Chronique

Quelle justice fiscale ?

C’est une véritable révolution qui guette la planification fiscale canadienne.

Quand le ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, propose d’éliminer certains avantages fiscaux des « plus fortunés », il vise parfois juste sur la réalité de certaines échappatoires fiscales complaisantes. Par contre, certaines mesures proposées ne sont-elles pas une forme de saisie d’actifs et un découragement à viser une rémunération plus intéressante pour un contribuable ?

Le gouvernement Trudeau a pour objectif que chacun « paie sa juste part d’impôts ». Le problème : qu’est-ce qu’une juste part d’impôts ?

La fin de la multiplication de l’exonération cumulative des gains en capital (ECGC)

En 2017, quand un actionnaire d’une société privée sous contrôle canadien vend ses actions, les premiers 835 716 $ de gains ne sont pas imposables (sous certaines conditions).

Par l’implantation d’une structure fiscale impliquant une fiducie, un propriétaire d’entreprise peut multiplier cet avantage par le nombre de bénéficiaires. À mots couverts, les comptables et fiscalistes sont souvent d’accord : cette possibilité était parfois utilisée de façon abusive et permettait à certains groupes de personnes de multiplier cette exonération par un nombre exagéré de bénéficiaires d’une fiducie.

Si bien qu’on pouvait générer des millions de dollars en gains sans impôt à la vente d’une société.

Ce genre de tour de passe-passe légal sera probablement éliminé par le gouvernement fédéral. Dans ce cas, on peut dire que le gouvernement vise juste. C’est dans d’autres situations que la notion de « justice fiscale » devient difficile à cerner.

La distorsion fiscale des revenus

La fiscalité progressive, que le gouvernement juge « juste », donne parfois des incohérences sur une certaine période. Pier-Luc Lafontaine, comptable professionnel agréé et conseiller principal chez LBA Gestion privée, propose le calcul suivant :

Deux contribuables gagnent le même revenu total sur deux ans (160 000 $), mais comme un des deux a des revenus volatils, il est pénalisé par la fiscalité progressive du Canada et du Québec.

Donc, il y a une certaine injustice : le contribuable vivant une situation de volatilité de revenus par la prise de risques et l’incertitude se voit pénalisé par la fiscalité de son pays.

C’est une captation de valeur de 5400 $ supplémentaire en impôts par rapport à l’autre contribuable. On encourage donc ce contribuable à vouloir éviter l’impôt progressif.

Une société par actions peut permettre le report d’une partie des revenus et, donc, répartir la charge fiscale différemment. Évidemment, cela peut donner aussi un résultat favorable fiscalement dans certaines situations. Donc, en voulant éliminer l’incorporation à cette fin, le gouvernement Trudeau tient pour acquis que la fiscalité progressive est juste en toute situation. Ce qui n’est pas le cas.

L’envers de la distribution fiscale

La justice fiscale de notre système est de permettre une distribution aux moins nantis et de distribuer la richesse. Ce qui est correct dans une vision où la chance n’est pas distribuée également dans le monde économique.

Là où l’impôt progressif perd de sa justice, c’est qu’il récompense le choix de certains de fournir moins d’efforts et de temps à la société. Du même coup, on pénalise celui qui prend des risques en s’investissant davantage dans des études, dans un projet d’investissement ou dans un travail. Le gouvernement écarte cette réalité de sa réforme et de sa vision de la justice fiscale.

Les placements passifs

Le gouvernement fédéral juge que « la détention d’un portefeuille de placements passif dans une société privée […] peut être financièrement avantageuse pour les propriétaires de sociétés privées comparativement aux autres investisseurs ».

Selon Pier-Luc Lafontaine, cette affirmation est fausse. Il en fait la démonstration avec l’exemple suivant. Deux contribuables générant 150 000 $ de revenus annuels souhaitent augmenter de 40 000 $ leurs fonds de retraite. L’un n’est pas incorporé, l’autre l’est. Le premier maximise la cotisation REER et met le solde dans le CELI. Selon les calculs du conseiller principal chez LBA Gestion privée, il faut donc « sacrifier » 47 446 $ pour arriver à mettre 40 000 $ de côté. L’effort fiscal en pourcentage est de 15,7 %. 

Le second, incorporé, épargnera la totalité par l’intermédiaire de son entreprise. L’effort fiscal sera de 22,3 % de la totalité de son épargne. Il devra donc « sacrifier » 51 480 $ pour qu’il lui reste les mêmes 40 000 $ après impôts immédiats.

Par cet exemple simplifié, il tente d’illustrer que d’affirmer que l’incorporation facilite l’épargne n’est pas un dossier noir ou blanc : on peut présenter des situations où la prémisse du gouvernement est fausse. Comment définir un placement passif de façon définitive ? Si un placement important exige de laisser du capital « passif » pendant cinq ou six ans, est-ce qu’on veut pénaliser l’actionnaire dans sa capacité d’investissement dans un placement non passif plus tard ?

La réforme fiscale entamée par le gouvernement Trudeau a-t-elle pour but de présenter une fiscalité plus « juste » ? On semble dorer des préjugés fiscaux populistes du même coup.

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