Restauration

Les enfants bienvenus au restaurant ?

Le chef et consultant Ian Perreault a lancé un cri du cœur le mois dernier avec son texte « Mon enfant… pas dans ton restaurant ». Il y dénonce les restaurants branchés qui ne font aucun effort pour s’adapter aux besoins des jeunes enfants. Les parents sont pourtant de plus en plus nombreux à vouloir fréquenter ces établissements en famille. Peuvent-ils aisément s’y attabler ? Comment rendre l’expérience agréable ?

UN DOSSIER DE NOTRE COLLABORATRICE NADIELLE KUTLU

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Une bonne table en famille

Dans son texte « Mon enfant… pas dans ton restaurant » publié sur son blogue, Ian Perreault lance d’emblée : « J’aime bien aller au restaurant avec ma famille et j’aime la cuisine bien apprêtée. Je ne veux pas toujours aller dans un restaurant de type familial, mais lorsque je vais dans un resto un peu plus trendy, j’ai l’impression que mon enfant est de trop. Et pourtant, ça n’est vraiment pas difficile de satisfaire un enfant de 2 ou 3 ans. » 

Quels sont les problèmes soulevés par Ian Perreault ? Des restaurants sans table à langer ou chaises hautes, ou encore « une chaise d’appoint tellement souillée que je dois utiliser 12 lingettes pour tout nettoyer ». Un service trop lent pour les enfants ou encore l’absence de jus au menu. « Est-ce si compliqué d’offrir un menu composé de plats autres que ceux préparés avec de la friture ou des pâtes ? », se questionne le chef.

Sa sortie a enflammé les réseaux sociaux. Le chef Danny St Pierre a renchéri en écrivant sur Facebook : « Le plus dur, c’est les parents caves qui n’entendent plus leurs enfants ou qui considèrent que c’est correct que leurs enfants courent partout les mains beurrées… »

Ian Perreault a décliné une entrevue sur le sujet avec La Presse. « J’ai mentionné dans mon blogue déjà tous mes commentaires à ce sujet », nous a-t-il poliment répondu par courriel.

Quand les enfants dérangent

Les familles sont toujours bienvenues dans un restaurant, d’après le conseiller en communication de l’Association des restaurateurs du Québec, Martin Vézina. « Un restaurateur va accepter n’importe quelle clientèle parce qu’il veut faire vivre son établissement. L’enjeu, ce n’est pas tant si le restaurateur va s’adapter, mais c’est plus souvent le regard que pourraient poser les autres clients par rapport à la clientèle familiale », soutient-il. 

Il estime toutefois que les parents ne devraient pas s’empêcher de fréquenter ces endroits, « s’ils se sentent à l’aise et que leurs enfants peuvent vivre avec certaines règles dans un resto ».

Ugo-Vincent Mariotti, chef du Bistro West Brome à l’auberge du même nom, dans les Cantons-de-l’Est, constate que de plus en plus de parents emmènent leurs enfants manger à de bonnes tables. « Je crois que c’est parce qu’ils ne veulent pas se priver d’une bonne bouffe », lance celui qui a travaillé au Ferreira Café et au Beaver Hall, et qui est père de deux filles de 4 et 8 ans. Son établissement accueille régulièrement des enfants. 

« Je crois cependant qu’il y aura toujours des restaurants qui ne seront pas adaptés aux enfants, c’est leur style. Mais je pense que tranquillement, il y a une certaine évolution qui se fait. »

— Ugo-Vincent Mariotti

Même si son établissement ne dispose pas de table à langer, il admet que tous les restaurants devraient en avoir.

Le chef souligne aussi que « dans des restaurants huppés, il y aura toujours des clients qui ne voudront pas voir d’enfants. Et on ne peut pas imposer les enfants aux clients », dit-il, en soulignant que les restaurateurs ne veulent pas qu’une clientèle nuise à l’autre.

Pour satisfaire ces différentes clientèles, M. Mariotti explique que dans beaucoup d’établissements, les serveurs dirigeront souvent la clientèle familiale vers une certaine section du restaurant. Plus éloignée du bar, par exemple.

La gastronomie et les tout-petits

De nombreux restaurants en vogue délaissent l’éternel menu pour enfants pour des propositions culinaires plus intéressantes. Comme le Bistro West Brome qui offre, entre autres, des petites portions de saumon ou de bavette, avec des frites maison et des légumes.

Au restaurant gastronomique Les Labours du luxueux hôtel Le Germain Charlevoix, il n’est pas rare de croiser des enfants de moins de 5 ans. « Beaucoup de parents aiment faire découvrir une expérience plus gastronomique à leurs enfants, sortir des sentiers battus et leur proposer de nouvelles saveurs », confirme le directeur de la restauration de l’hôtel Le Germain Charlevoix, Rodolphe Kerbouriou. On propose ici un menu pour enfants qui a une touche locale, comme un macaroni maison au fromage Migneron de Charlevoix. 

