous nos espoirs. Aujourd’hui, devenu omniprésent, il est source de beaucoup de frustration. »

L’importance des prélèvements fiscaux constitue sans doute une des causes premières de cette frustration. Nos études et celles d’autres chercheurs semblent montrer une irritation très répandue et constante par rapport au niveau des impôts chez les Québécois. Il est d’ailleurs notable que les Québécois aient surtout choisi d’appuyer un parti promettant de baisser les impôts (Coalition avenir Québec, avec 37,4 % des voix). En matière de réduction d’impôts, les autres partis n’étaient pas en reste, le Parti libéral du Québec (24,8 %) venait de les abaisser dans l’année en cours et dans les années récentes, même Québec solidaire (16,1 %), ne l’oublions pas, promettait de les abaisser pour la majorité des contribuables gagnant moins de 97 000 $.

En même temps, les études montrent à répétition que les Québécois veulent voir des améliorations en santé et en éducation, notamment.

Ils souhaitent des enseignants et des infirmières mieux rémunérés ou avec des conditions de travail plus satisfaisantes.

Comment peut-on réconcilier un désir de voir l’État maintenir le panier de services, voire l’étendre, avec un désir de baisser les impôts ? Ici, diverses pistes peuvent se chevaucher : la mauvaise gestion et les dépenses inutiles.

Une première piste part de l’idée que les fonds publics sont mal gérés. Les histoires de dépenses inutiles, de corruption, de dépassement de coût ou l’utilisation de paradis fiscaux sont légion dans les grands médias. Il est logique que les citoyens en viennent à penser qu’une gestion plus rigoureuse pourrait permettre de se payer les mêmes services pour moins d’impôts qu’actuellement.

Une deuxième piste apparaît derrière la question de la mauvaise gestion ; on peut déceler également les orientations politiques des répondants. Dans ce cas-ci, ce n’est pas parce que l’argent est nécessairement mal administré d’un point de vue technique, mais simplement parce qu’ils ne sont pas d’accord avec le fait de financer de telles dépenses.

Dans une société contrastée comme la nôtre, les dépenses inutiles des uns peuvent souvent être les services essentiels des autres.

Notre dernière étude, diffusée sous forme interactive dans La Presse+*, montre un volet ignoré jusqu’à présent : les Québécois ne sont pas en colère à l’endroit des services publics. Les opinions favorables dominent presque toujours par rapport aux opinions défavorables pour la série de services publics sur lesquels nous les avons sondés.

Sans surprise, cette appréciation est bien moindre pour les routes et les CHSLD que pour les cégeps ou les garderies, mais rien ne laisse penser que les citoyens sont prêts à laisser tomber de larges pans du modèle québécois.

Sous l’angle de la relation entre les impôts et les services, notre étude confirme également une certaine forme de cohérence chez les citoyens par la corrélation entre leur satisfaction des impôts et des services. Ainsi, ceux qui trouvent les services de mauvaise qualité estiment payer trop alors que ceux qui considèrent les services comme plus adéquats sont plus à l’aise avec leur niveau de contribution fiscale.

L'ambivalence des Québécois

Une perspective intéressante est cependant apparue en changeant l’ordre des questions pour la moitié des répondants, permettant de mieux comprendre l’ambivalence actuelle des Québécois.

Si une majorité de Québécois (55,1 %) considèrent qu’ils paient trop d’impôts lorsque la question sur le poids des impôts arrive avant celles sur les services publics, ils ne sont plus qu’une minorité (46,5 %) à trouver les impôts trop élevés lorsque les questions sur les services publics arrivent avant celle sur le poids des impôts. Le fait de mentionner les services publics avant les impôts force un contraste menant les répondants à trouver ce poids plus acceptable.

Avec cette approche, il a été possible de constater que bien qu’ils semblent insatisfaits de la gestion des services publics, les Québécois reconnaissent plus positivement leur effort fiscal lorsqu’on leur rappelle préalablement le panier de services dont ils profitent souvent quotidiennement plutôt que de les sonder sur la seule acceptabilité du poids des impôts.

D’une certaine manière, le nouveau gouvernement est porteur de cette ambivalence : il a su rallier une diversité d’électeurs autour de l’idée d’une plus saine gestion, de réductions d’impôts, mais également autour d’un programme plutôt centriste quant aux dépenses publiques. D’un côté, il a promis de remettre de l’argent dans le portefeuille des contribuables, mais, de l’autre côté, il a aussi promis d’améliorer le système de santé et d’élargir la scolarité aux enfants de 4 ans.

À lire dans la section Affaires d’aujourd’hui

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