OPINION FUGUES D’ADOLESCENTS

La prudence est de mise

Nous sommes devant une situation émotive qui peut conduire à des réflexes punitifs ou restrictifs de liberté

Il serait regrettable que les fugues d’adolescentes du centre jeunesse de Laval entraînent une modification de la Loi sur la protection de la jeunesse dans le but de permettre un plus grand recours aux unités d’encadrement intensif, où les portes sont barrées.

Le droit à la liberté des jeunes ne peut être restreint qu’en cas de nécessité, lorsque l’adolescent présente un danger pour lui-même ou pour autrui (LPJ, art. 11.1.1). La loi est claire et pleine de bon sens : on restreint la liberté de ceux qui adoptent des comportements dangereux, pas celle de tous les autres.

Les unités d’encadrement intensif contrôlent de façon importante le comportement et les déplacements des adolescents. Les jeunes y évoluent dans un cadre austère qui s’éloigne de la vie dans la société civile et qui n’est pas propice à leur développement. Avant 2006, la loi n’encadrait ni les motifs susceptibles de conduire à l’encadrement intensif ni la durée du séjour. Depuis 2006, elle précise que le recours à l’encadrement intensif n’est possible que si l’adolescent présente un risque sérieux de danger pour lui-même ou pour autrui (fugues, drogues, conduites sexuelles problématiques, etc.).

La loi actuelle ne limite pas la durée du séjour. Il est encore possible de maintenir un jeune dans une unité d’encadrement intensif au-delà de 30 jours et il n’est pas nécessaire d’obtenir l’autorisation du tribunal à cet égard.

Le recours à l’encadrement intensif doit toutefois être réévalué chaque mois et cesser dès que l’enfant ne présente plus un danger pour lui-même ou pour autrui.

Les fugues survenues au centre jeunesse de Laval ont provoqué une vague d’intérêt. Un reportage de Radio-Canada diffusé lundi affirme que « les changements à la loi ont fait exploser le nombre de fugues ». Ces données doivent être appréhendées avec circonspection. D’une part, seul un petit groupe d’adolescents multiplie les fugues et est responsable d’une part importante d’entre elles, ce qui gonfle les chiffres disponibles. Pour venir en aide à ces quelques fugueurs chroniques, il n’est pas nécessaire de modifier la loi : un jeune qui fugue souvent peut être considéré comme en danger, et, donc, être maintenu en encadrement intensif.

QU’EST-CE QU’UNE FUGUE ?

D’autre part, il faut redéfinir la notion de fugue. À l’heure actuelle, un jeune est considéré comme étant en fugue dès qu’il accuse un retard de plus de 60 minutes. On imagine aisément qu’un adolescent difficile ne revienne pas toujours de sa sortie autorisée à l’heure prévue. Sans banaliser ce retard, il faudrait le nommer pour ce qu’il est. Sachant, comme le note le rapporteur André Lebon, que 68 % des jeunes « fuguent » pour moins de 24 heures et que la plupart reviennent à l’intérieur d’un délai de 5 heures, on peut se demander s’il s’agit réellement de fugues.

Enfin, il faut dire et répéter que dans la majorité des cas, un jeune qui fugue ne le fait pas en s’échappant par la porte entrouverte du centre jeunesse, mais en ne revenant pas d’une sortie autorisée.

On comprend aisément que si les fugues ne se font pas à partir de l’interne, il est bien inutile de barrer les portes.

La loi a été modifiée en 2006 parce que certaines pratiques violaient les droits fondamentaux des jeunes. Nous sommes aujourd’hui devant une situation émotive et perturbante qui peut aisément conduire à des réflexes punitifs ou restrictifs de liberté. Dans ces circonstances, la prudence est de mise afin de ne pas légiférer à la hâte, en oubliant que la loi est d’application générale et qu’elle s’adresse à tous les jeunes sous protection susceptibles, pour une raison ou une autre, de se retrouver en encadrement intensif.

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