Projet-pilote en chirurgie

la productivité bondit au privé

Une majorité de médecins qui ont pris part au projet-pilote du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) visant à réduire les listes d’attente en chirurgie ont été plus productifs au privé qu’à l’hôpital.

Dans le cadre de ce projet-pilote en chirurgie lancé en 2016, les hôpitaux peuvent envoyer des patients se faire opérer ou recevoir une procédure sous scopie (endoscopie, coloscopie, etc.) dans trois cliniques privées – Centre de chirurgie Rockland MD (Montréal), Opmédic (Laval) et Chirurgie DIX30 (Brossard) – sans qu’ils n’aient à débourser un sou.

La majorité des anesthésistes (88 %), chirurgiens (85 %) et gastroentérologues (64 %) estiment avoir été en mesure de réaliser plus de cas en une journée au Centre de chirurgie Rockland MD que dans une journée de travail à l’hôpital où ils pratiquent, selon un bilan du projet-pilote réalisé pour le compte de Rockland MD et obtenu par La Presse*.

Ainsi, une forte proportion de médecins évaluent que leur productivité a augmenté de 20 % à plus de 40 % dans certains cas dans ce centre de chirurgie privé.

Les médecins sont rémunérés de la même façon (RAMQ) qu’ils opèrent dans ces cliniques privées ou dans leur hôpital. Toutefois, en ayant l’occasion de faire plus d’opérations en une journée dans ces cliniques que dans les hôpitaux, ils augmentent potentiellement leur rémunération.

Depuis mai 2016, le MSSS a payé près de 44 millions pour 48 066 opérations réalisées au privé, selon les plus récentes données fournies par ce ministère, datant de janvier dernier. Le budget de départ du projet-pilote de 4 millions par an a été largement dépassé. Le MSSS verse un profit de 10 % à la clinique sur chaque intervention.

En plus de l’objectif de réduire les listes d’attente dans les hôpitaux, le ministre de la Santé de l’époque, Gaétan Barrette, a conclu cette entente pour comparer la différence de coût d’une intervention d’un jour entre les établissements publics et les cliniques privées dans l’optique d’instaurer un nouveau modèle de financement axé sur le patient.

Chirurgienne en oncologie à l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, la Dre Dominique Synnott affirme qu’elle parvient à opérer huit ou neuf patients par jour à Rockland MD alors qu’à Sacré-Cœur, elle en fait trois ou quatre par jour, et ce, lorsqu’elle n’est pas forcée d’annuler ses opérations en raison de cas plus urgents qui surviennent (Sacré-Cœur a un centre de traumatologie).

Jeudi dernier, le jour de notre entrevue, la Dre Synnott devait opérer quatre patients à Sacré-Cœur. « Savez-vous combien j’en ai opéré ? Zéro, raconte-t-elle. Parmi mes quatre cas, j’ai dû reporter deux patients atteints d’un cancer du côlon parce que d’autres cas ont eu priorité, dont deux gars qui venaient de se poignarder. »

L’écart de productivité s’explique donc par le fait que dans les cliniques du projet-pilote, toutes les interventions mises à l’horaire ont bel et bien lieu.

Autre raison, toujours selon la Dre Synnott, « il n’y a aucune perte de temps entre les opérations » au centre de chirurgie privé. « À Rockland MD, lorsque l’opération du patient est planifiée à 8 h, le patient est dans la salle d’opération à 8 h piles parce qu’on a fait rentrer des infirmières plus tôt pour le préparer. Dès que l’opération est terminée, le préposé au ménage est prêt à nettoyer la salle », explique la chirurgienne. 

« À l’hôpital, tout prend plus de temps, et ça s’ajoute au fait qu’il manque régulièrement d’infirmières et de préposés. Ceux qui sont là font ce qu’ils peuvent, mais ça occasionne beaucoup de retards et d’annulations. »

— La Dre Dominique Synnott, chirurgienne en oncologie à l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

« Il y a un monde d’efficacité entre [l’hôpital et le centre de chirurgie privé] », ajoute la Dre Synnott.

