épicerie en ligne

La bataille à quatre commence

On a fait notre épicerie de la même manière pendant des décennies sans que rien ne change, ou presque. Soudainement, les nouvelles façons d’acheter se multiplient. Au Québec, Walmart et Provigo se lancent dans la vente en ligne, au moment même où Metro s’apprête à décupler son offre, provoquant une véritable bataille à quatre, avec IGA.

Un dossier de Marie-Eve Fournier

commerce de détail

Walmart et Provigo se lancent dans l’épicerie en ligne

Est-ce l’effet Amazon ? Le nombre d’épiceries en ligne explose ces jours-ci au Québec. Tandis que Walmart et Provigo s’apprêtent toutes deux à annoncer le déploiement de ce service, Metro promet d’être capable de livrer du bœuf haché et des carottes à 60 % des Québécois d’ici la fin de l’année.

Dans quelques jours, on pourra dire que les plus grands acteurs de l’alimentation au pays auront tous un site transactionnel.

Walmart annoncera la semaine prochaine que les clients de sept succursales du Québec pourront faire leur épicerie en ligne avant la fin du mois. La nouvelle est déjà en évidence sur son site web. Le déploiement se fera graduellement dans la province sur un horizon inconnu.

La Presse a par ailleurs découvert que Provigo Le Marché avait récemment lancé, sans tambour ni trompette, un site transactionnel. Pour le moment, les commandes peuvent être passées dans deux magasins (à Kirkland et à Aylmer), mais près d’une dizaine d’autres s’ajouteront « bientôt », selon le site web de l’épicier. Les détails de la stratégie devraient être connus lors de l’annonce officielle plus tard ce mois-ci.

Expansion exponentielle chez Metro imminente

Du côté de Metro, on vend déjà en ligne depuis 11 mois, mais à petite échelle. Seuls les consommateurs habitant dans un certain rayon de trois magasins (à Kirkland, Laval et dans la rue Jean-Talon à Montréal) peuvent se faire livrer leurs achats.

L’épicier se prépare cependant à accroître son offre de façon exponentielle. Et rapidement. « La semaine prochaine, on va aller à Québec [ce qui inclut Lévis] et après à Gatineau. Prochainement, on va compléter Montréal avec la Rive-Sud et là, 60 % des Québécois seront desservis par notre offre en ligne », nous a confié la porte-parole de Metro, Marie-Claude Bacon. Le marché ontarien suivra en 2018.

Le détaillant a choisi de miser principalement sur la livraison à domicile. Et seule une poignée de magasins (entre six et dix) sera responsable d’assembler les commandes, une stratégie inédite au Québec qui plaît à Keith Howlett, analyste spécialisé en vente au détail chez Desjardins.

« Centraliser la préparation des commandes dans des magasins pivots permettra de générer de meilleures efficiences et de développer une réelle expertise au sein des équipes dédiées [à cette fonction]. »

— Keith Howlett, analyste spécialisé en vente au détail chez Desjardins

Rappelons que chez IGA, la vente en ligne n’a rien de nouveau. Les clients peuvent commander en ligne depuis… 1996. Les commandes sont passées automatiquement dans le magasin le plus près de son domicile, qui est entièrement responsable de la prestation du service. L’entreprise n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

Deux visions de la commodité

Contrairement à Metro et à IGA, Walmart et Provigo n’offrent pas le service de livraison. Les clients doivent récupérer eux-mêmes leurs achats au magasin où la commande a été passée, ce que les anglophones appellent le « Click & Collect » et les Français, le « drive ». Provigo, qui a baptisé son service « Clique & Go », dit ne pas avoir l’intention pour l’instant de proposer la livraison à ses clients. D’ailleurs, ailleurs au pays, son propriétaire Loblaw mise uniquement sur le « Click & Collect ».

