Sport électronique

Le jeu vidéo sort du sous-sol

On va généralement au Centre Air Canada de Toronto pour assister à du hockey des Maple Leafs, du basketball des Raptors, des concerts ou des sports de combat.

À Montréal, la Place Bonaventure a l’habitude d’accueillir une variété de salons, du livre à celui consacré aux futurs mariés.

Vous allez prendre un verre au bar du coin ? C’est souvent pour retrouver des amis, regarder la joute de hockey, vous déhancher sur la piste de danse ou faire sensation au karaoké.

Et si vous optez plutôt pour une soirée au cinéma, ce sera probablement pour y passer deux heures devant une bonne nouveauté.

Qu’ont en commun ces endroits ? Ils sont désormais des lieux de rencontre pour les aficionados de jeux vidéo, ceux qui pratiquent le sport électronique, communément appelé « e-sport ». Mais attention : on ne parle pas ici des classiques jeux NHL, FIFA et Madden d’EA Sports, qui sont populaires depuis longtemps au Québec. Les jeux prisés ont plutôt pour noms League of Legends, Counter Strike, Dota 2 et World of Warcraft.

Fini, le stéréotype du « gamer » dans son sous-sol qui pratique sa passion en solitaire. Le débit de l’internet a beau continuellement s’améliorer – et ainsi favoriser le jeu en ligne –, le phénomène atteint un tel niveau que les occasions de contact humain vont en décuplant. Joli paradoxe.

« C’est comme tous les stéréotypes, nourris par les médias. Le joueur de World of Warcraft, c’est celui qui reste 12 heures devant son écran, qui n’a pas de copine, qui est blanc, boutonneux, à lunettes, qui adore les maths et la science-fiction. Le joueur de Call of Duty est violent, aime les armes et prévoit de tirer sur les étudiants dans les universités.

« Ce sont des clichés. On les balaie et ce qu’on découvre, c’est que les joueurs ont tous les âges – parfois trop jeunes, car jouer à 12 ans à Call of Duty, ce n’est pas normal –, des retraités, des jeunes mariés, des homosexuels, des Noirs, tout ce que tu veux ! Ils jouaient chez eux dans le noir parce qu’il n’y avait pas de lieu pour se rassembler. »

UNE AFFAIRE DE GROS SOUS

Ces mots sont ceux de Pierre Violleau. Ce Français, fraîchement débarqué à Montréal, prépare l’ouverture de la toute première succursale nord-américaine des bars Meltdown, rue Saint-Denis.

Meltdown compte une vingtaine d’établissements, en France et dans cinq autres pays d’Europe. Sa spécialité : le sport électronique, que l’on peut pratiquer soit en apportant son propre ordinateur, soit en jouant sur un des postes sur place. Des compétitions mettant en vedette les meilleurs joueurs de la planète y sont également diffusées. « Comme une Cage aux Sports », illustre Violleau.

Si les occasions de rencontre pour les joueurs se multiplient, c’est que les entreprises y voient désormais un vaste potentiel de croissance de la clientèle. Autant pour jouer que pour regarder des compétitions, la popularité du sport électronique déborde désormais des frontières de la Corée du Sud, berceau de cette industrie.

Ainsi, en août, deux événements de grande envergure débarqueront au Canada. Le Centre Air Canada accueillera la finale nord-américaine de League of Legends, jeu phare du sport électronique. Et à la Place Bonaventure aura lieu le DreamHack, un des plus importants événements « BYOC » (bring your own computer) du monde.

« Les DreamHack en Europe peuvent attirer 10 000 personnes. Pour l’événement de Montréal, nous visons environ 2000 personnes. »

— Max St-Onge, membre exécutif du LAN ETS, club consacré au sport électronique à l’École de technologie supérieure

Les chiffres feront assurément sourire les Sud-Coréens, qui ont déjà été 40 000 à s’entasser dans un stade de soccer pour assister à des compétitions. Mais le sport électronique n’a pas atteint le même niveau de maturité en Amérique du Nord.

LES CINÉMAS EMBOITENT LE PAS

Signe des temps, Cinéplex Odéon a récemment investi 15 millions de dollars américains afin que ses salles puissent accueillir des compétitions de sport électronique et diffuser en direct des événements.

Vingt-quatre salles au Canada sont maintenant équipées en ce sens et ont récemment permis d’organiser une compétition de Street Fighter à l’échelle du pays. Chaque salle accueillait des compétitions régionales et les gagnants ont convergé vers Toronto – toutes dépenses payées – le 29 mai dernier, dans un tournoi où le gagnant repartait avec une bourse de 10 000 $.

Bref, une belle façon de remplir les salles à une époque où les plus branchés n’ont plus besoin d’aller au cinéma pour regarder des nouveautés.

« Notre façon de regarder des films a changé, reconnaît Sarah Van Lange, directrice des communications chez Cinéplex Odéon. Mais il y a une fausse perception. L’an passé, 77 millions de personnes sont venues dans nos salles, et c’est un record. Mais les gens nous disent qu’ils aiment venir dans nos salles pour autre chose que des films. Dernièrement, on a présenté des matchs des Raptors. C’est notre division de cinéma d’événements. On a présenté des spectacles du Metropolitan Opera, des concerts, la finale de Wimbledon en 3D, de la lutte, du ballet. Ça nous permet de rejoindre d’autres communautés. »

Le sport électronique a atteint un tel niveau que le réseau ESPN compte une section « esports » sur son site web. On y trouve même un top 10 des meilleures séquences du mois !

De son côté, RDS consacre également une section au sport électronique sur son site web et collabore désormais avec Denis Talbot, animateur de l’émission Radio-Talbot, webdiffusée sur Twitch, une plateforme consacrée au sport électronique.

« Quand tu as de la vision, tu te rends compte qu’en sport électronique, les téléspectateurs regardent la compétition du début à la fin, ce sont des spectateurs captifs, fidèles. Mais c’est dur de changer un modèle d’affaires, quand on est habitué aux émissions classiques avec une pause aux 12 minutes. »

— Denis Talbot, animateur de l’émission Radio-Talbot

« C’est excellent pour la discipline, car ça pourrait faire tomber les préjugés », se réjouit Denis Talbot, au sujet de la prolifération des plateformes.

« Mais ça va prendre du temps avant d’atteindre la télévision, car dans ce domaine, on est prudents. On n’ose pas prendre de décision, par crainte de se tromper. Ces événements vont faire en sorte d’enlever les ornières. Ce n’est pas parce que tu ne connais pas ça que ça n’existe pas… Va voir les chiffres de Twitch !

Le sport électronique n’a peut-être pas encore conquis le petit écran. Mais partout ailleurs, il est bel et bien arrivé en Amérique du Nord.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.