Une année sans lumière
On m’a souvent dit en entrevue, en joke, après mon premier album : « Ton prochain album va sans doute être full coloré et lumineux ! » Mais non. Il restait des choses dark à dire. J’ai vieilli. J’ai fait beaucoup de travail sur moi. J’ai été capable de faire face à des affaires que je n’avais pas envie de voir nécessairement dans ma vie. J’ai aussi un regard plus franc. Je regarde mes problèmes dans les yeux alors qu’avec mon premier album, c’était plus crypté.
C’est vrai. La mort est un sujet obsédant. Je fais beaucoup d’anxiété généralisée, par rapport à des maladies qui mènent à la mort. Ce qui m’obsède le plus, c’est que l’on n’en parle pas dans notre culture. Alors qu’ailleurs, au Mexique, par exemple, c’est différent.
Je pense que oui. Il y a souvent des trucs dans ma musique qui sont dans ma tête et dont je ne me rends pas nécessairement compte. Ce n’est pas réfléchi. Ça sort comme ça. Ça vient de moi parce qu’il y a ces traces-là en moi. C’est full important pour moi de ne pas me censurer. Mais de ne pas se juger, c’est vraiment difficile… C’est un album que j’ai écrit comme si personne n’allait l’écouter. Dans ma tête, cet album n’est pas du tout attendu. Je préfère le vivre comme ça ! C’est comme si je recommençais à zéro. C’est sans doute malsain, mais je suis full pessimiste. Je préfère me dire que ça ne lèvera pas.
[Rires] C’est vrai ! C’est une façon pour moi de me sentir mieux par rapport à tout ça. Parce que cet album-là, je l’aime vraiment. J’en suis vraiment fière. Le problème, c’est que ça crée des attentes. Je l’ai vécu avec les petites sessions qu’on a faites pour un clip live [que l’on peut voir sur YouTube]. J’y ai mis beaucoup du mien, d’énergie et d’investissement, et ça ne marche pas tant ! Il y a 20 000 vues en quatre mois. C’est vraiment pourri ! Tu comprends ce que je veux dire ? [Rires] J’aurais voulu qu’il y en ait genre 4 milliards !
Je sens la question sur Céline qui s’en vient…
Céline représente quelque chose pour moi depuis l’enfance. Je capote sur sa voix, ses prouesses vocales. Ça m’émeut. Elle me donne des frissons. Elle me touche vraiment, Céline. Des vidéos de My Heart Will Go On live, j’en ai écouté une centaine. J’adore la pop avec des chanteuses à voix. Il y a quelque chose dans ce sport olympique que je trouve fascinant. Mais Richard Desjardins ou Sufjan Stevens, qui ne chantent pas particulièrement bien, m’émeuvent eux aussi. J’aime Céline, mais j’adore aussi Sufjan !
Chaque fois que je chante cette toune-là [Miroir], je sais que ça rend tout le monde mal à l’aise. C’est fucké ! J’ai écrit cette chanson-là tout de suite après Limoilou [son premier album, paru en 2015]. Ça parlait du fait que pour une énième fois, j’essayais de plaire à des gens et que ça ne marchait pas. Je rêvais tellement d’être quelqu’un d’autre pour que cette personne-là me trouve nice. Pas nice intellectuellement, mais juste physiquement, point. Quand il y a eu l’histoire autour de l’ADISQ, la chanson a pris un autre sens. J’ai hésité à la mettre sur l’album, mais je la trouve bonne.
C’est parfait. C’est aussi son but, à cette chanson-là. Elle a une deuxième vie parce qu’il s’est passé des shits intenses.
Ça m’a rendue très affirmée dans qui je suis. Ça aurait pu me casser. Ça m’a plutôt poussée à être plus moi-même et à dire : Fuck you ! En plus, peu de gens savent ça, mais je m’étais vraiment forcée. J’avais engagé quelqu’un pour me coiffer et me maquiller ! J’avais fait repasser mon linge. Pour moi, j’étais vraiment habillée propre. Même quand j’essaie de me conformer le plus possible que je peux à ce que les gens attendent, ça ne marche pas. Je me fais ramasser. Fuck off ! Maintenant, je m’en torche. Je suis mieux dans ma peau depuis.