« On croit que c’est plus pratique pour la clientèle et c’est d’ailleurs ce qu’elle nous dit. Elle préfère décider elle-même du moment où faire la cueillette, plutôt que d’être obligée d’attendre à la maison pendant une certaine plage horaire que la commande lui soit livrée, explique la porte-parole Johanne Héroux. Est-ce qu’on réévaluera la situation ? Ce n’est pas impossible. »

Les clients qui habitent près des quelques magasins Metro transformés en « hub » du commerce en ligne peuvent y récupérer leurs achats, précise Metro. Mais selon l’épicier, la livraison « est plus pratique », car le client « n’a pas à se déplacer en magasin ». D’ailleurs, quand ils ont le choix, 75 % des clients de Metro choisissent la livraison, a constaté l’épicier depuis un an.

À l’inverse de Loblaw, Walmart a fini par ajouter le service de livraison, mais seulement à Toronto.

Un marché de 2,2 milliards dès l’an prochain

Il n’est pas étonnant de voir l’intérêt marqué des épiciers pour la vente en ligne. Pour le moment, l’intérêt des consommateurs est assez limité. Mais pas pour longtemps, si l’on se fie aux experts et au flair d’Amazon, qui a acheté les supermarchés Whole Foods Market en juin pour 13,7 milliards US, avec le dessein de lui faire profiter de son expertise.

Selon la firme d’experts en commerce électronique Profitero, citée cette semaine dans un rapport de Desjardins Marchés des capitaux, moins de 1 % de l’épicerie est achetée en ligne au Canada. Dans un marché de 120 milliards, cela représente 1,2 milliard. Mais la proportion devrait rapidement atteindre 3 % (3,6 milliards), soit dès 2018. Seulement au Québec et en Ontario, on parle d’un potentiel de 2,2 milliards, note Desjardins.

« Les milléniaux n’ont plus le temps de sortir magasiner et c’est trop de trouble. En plus, il y a le climat. Au Québec, c’est assez imprévisible merci ! », constate Sylvain Charlebois, doyen de la faculté de management et professeur en distribution et politiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie.

Commerce de détail

Des supermarchés qui innovent

Achats en ligne, robots en fonction 24 heures sur 24, applications contre le gaspillage : plusieurs nouveautés pourraient bouleverser le monde de l’alimentation dans un futur rapproché. 

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Achetée en ligne, livrée à l’auto

Le « cliquez et ramassez » gagne tranquillement le Canada. Dans les provinces anglophones, une petite minorité d’épiceries le proposent et au Québec, ça commence à peine (voir onglet précédent).

Comment ça fonctionne ? Une fois ses achats en ligne effectués, on se rend en voiture dans le stationnement de son épicerie et on compose le numéro de téléphone inscrit sur le lieu de ramassage. Rapidement – promet-on – un employé sort du magasin avec nos courses et les place dans le coffre.

Ce service coûte moins cher pour le détaillant que la livraison à domicile. Et pour le client, il procure une meilleure flexibilité, font valoir les épiciers qui préconisent cette option : il suffit d’aller cueillir ses achats au moment le plus commode, en sortant du bureau ou après le cours de piano de la petite dernière.

Robot 24/7

Aux États-Unis, Walmart teste une autre idée pour rendre encore plus commode l’achat d’aliments en ligne : le kiosque robotisé. Installé récemment dans un stationnement de magasin, le système permet aux clients de récupérer leurs achats à toute heure du jour et de la nuit sans avoir à interagir avec qui que ce soit.

Il suffit de s’y présenter et d’entrer un numéro sur un clavier pour faire ouvrir une porte derrière laquelle se trouvent ses victuailles. Le processus prend moins d’une minute.

Le kiosque de 20 pieds sur 80 pieds peut contenir jusqu’à 30 000 produits, ce qui lui permet de traiter « des centaines » de commandes quotidiennement. Les aliments y sont entreposés à la bonne température. Walmart dit que son nouveau service s’adresse particulièrement aux parents pressés qui pourront ainsi gagner quelques heures par semaine.

Aux États-Unis, Walmart a aussi conclu un partenariat avec Uber pour offrir la livraison à domicile.

Achats récupérés au coin de la rue !

