Opinion

La rigueur journalistique peut nous préserver des fausses nouvelles

« Les journalistes sont comme les pompiers, même si vous n’avez pas besoin d’eux tous les jours, vous voulez qu’ils soient là pour vous protéger. » Edward Greenspon, journaliste chevronné, a employé cette analogie lors d’une récente réunion du caucus ouvert du Sénat, tenue pour discuter des menaces qui pèsent sur le journalisme traditionnel au Canada.

Des experts des médias et des sénateurs de tout le pays ont discuté d’une question fondamentale. Les gouvernements doivent-ils appuyer le journalisme indépendant rigoureux, au-delà de la radiodiffusion publique, en dépit de son déclin économique ?

Les revenus des médias traditionnels sont en chute libre, car les recettes tirées des frais d’abonnement décroissent, les verrous d’accès payant s’avèrent insuffisants et les revenus publicitaires passent à Google et à Facebook. Quant à la couverture médiatique, le fossé se creuse dans des domaines essentiels comme le journalisme local (qui est coûteux) et la couverture de procès (qui prend beaucoup de temps). Les collectivités autochtones sont les plus touchées, car c’est là où il y a le moins de sources de financement et où la formation des journalistes est la plus ardue.

« Bien que l’Aboriginal People’s Television Network (APTN) comble les besoins en matière de programmation communautaire fiable, les médias grand public passent à côté de la complexité des situations et ne parlent que des crises », a déclaré Karyn Pugliese, directrice générale de l’information à APTN.

La plupart des Canadiens conviennent que des médias fiables et un public bien informé sont indispensables à la démocratie. Or, jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour protéger le journalisme traditionnel ? Le récent budget fédéral prévoit 50 millions de dollars pour le journalisme local indépendant. La plupart des participants se réjouissent de ce premier pas, mais est-ce suffisant ?

Il est vrai que les Canadiens ont besoin de nouvelles exactes, et c’est ce qu’ils veulent, pour prendre des décisions éclairées, mais « internet pullule d’informations qui brouillent les distinctions entre les nouvelles, la propagande, la recherche et la publicité », a signalé Matthew Johnson, directeur de l’éducation à HabiloMédias, un centre d’éducation aux médias et de littératie numérique sans but lucratif. « Toutefois, les jeunes sont mal préparés pour les reconnaître. »

« Les gouvernements sauvent seulement les organisations qui ont un plan d’affaires solide leur permettant de prospérer au-delà de l’aide financière », a déclaré M. Greenspon, qui est maintenant président-directeur général du Forum des politiques publiques et l’auteur de l’ouvrage intitulé The Shattered Mirror. « Combien d’entreprises médiatiques peuvent présenter un tel plan ? »

Les autres modèles de financement soulèvent les éternelles questions de la liberté d’expression et des intérêts politiques ou stratégiques des bailleurs de fonds.

« Il suffit de mettre en place les politiques adéquates pour maintenir une distance entre les liens de financement et la ligne éditoriale. »

— Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications du Québec

Parmi d’autres possibilités de soutien indépendant, on compte notamment des crédits d’impôt sur les salaires pour les entreprises médiatiques, ainsi que l’imposition de taxes aux géants du web qui distribuent du contenu canadien.

Comme énoncé dans le budget, envisager de nouveaux modèles permettant les dons privés et le soutien philanthropique pourrait contribuer à appuyer le journalisme sans but lucratif et les nouvelles locales. Les organismes nationaux comme La Presse canadienne pourraient collaborer avec les agences de presse locales et autochtones pour garantir la mise en pratique de normes fiables et professionnelles en matière de journalisme.

L’éducation aidera les gens, particulièrement les jeunes, à apprendre à repérer les fausses nouvelles, à établir l’authenticité des sources, à cerner les messages chargés d’émotivité et à mettre de côté les préjugés. Peut-être plus important encore, ces compétences nous aident à exercer notre droit de citoyens et de consommateurs d’exiger davantage du milieu médiatique.

Tel qu’il est recommandé dans The Shattered Mirror, l’une des avenues à envisager consiste à créer un fonds pour l’avenir du journalisme et la démocratie. Ce fonds permettrait de financer l’innovation dans les médias numériques, surtout à ses débuts, et s’adresserait aux producteurs de contenu journalistique ayant un rôle civique à l’échelle nationale, régionale et locale. Pour promouvoir davantage l’indépendance, le fonds n’aurait aucun lien avec le gouvernement. Ce modèle pourrait être la meilleure solution, pourvu qu’il permette d’atteindre un équilibre entre l’offre de soutien financier et le respect des principes de liberté de presse et d’indépendance journalistique.

* Raymonde Saint-Germain est facilitatrice adjointe du Groupe des sénateurs indépendants. Elle a été nommée au Sénat en 2016, après deux mandats au poste de protectrice du citoyen du Québec et une brillante carrière dans la fonction publique. Art Eggleton représente Toronto au Sénat. Il est président du Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

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