Mon clin d’œil

« Le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète, ça devrait convaincre les jeunes de se séparer. »

— Le PQ

RÉPLIQUE

La religion est une force pour notre société

Nous pouvons vivre en accord avec la sagesse de telle ou telle religion ou ne pas le faire, et c’est bien ainsi

En réponse au livre de Normand Baillargeon, L’esprit en marche, dont un extrait a été publié dimanche dans nos pages.

Cher M. Baillargeon, vous êtes l’un des intellectuels les plus respectés du Québec, pour l’excellente raison que vos apports aux débats de société, notamment dans le domaine de l’éducation, suscitent souvent une adhésion élargie.

Je fais partie de vos fidèles lecteurs. Par contre, lorsque vous abordez les questions religieuses, comme dans votre dernier ouvrage dont un extrait fut partagé dans ces pages dimanche dernier, votre jugement semble souffrir d’aveuglement idéologique, et je ne vous suis plus.

En substance, vous nous mettez en garde contre toutes les religions, au nom des combats qui furent menés contre elles pour en arriver à l’état actuel de nos sociétés occidentales. 

Vous nous incitez à « ne pas céder le moindre centimètre aux religions ». Ce qui signifie entre autres, si j’en crois vos interventions par ailleurs, de revoir le cours d’Éthique et culture religieuse afin de durcir la critique à l’égard des religions.

Vous dites ainsi réagir à une trop grande complaisance de certains intellectuels face à la religion qui, selon eux, ne serait plus à craindre, car déjà au tapis. Or, rétorquez-vous, si les principales religions résistent encore et toujours, c’est qu’elles possèdent « une grande force ». Alors attention !

Le phénomène religieux encore bien présent

Justement, si la religion a encore et toujours sa place dans la sphère publique, ce n’est pas en raison de sa faiblesse, de son impuissance, mais parce qu’elle constitue bel et bien une force pour notre société.

L’écrasante majorité des gens qui ont vécu sur cette Terre furent religieux, y compris les esprits les plus illustres. Aujourd’hui, sur la planète, le phénomène religieux reste extrêmement prégnant. Oh, ce n’est pas là une preuve de la vérité de la religion, évidemment ! La vérité n’est pas fonction du nombre.

Tout de même, le fait que tant de gens ont cherché et cherchent toujours à vivre une vie bonne, qui a du sens, en recourant aux grandes intuitions religieuses, mérite certainement, de la part de n’importe quel penseur voulant éviter les écueils de l’ethnocentrisme et du mépris, une certaine prudence méthodologique.

Et une certaine ouverture d’esprit. J’imagine que vous n’avez pas fréquenté de milieux paroissiaux depuis longtemps. La religion, quand on va y regarder de plus près, c’est surtout des gens qui se rassemblent pour célébrer, réfléchir, s’entraider, accueillir les plus « poqués » de notre communauté humaine. Au nom de leur foi.

D’autres contribuent de manière comparable au bien de notre société, mais pour d’autres raisons. Par devoir citoyen. Par humanisme. Pour honorer la « déesse Raison », dans l’esprit des Lumières dont vous vous réclamez. Très bien ! Il y a une panoplie de raisons valables pour cultiver le bien commun.

Plusieurs avenues possibles

Et c’est justement là l’origine du large consensus autour de la nécessité de préserver la laïcité de l’État. Comme vous le savez, cette laïcité, gardienne de l’égalité sociale et de la liberté de conscience, est le fruit du processus de sécularisation ayant travaillé nos sociétés depuis quelques siècles.

Cette sécularisation ne signifie pas, comme vous semblez le croire au vu de votre rhétorique belliqueuse, le triomphe progressif des gentilles lumières de la Raison sur les méchantes ténèbres de la Superstition religieuse. Voilà un récit vraiment trop simpliste, candide.

La sécularisation, comme l’a bien démontré Charles Taylor dans L’âge séculier, désigne plutôt le processus suivant lequel l’avenue religieuse a cessé d’être la seule possible. De sorte qu’aujourd’hui, contrairement à il y a 500 ans, une personne ordinaire a le choix de penser et de vivre en accord avec la sagesse de telle ou telle religion. Ou de ne pas le faire.

Et c’est bien ainsi. À moins que vous proposiez de renoncer à la laïcité pour ériger le rationalisme athée en religion d’État ? Ce même athéisme ayant mené, au XXe siècle, aux plus grands charniers de l’histoire de l’humanité ?

Bien sûr, au temps de vos chères Lumières comme il y a quelques décennies au Québec, une certaine forme de réaction militante était justifiée pour faire contrepoids à des abus et à des conditionnements séculaires.

Cependant, nous n’en sommes plus là. Fulminer les mêmes appels aux armes qu’il y a 60 ans, s’accroupir dans les mêmes tranchées relève de l’échauffourée d’arrière-garde.

La plupart des Québécois sont arrivés à un degré de maturité les rendant capables de faire la part des choses et de reconnaître la foi religieuse pour ce qu’elle est : un puissant moteur de sens parmi d’autres. Et qui peut donc, comme tout ce qui fait frémir le cœur humain, propulser vers le ciel comme vers l’abîme.

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