« Je vois des familles commander une table d’hôte à partager pour leurs deux enfants, parce qu’elles ont envie de leur faire goûter autre chose. Alors on fait deux petits plats. »

— Rodolphe Kerbouriou

Le restaurant dispose aussi de chaises hautes et de tables à langer.

Quant au service, les parents font souvent remarquer qu’il est un peu long. « C’est sûr que ce ne sera pas aussi vite que le St-Hubert ! réplique M. Kerbouriou. Et les enfants doivent bien respecter le cadre. Au Labours, je ne peux pas me permettre d’avoir des enfants qui courent. »

Il reste que les enfants sont une clientèle stratégique à séduire. « Ces joyeux bambins sont nos futurs consommateurs de demain. Donc il faut aussi qu’ils connaissent une autre expérience culinaire, manger autre chose que du fast-food ou des frites. C’est important quand on est jeune d’avoir une éducation culinaire pour se faire le palais et son propre goût », souligne Rodolphe Kerbouriou.

Des restos branchés appréciés des parents

Milos

Cet élégant restaurant grec à Montréal dispose de chaises hautes et de sièges rehausseurs. Pas de table à langer, mais plusieurs parents utilisent le grand comptoir dans la salle de bains. L’établissement n’offre pas de menu pour enfants, mais beaucoup de parents partagent leurs plats avec leurs rejetons. Il y a aussi de la place pour laisser quelques poussettes.

Restaurant Hà

Dans ce restaurant branché qui propose une cuisine asiatique, on voit souvent des enfants, surtout dans la succursale sur l’avenue du Mont-Royal. L’établissement dispose d’une chaise pour bébé, d’un siège rehausseur et d’une table à langer. Les serveurs apportent des crayons à colorier et des feuilles aux enfants. Il n’y a pas de menu pour les petits, mais les parents partagent souvent leurs plats avec ceux-ci ou leur commandent des plats à la carte, comme du saumon, une soupe tonkinoise ou des rouleaux impériaux.

Chez Lionel

Le chic et convivial restaurant Chez Lionel, à Boucherville, dispose d’une table à langer, de chaises hautes et de sièges rehausseurs. On propose un menu pour enfant avec grilled cheese, fish and chips, burger ou encore raviolis à la ricotta avec sauce tomate, ainsi qu’un dessert maison de brownie au chocolat. Quelques enfants se laissent aussi tenter par le menu à la carte.

Nouveau Palais

Avec son décor de diner, ce restaurant du Mile End attire une faune hétéroclite, jusqu’au petit matin certains jours. Le personnel est habitué aux enfants et le service est rapide. Il n’y a pas de chaise haute ni de table à langer, mais plusieurs sièges rehausseurs, ainsi que des crayons à colorier. S’il n’y a pas de menu pour enfants, les tout-petits trouvent leur compte avec des demi-portions ou des entrées. Une adresse sympathique pour initier les enfants au restaurant.

Le Clocher penché

Ce chic bistro à Québec accueille souvent des bambins. On ne propose pas de menu pour enfants, mais le restaurant offre de plus petites portions ou adapte ses plats pour mieux plaire aux jeunes clients. L’établissement dispose d’une table à langer, de sièges rehausseurs et de chaises pour bébé. On offre aussi des crayons à colorier et du papier à volonté !

Conseils pour un repas réussi

Bien se préparer

« Avant d’entrer dans un resto, l’enfant doit être averti que c’est un privilège et une expérience d’aller au restaurant », souligne Ugo-Vincent Mariotti, chef du Bistro West Brome. « Il faut bien expliquer les règles aux enfants avant, en leur disant qu’on ne peut pas courir, par exemple », ajoute Martin Vézina, de l’Association des restaurateurs du Québec. Plus les enfants seront habitués à respecter le cadre d’un restaurant, moins ce sera difficile pour les parents. « Le plus dur, ce sont les enfants de moins de 5 ans. Comme parent, il faut souvent les avertir, car ils vont hausser le ton. Parfois ils veulent marcher et ça peut être dangereux avec les serveurs qui transportent des plats », ajoute M. Mariotti.

Arriver tôt

« Le meilleur conseil que je peux donner, c’est de ne pas venir à 19 h 30-20 h avec les enfants », affirme Rodolphe Kerbouriou, directeur de la restauration de l’hôtel Le Germain Charlevoix. Pour éviter que les enfants soient fatigués, mieux vaut donc arriver autour de 18 h. Si on est stressé à l’idée d’aller dans un restaurant tendance, on peut commencer par une sortie dans un bistro de quartier.