Oui ! Elle m’a écrit, mais je ne m’attendais pas à ça. Elle était trop belle dans sa robe, avec la sacoche de Gerry Boulet. J’ai trouvé ça vraiment cool et touchant.
Si je m’étais vraiment grimée, j’aurais été irrespectueuse envers moi-même et tous les gens que j’aime. Mes amies le savent que c’est moi, ça. Je ne serais jamais allée dans un gala avec une robe de bal. Il y a des choses tellement connes qui ont été écrites. Une chroniqueuse a demandé : « Iriez-vous à des funérailles en maillot de bain ? » Voyons donc ! Ça n’a aucun rapport.
C’est complètement aberrant. Il s’est fait critiquer un peu et il m’a appelée pour me dire : « J’imagine pas ce que toi, tu dois recevoir ! » Jean Leloup, une fois sur vingt, on voit ses yeux. Personne ne dit rien parce que c’est un « dude » et parce que c’est Jean Leloup. Je suis sûre que la moitié des gens qui vont à l’ADISQ aimeraient mieux ne pas mettre des robes chères pis des talons. Moi, mon féminisme s’exprime par le fait que tout le monde devrait pouvoir faire ce qu’il veut. Si Salomé veut mettre une robe avec ma face dessus, c’est son choix ! Il se trouve que j’aime mettre des chemises avec des trous, sans brassière. J’ai porté ça cette année à l’ADISQ. Je ne me suis pas lavé les cheveux le matin. Je me suis fait insulter, mais j’étais vraiment bien dans ma peau. Ç’a été rough quand même. Tout ce que je voulais, c’est faire de la musique, et je me fais insulter par des gens qui écoutent Éric Duhaime.
Ça dépend. L’an dernier, j’ai écrit un simple tweet pour demander : « À quand l’éclatement au grand jour des Weinstein québécois ? » Des gens m’ont écrit : « En tout cas, toi, tu te feras pas violer ! » J’ai trouvé ça vraiment blessant. C’est déstabilisant de constater qu’il y a des gens qui pensent comme ça. Il y en avait pas juste un. Mais quand quelqu’un m’écrit « Tu pues », je m’en fous parce que c’est faux ! [Rires]
L’hiver dernier, j’allais beaucoup moins bien et j’aurais eu plus de misère à faire la promotion de mon disque. Faire de la musique, ça arrondit un peu tous les côtés saillants de mes problèmes. C’est plus facile pour moi de parler de certaines choses, parce que je les ai extériorisées dans mes chansons. Il y a des affaires sur cet album dont je ne parle qu’avec mes amis proches, parce que c’est trop difficile.
Genre. C’est quand même intense. C’était la chanson la plus difficile à écrire et à enregistrer. J’étais drainée après. Au début de la toune, il y a des extraits d’une vieille VHS avec mon père qui parle. C’est très intime. Je me suis rendu compte récemment que mes rapports avec mes amis gars sont vraiment fucked up depuis très longtemps. C’est pas une affaire d’ambiguïté sexuelle. Je suis tellement plus exigeante avec mes amis gars. Pourquoi ? C’est sûr que c’est lié à l’absence de mon père. En même temps, je me demande si je n’intellectualise pas trop tout ça. Ça fait 13 ans que mon père et moi, on ne s’est pas parlé ni vus. C’est tout ce que mes amis savent et tout ce que je sais. C’est très énigmatique, très étrange et super blessant aussi.
J’espère que non ! C’est pas vrai… Ça se peut.
J’ai grandi pendant 15 ans avec cette musique-là, dans un foyer presque à 100 % algérien. On mangeait du couscous et du poulet aux raisins. Je me faisais intimider à l’école parce que j’étais arabe. Tout ça a cessé drastiquement. Et je vis une vie 100 % queb depuis. Mais je rêve d’aller en Algérie, de revoir mes grands-parents et de comprendre ce que ça signifie, tout ça, dans ce que je suis.
C’était mon premier breakup et j’avais envie d’écrire une chanson très lesbienne ! D’habitude, je préfère le flou. Mais j’avais envie d’entendre deux filles qui s’aiment et qui sont tristes de ne plus être ensemble. J’étais vraiment en peine d’amour extrême quand j’ai enregistré l’album. C’était pas toujours facile. Mais je l’ai, ma toune lesbienne bilingue ! [Rires]