STRATÉGIES À MA MANIÈRE

Le vélo, ça ne se perd pas

Alain Ayotte, l’ancien PDG de BIXI, s’est remis en selle. Il a fondé en décembre 2013 une nouvelle entreprise, Bewegen, qui fournit le système de vélos électriques en libre-service inauguré cet automne à Birmingham, en Alabama.

Une nouvelle entreprise. Un produit inédit et complexe. Un premier client aux États-Unis. Une première livraison. Tout cela en à peine plus d’un an et demi.

Alain Ayotte avance en affaires comme on apprend à monter à vélo : on zigzague, on perd l’équilibre, on se donne un nouvel élan, et on avance. Il avait quitté BIXI en février 2013, après quelques années mouvementées.

« J’ai pris du temps pour recharger les batteries », exprime-t-il dans une métaphore très à propos.

Il voulait néanmoins rester « dans le domaine de la mobilité urbaine ».

Restait seulement à concevoir le vélo électrique et son système d’exploitation – trois fois rien.

La manière ?

« Il faut avoir une vision claire, la communiquer clairement, et être passionné pour ce qu’on fait. »

Ah ! C’est tout simple !

« Par la suite, il ne faut pas avoir peur de s’entourer de gens meilleurs que nous dans toutes sortes de domaines. »

UN DÉTAIL : L’ARGENT

« Le plus dur, c’est l’argent », s’exclame-t-il. « Lever des fonds, c’est tellement difficile ! »

Les mésaventures de BIXI ont sans doute constitué un frein ? « C’était une ancre à bateau ! », relance-t-il. « Effectivement, BIXI a fait hésiter bien des gens. Avec raison. »

« Quand tu te présentes chez un investisseur en disant que tu viens de chez BIXI et que tu veux lancer un nouveau BIXI, on te dit : me niaises-tu ? » 

— Alain Ayotte

Mais c’est ici que la passion et la vision donnent leur plein rendement.

Le président de Procycle, Raymond Dutil, qu’il a connu à l’époque de BIXI, accepte de participer à l’aventure – son entreprise fournira le système de propulsion. Luc Poirier, d’Investissement Luc Poirier, se joint au tandem.

PREMIER ÉLÉMENT : UN PROJET SEXY

« Je savais quels étaient les éléments critiques pour la réussite du projet », indique l’entrepreneur.

Premier facteur : « Il fallait que le projet soit sexy, que ce soit un beau produit. Il était important que Michel Dallaire vienne travailler avec moi. »

Dallaire, qui avait déjà conçu le BIXI, s’y met en janvier 2014.

Il faut deux mois de travail pour arrêter l’ergonomie. « On voulait que les gens s’assoient et disent : wow ! c’est donc bien confortable ! »

Bewegen a pris les grands moyeux : son vélo est monté sur une roue de 29 po à l’arrière, question de confort, et une roue de 24 po à l’avant, pour accommoder un plus grand porte-bagages. « La spécification que j’avais donnée à Michel était : il faut que ton panier puisse contenir une caisse de 12. »

La touche Dallaire s’appuie sur la fonctionnalité réduite à sa plus limpide expression, l’équilibre des formes, la simplicité des lignes. Or, cette ligne simple passait par un unique tube oblique, prolongé dans les membrures horizontales arrière. Pour ne pas rompre cette fluidité, le designer n’avait prévu aucun hauban – les tiges qui relient habituellement ces membrures au tube de selle.

« J’ai eu beaucoup de rétroaction de la part de l’équipe d’ingénierie : Alain, ce n’est pas comme ça qu’on fait un vélo ! » 

— Alain Ayotte

C’est comme ça qu’ils ont fait celui-là. « On a tenu le cap, on ne voulait pas dénaturer le design de Michel. »

DEUXIÈME ÉLÉMENT :  LE SYSTÈME INFORMATIQUE

« L’expérience est la somme des erreurs que tu fais : je peux vous dire que je suis très expérimenté ! », lance Alain Ayotte, avec le large sourire qui le quitte rarement.

« J’ai appris qu’on ne développe pas un système informatique si facilement. Il fallait que je trouve un partenaire qui avait déjà une solution éprouvée. »

Il repère Bike Emotion, un consortium portugais « qui avait un système qui fonctionnait depuis quatre ans, mais à petite échelle ».

Son GPS actif, qui suit la position du vélo en tout temps, répondait à un des problèmes les plus irritants des vélos en libre-service : l’absence de places libres aux bornes d’ancrage, une fois à destination. Sur la base de ce système de repérage, Bewegen a créé des « stations virtuelles » : l’usager peut laisser le vélo dans un certain rayon de la véritable station, sans que le système en perde la trace.

TROUVER UN PREMIER CLIENT

Il fallait encore trouver un premier client prêt à courir le risque d’un système inédit et non éprouvé.

Ce sera Birmingham, en Alabama.

« Les gens mettent beaucoup de sous dans sa revitalisation, explique l’entrepreneur. Ils voulaient marquer le coup en étant la première ville de l’est de l’Amérique à avoir un système de vélos à assistance électrique. »

Il répond à l’appel d’offres en novembre 2014. Sans doute devait-il montrer son produit ? « Il n’y avait pas de produit, répond-il. Il faut que tu sois convaincant. »

Encore une fois, il l’a été. Fin décembre 2014, il reçoit un appel : Bewegen est retenue parmi les quatre finalistes.

« C’était Noël, j’étais en Floride. Ma famille est revenue toute seule, et moi je suis parti en voiture jusqu’à Birmingham pour faire une présentation. » 

— Alain Ayotte

« Tout ce qu’on avait, c’était un prototype à montrer. Ce n’est pas l’idéal. »

En février 2015, il apprend que Bewegen l’a emporté.

Restait à parachever la conception et à lancer la production pour l’inauguration, prévue en septembre 2015.

Sur son téléphone, Alain Ayotte montre les photos de la chaîne de montage qu’il a prises la semaine précédente dans l’usine de Procycle. « Ils l’ont fait juste pour nous. C’est la beauté d’avoir un partenaire qui a les ressources et qui a une expertise différente de la nôtre. »

C’est tout de même lui qui pédale.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.