Ne pas venir les mains vides

M. Mariotti recommande d’apporter plusieurs objets : des lingettes, des livres, des crayons à colorier, des feuilles, des cahiers. Sans oublier la tablette ou le téléphone (bien chargés !), ainsi que la doudou de l’enfant au cas où il commencerait à être fatigué. Il suggère aussi d’apporter le gobelet de l’enfant pour éviter d’utiliser les verres du restaurant qui ne sont pas toujours adaptés.

De la nourriture rapidement

Dès qu’il voit des enfants entrer dans son restaurant, Ugo-Vincent Mariotti demande aux serveurs de leur offrir rapidement du pain, car « les enfants ont besoin de quelque chose à leur portée. Et généralement, on sort les plats pour les enfants en même temps que les entrées des adultes ». Les parents ne devraient pas hésiter à demander que les plats des enfants soient servis dès qu’ils sont prêts.

Prévoir une heure

Ce n’est pas le moment de commander le menu dégustation ou un repas cinq services. Avec des enfants de moins de 6 ou 7 ans, il faut généralement s’attendre à une sortie d’environ une heure. « Après, ça devient généralement plus difficile », avance M. Mariotti. Durant le repas, « si l’enfant est difficile, les parents peuvent dire au serveur qu’ils prendront le plat ou le dessert à emporter. Il ne faut pas le voir comme un échec, mais comme une expérience ».

Interagir avec les enfants

Il ne faut pas se leurrer, un repas avec de jeunes enfants ne permettra pas aux parents de discuter en tête-à-tête. « Il faut constamment que les parents soient interactifs avec les enfants pour qu’ils ne commencent pas à faire autre chose, à bouger et vouloir sortir de table », avise Ugo-Vincent Mariotti.

Un tour en cuisine

Les enfants ont la bougeotte ? « On peut demander au serveur s’il est possible de les emmener en cuisine. Ça leur permettra d’observer la magie du resto, de voir la préparation des plats et de comprendre ce qui se passe. Aussi, comme les enfants aiment les pâtisseries, s’il y a un pâtissier, ils peuvent aussi regarder la préparation des desserts », indique M. Mariotti.

Commander des entrées

Les enfants n’ont généralement pas de gros appétits et les portions peuvent souvent être trop généreuses. Il peut être plus intéressant de commander une entrée à la carte pour les enfants. Et comme ce sont des aliments préparés sur place, ça permettra aussi à l’enfant de goûter des choses différentes et de développer ses papilles gustatives. Et on n’oublie pas de laisser de la place pour le dessert.

Des expériences inégales

Quatre mères racontent leur expérience au restaurant avec leurs enfants.

Maya Pinkas, mère de deux filles de 5 et 8 ans

« On emmène nos filles dans toutes sortes de restaurants et, généralement, ça se passe toujours bien. Elles préparent leurs sacs avec jeux, cahiers, etc. Une des pires fois a été dans un restaurant indien : les filles n’arrêtaient pas de se disputer pour une chaise, alors après cinq minutes, on a quitté l’endroit en leur disant que c’était de leur faute. Elles ont bien compris après ça ! »

Marilaine Bolduc-Jacob, mère de DEUX garçons de 8 et 10 ans

« On ne se limite pas à certains types de restos avec nos enfants. Tout dépend du type de sortie envisagée. Pour profiter d’un repas gastronomique, on préfère généralement sortir en couple. Pas pour les autres : pour nous ! On fréquente des restos trendy avec eux, mais pas trop souvent : quand il n’y a pas de menu pour enfants, c’est coûteux pour une famille de quatre. Mais nous avons toujours été bien accueillis. Un des pires moments a été en voyage : notre garçon a vomi sur la table d’un restaurant devant une vingtaine de personnes ! »

Christine Kayal, mère de trois enfants de 3, 9 et 11 ans

« Quand les enfants ont moins de 5 ans, je ne suis pas capable de les emmener au restaurant, c’est trop difficile. Mais avec des enfants de 9 et 11 ans, c’est le bonheur ! »

Alexandra Sroslak, mère d’un garçon de 3 ans

« On va au restaurant avec notre enfant, mais c’est une expérience douloureuse ! Quand il avait 1 an, c’était facile, parce qu’il dormait. À 2 ans, c’était fou, il pouvait tout renverser. S’il voulait marcher, on devait se lever. On n’avait aucun répit et aucun plaisir, mais je crois vraiment que si on ne les emmène jamais, ils ne vont jamais s’habituer. À 3 ans, ça va mieux, il est excité d’aller au resto. S’il n’est pas sage, on lui dit qu’on va partir et il comprend. On apporte toujours des crayons et des jouets et on sort la tablette au dessert, c’est notre cadeau à nous. »

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