D’autres détaillants ont adapté une variante du ramassage à l’auto qui permet notamment de servir les clients qui marchent en ville ou qui prennent les transports en commun. Ils ont installé des casiers à l’extérieur, dans la rue, collés sur un commerce ou dans une station de train.

C’est le cas de Fresh St. Market à Vancouver et de Waitrose en Angleterre. L’entreprise anglaise Asda (propriété de Walmart) a pour sa part installé des casiers sur les terrains de stations-service. De leur côté, Tesco et Sainsbury (deux entreprises anglaises) ont testé des casiers dans le métro, mais sans grand succès, d’après les médias locaux.

Longo’s pour acheter des aliments qui seraient jetés

La jeune pousse torontoise Flashfood a décidé d’utiliser la popularité des achats en ligne et la démocratisation de la technologie pour réduire le gaspillage alimentaire. Son application mobile met en relation les supermarchés et les consommateurs.

Le concept est simple : quand la date de péremption d’un yogourt, d’une pâtisserie ou d’un pain approche, le supermarché affiche le produit sur l’application avec un rabais substantiel. Le consommateur intéressé achète l’aliment par l’entremise de l’application et le récupère ensuite en magasin, dans un frigo identifié aux couleurs de Flashfood. À la caisse, il suffit de présenter sa confirmation électronique d’achat.

Pour le moment, deux épiceries de Toronto, Farm Boy et Longo’s (notre photo), testent l’idée, qui permet de réduire la quantité d’aliments envoyés dans les dépotoirs.

La petite épicerie dans la pharmacie

Des mangues, des steaks, des sandwichs, des dizaines de fromages et des chanterelles séchées. Nous ne sommes pas dans une épicerie, mais bel et bien dans une pharmacie.

Il n’y a pas que la technologie qui puisse rendre l’achat d’aliments plus commode. Dans certaines provinces, Loblaw utilise sa chaîne Shoppers Drug Mart (Pharmaprix au Québec) pour tester l’intérêt des consommateurs pour une vaste (et étonnante) sélection d’aliments frais à proximité des quartiers résidentiels.

Au Québec, plusieurs Pharmaprix vendent du lait, de la crème glacée et des pizzas congelées. Mais aucun ne tient des fruits et légumes frais, de la viande et des mets préparés. Et pour l’instant, Loblaw ne prévoit pas intégrer ces aliments dans ses pharmacies du Québec, nous a indiqué une porte-parole.

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« Il va y avoir un point de bascule »

Les supermarchés ne sont plus à l’abri des bouleversements provoqués par l’ascension fulgurante du commerce en ligne, le rythme de vie de plus en plus effréné et le mode de vie des milléniaux. Résultat, les innovations se multiplient. Nous avons discuté du phénomène avec Jordan LeBel, expert en marketing alimentaire à l’Université Concordia.

Qu’est-ce qui explique l’émergence, actuellement, de tant d’innovations dans la distribution alimentaire ?

Il faut comprendre l’impact des milléniaux sur le système alimentaire. Ils remplacent les baby-boomers, en termes de masse critique, et leur pouvoir d’achat est dominant. En plus, ils commencent à avoir des enfants. Ils sont exigeants. Ils veulent du bio, des emballages écologiques et durables, de l’innovation, de la commodité. Il va y avoir un point de bascule et on s’en approche bientôt. Les milléniaux vont avoir le même impact que les baby-boomers dans les années 70. Et puis, il y a Costco et Walmart qui grugent des parts de marché et qui forcent les supermarchés à être plus performants. Et comme si ce n’était pas assez, les services de mets prêts à cuire comme Goodfood et Cook it sont apparus.

Quelle est l’influence de l’internet ?

On a compris qu’en deux ou trois clics, on peut maintenant acheter tout ce qu’on veut. On n’a plus besoin d’aller à l’épicerie. Alors les épiceries ne peuvent plus continuer à offrir la même expérience. Le problème, c’est que présentement, aucune chaîne n’a réinventé l’expérience. Éventuellement, le premier réflexe avant l’heure du souper ne sera pas d’arrêter chez IGA pour acheter le repas. On va cliquer sur une application qui va donner des recettes en fonction de ce qui reste dans son frigo et qui va commander ce qui manque à l’épicerie. Il suffira de récupérer les ingrédients 20 minutes plus tard.

