Chronique

Ceci n’est pas commandité

La semaine dernière, j’ai reçu au bureau une casserole contenant toutes sortes d’ingrédients frais. Des tomates, du basilic, du fromage pseudo-parmesan… Il y avait aussi des pâtes et des saucisses sous vide. Le but de cet envoi de presse piloté par la marque StarFrit : que je vous parle de cette nouvelle cocotte d’où est sorti, malheureusement, un plat raté. Le miracle du tout-en-un, sans effort, n’a pas marché pour moi. Les pâtes étaient prises dans un pain.

Quand ce ne sont pas des casseroles qu’on m’envoie, ce sont des vernis à ongles, de la bière, des romans.

Qu’attend-on de moi ?

Rien de ça ne correspond aux chroniques que j’écris en ces pages. Est-ce alors à la facebookeuse, l’instagrameuse, la twitteuse que je suis que sont destinés ces efforts de publicité ?

Cette façon de mettre des produits de l’avant, en convainquant les personnalités des réseaux sociaux, gagne sans cesse en popularité et en inventivité depuis que ces plateformes ont été créées. Grâce à la multiplicité de chaînes de diffusion et de communicateurs ravis de recevoir produits et services à tester.

L’argent de la publicité traditionnelle n’a pas été transféré totalement dans cette avenue, mais c’est sûr qu’aujourd’hui, si j’avais des chapeaux à vendre, je m’organiserais pour qu’une vedette d’Instagram les trouve géniaux ou que ma blogueuse de cuisine préférée en porte un en cuisinant.

Au Québec, ce genre de néo-promotion publicitaire qui grandit et se transforme en suivant la techno et les réseaux sociaux n’est pas vraiment encadré légalement, m’a expliqué ce week-end Camille Desrosiers-Gaudette, alias Camille Dg, fondatrice et rédactrice en chef du site Le Cahier et présidente de Codmorse, une agence de stratégie et de contenu web spécialiste de la vidéo et des réseaux sociaux.

« Il y a des considérations éthiques, mais on n’est pas obligé de suivre de règles précises », note-t-elle. En Europe, les cadres sont plus stricts et aux États-Unis, pourtant le royaume de l’entreprise libre, la Federal Trade Commission (FTC) a annoncé récemment de prochaines balises précises pour la publicité qui se fait par l’entremise de contenus aux apparences éditoriales sur le web.

La FTC est particulièrement inquiète par rapport aux nouvelles vedettes des réseaux sociaux qui mettent de l’avant toutes sortes de produits sans déclarer leurs intérêts.

« [Les utilisateurs des réseaux sociaux] doivent dire clairement quand ils sont payés pour faire la promotion de quelque chose. Et les mots-clics comme #ad, #sp #sponsored – très répandus – ne sont souvent pas suffisants. Le FTC va demander aux annonceurs de s’assurer que les règles soient respectées », a expliqué en substance Michael Ostheimer, un des responsables de l’application des règles sur la publicité à la FTC au magazine spécialisé Business of Fashion. Si la présence de rétribution pour un endossement positif rend le blogue ou les affichages sur Facebook ou Instagram moins intéressants, tant pis. « Nous nous intéressons aux appuis trompeurs depuis des décennies », a ajouté M. Ostheimer. Mais là, l’agence s’inquiète de voir les consommateurs leurrés par de nouvelles générations de personnalités de l’internet.

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S’associer à une vedette pour faire la promotion d’un produit n’est pas exactement un concept nouveau ou original.

Le tapis rouge des Oscars ou des Grammy est une vaste publicité de couturiers et de bijoutiers. Et la mode vit depuis toujours de ses associations avec des actrices ou des chanteuses.

Pensez-vous qu’il restait un seul sweatshirt de la marque Vêtements, celui avec les amants du Titanic, après qu’on l’a vu porté par Céline Dion partout sur Instagram ? L’histoire ne dit pas si c’est elle qui l’a acheté ou si on le lui a envoyé, reste que le coup de pub pour la marque a été magistral.

Mais la nouveauté actuelle, c’est le caractère « sous les radars » des vedettes des réseaux sociaux qui comptent des dizaines, des centaines de milliers d’abonnés tout en n’étant pas nécessairement connues du grand public. Et ces vedettes se sont souvent construit une carrière en faisant ainsi la promotion de casseroles ou d’escarpins. Et dans leurs univers, les flous éthiques sont vastes.

Selon Camille Desrosiers-Gaudette, de Codmorse, il est extrêmement difficile de dire combien de personnes gagnent combien d’argent au Québec avec cette nouvelle forme de transaction publicitaire. « Le montant de la rémunération varie énormément selon les mandats, les clients, la taille de la campagne, la réutilisation de l’image du blogueur, le médium (blogue, Facebook, Instagram, Snapchat, Twitter, etc.), la force de négociation du blogueur et son influence. Certains blogueurs, comme nous chez Le Cahier, imposent des tarifs minimums selon leurs normes, mais c’est une industrie où chacun choisit ses prix et ce qu’il accepte comme rémunération pour ses services. »

Cela dit, peu de blogueurs et de vedettes des réseaux sociaux réussissent à faire suffisamment d’argent pour en vivre, contrairement aux États-Unis et en Europe, où les Chiara Ferragni et Garance Doré sont quand même nombreux.

Le prix ici pour publier une photo d’un produit sur Instagram : ça peut aller de 50 $ à 1000 $…

De quoi faire fortune ?

« J’estime qu’au Québec, ajoute la jeune femme d’affaires, il y a environ 10 blogueurs qui en vivent sans autre emploi (je ne parle pas ici de youtubeurs), mais ce chiffre ne provient pas d’une science exacte. »

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