Les installations dans le centre de chirurgie privé sont aussi mieux adaptées, ajoute la Dre Synnott, qui y fait des mastectomies totales et des reconstructions mammaires post-cancer. À titre d’exemple, la salle où le patient est préparé en vue de l’opération est voisine de la salle d’opération à Rockland MD alors que dans les hôpitaux, ces deux salles sont souvent situées sur deux étages distincts, ce qui augmente le temps de déplacement.

« Un fier service »

« Ce projet-pilote nous a rendu un fier service au moment où nos listes d’attente débordaient », explique pour sa part le Dr Michael Bensoussan, gastroentérologue à l’hôpital Charles-LeMoyne, à Longueuil.

Il y a un an et demi, des patients dont on suspectait un cancer du côlon avaient un délai d’attente pour passer une procédure sous scopie de plus de trois mois, et parfois même de plus de six mois, dans cet hôpital de la Montérégie. 

« Nos délais d’attente étaient devenus déraisonnables en raison du fort bassin de population qu’on dessert, et ce, malgré nos nombreux efforts pour augmenter notre productivité. »

— Le Dr Michael Bensoussan, gastroentérologue à l’hôpital Charles-LeMoyne

Pis encore, quelque 280 patients attendaient depuis un an et demi pour passer un examen double (gastroscopie et coloscopie), ajoute le médecin. « J’ai réussi à les prioriser à Rockland, et ainsi régler le problème en six mois, alors qu’on n’arrivait pas à les passer à Charles-LeMoyne malgré tous nos efforts », insiste-t-il.

Le Centre de chirurgie Rockland MD offre un service aux patients équivalent à celui qui est offert à l’hôpital, selon le Dr Bensoussan – dont 90 % de la pratique est à l’hôpital Charles-LeMoyne et 100 % dans le régime public, précise-t-il. « Je vois cela comme une extension de mon activité puisque je suis rémunéré de la même façon qu’à l’hôpital et j’y amène mes patients qui ne déboursent pas un sou », conclut-il.

« Une catastrophe » si ça prenait fin

Le chef du département de chirurgie du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, le Dr Ronald Denis, ne voudrait pas non plus revenir en arrière. « Ce serait une catastrophe si ça arrêtait. Nos listes d’attente se remettraient à grossir », dit le chirurgien qui précise que 3169 patients de ce CIUSSS ont été opérés à la clinique de chirurgie Rockland MD depuis 2017.

Le chirurgien balaie d’un revers de main les critiques visant le projet-pilote et voulant que l’argent déboursé pour ces opérations réalisées au privé devrait plutôt être investi pour améliorer la productivité dans les hôpitaux.

« En envoyant nos chirurgies d’un jour à Rockland MD, l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal peut se concentrer sur les cas complexes et les patients les plus malades. »

— Le Dr Ronald Denis, chef du département de chirurgie du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal

« À mon humble avis, les chirurgies d’un jour n’ont pas leur place dans un hôpital spécialisé », poursuit M. Denis, qui pratique notamment à l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.

« Quand Sacré-Cœur réussira à embaucher – et garder – suffisamment d’infirmières et de préposés, on les fermera, ces centres de chirurgie là, mais pour l’instant, c’est une soupape nécessaire et sécuritaire », ajoute sa collègue la Dre Synnott.

Le MSSS n’a pas voulu s’avancer sur l’avenir du projet-pilote qui se termine le mois prochain. « Le projet-pilote fera l’objet d’une analyse. Il est prématuré de s’avancer davantage », a indiqué à La Presse une porte-parole du Ministère, Marie-Claude Lacasse. Pour l’instant, la différence de coûts – s’il y en a une – n’a pas été révélée. Le sera-t-elle à la fin du projet-pilote ? « Je ne peux vous le confirmer à ce stade. Nous allons analyser avant de nous prononcer », s’est contentée de répondre Mme Lacasse, du MSSS.

* Méthodologie : Le Centre RocklandMD a réalisé un sondage auprès de 130 médecins entre le 16 et le 25 mars 2019. Le taux de réponse est de 66 %.

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