Mais c’est juste 1 % de la nourriture qui est vendue en ligne…

C’est vrai que c’est juste 1 %, mais c’est parce que le consommateur n’a pas beaucoup de choix. Le jour où il va en avoir… Le jour où quelqu’un va arriver avec une application qui rend le magasinage en ligne ultra facile, tout va changer, comme ça a été le cas avec Uber, qui a perturbé l’industrie du taxi, ou Amazon, qui a bousillé celle des librairies. Quand les milléniaux vont embarquer dans l’achat en ligne de nourriture, ça va être « game over » [pour les modèles traditionnels].

Le « cliquez et ramassez » s’est beaucoup développé en France et aux États-Unis. Il gagne maintenant le Canada anglais. Qu’est-ce qui motive les détaillants à offrir ce service ?

Ils ont des parcs immobiliers incroyablement géants, comptant des millions de pieds carrés. Alors ils ne peuvent pas se permettre de vendre moins. Ils doivent faire vivre leurs magasins d’entreprises et franchisés. Le « Click & Collect », c’est un compromis qui leur permet de combiner le web avec les magasins. Ils ménagent la chèvre et le chou, car ils ont des baux dont ils ne peuvent pas se départir en criant ciseaux. En plus, si tu fermes un magasin en ville, ce n’est pas grave, un autre prend le relais. Mais en région, l’épicerie est au cœur de la communauté. Si tu la fermes, tu ne seras peut-être pas capable de gérer le flot de commentaires négatifs, l’impact négatif sur ton image. Tu vas être pris dans une crise de relations publiques.

Est-ce que ce n’est pas surtout Amazon qui a provoqué un vent de changement en commençant à vendre de la nourriture en ligne ?

Amazon a changé notre représentation mentale. Au lieu de se dire « il faut que je me dépêche à aller à l’épicerie », on se met à pitonner sur son téléphone. Mais la tendance lourde, c’est la commodité. C’est ça qui change tout, et Amazon n’a pas le monopole de ça.

Pourquoi la commodité est-elle si importante soudainement ?

Parce qu’on a des vies tiraillées. On veut gagner cinq minutes pour les passer sur Netflix, sur Facebook. Chaque minute a une valeur. Résultat, les gens sont de plus en plus prêts à payer pour de la commodité. Ils veulent que leurs légumes soient lavés, épluchés, coupés, préparés, cuits. Le consommateur veut tout, finalement : de la bouffe santé, goûteuse, préparée et livrée en 20 minutes.

Qu’est-ce qui explique le rythme plus lent de l’innovation au Québec ?

Je ne dis pas ça de façon méprisante, mais le consommateur québécois n’est pas très exigeant. Il prend ce qu’on lui donne, car il ne connaît pas mieux. Il est exigeant côté prix, parce qu’il est très taxé, mais pas tellement sur autre chose. C’est un peu moins vrai en ville, mais quand même… Aussi, la concurrence n’est pas assez forte. Ici, trois acteurs accaparent environ 70 % du marché, alors qu’aux États-Unis, ils sont 15 ou 16 ! Alors il y a plus de pression pour innover.

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Une tendance bien visible... aux États-Unis

Depuis un an, les Américains ont réduit de 2 % le nombre de leurs visites dans les supermarchés.

Les achats d’aliments en ligne ont bondi de 6 % (depuis un an).

Dans huit ans, 20 % des aliments seront achetés en ligne. Les ventes sur le web atteindront alors 100 milliards US, l’équivalent de 3900 supermarchés.

Les épiciers uniquement en ligne et les autres détaillants spécialisés dans la vente d’aliments sur le web ont commencé à ébranler le titre de « première destination pour l’alimentation » détenu par les supermarchés de briques et de mortier.

43 % des milléniaux font leur épicerie en ligne au moins occasionnellement.

Source : Food Marketing Institute

— Marie-Eve Fournier, La Presse

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